Freddy-Keith-02

 

« Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? »

C’est ce que me dit un ami, gentiment. Dans sa bouche, c’est une manière de dire sa tranquille exaspération devant mes attentes et mes frasques en tout genre.

Il le dit d’une manière amusée. Aucune méchanceté dans ses propos, ni dans le ton. Pas une once de négativité. Non, ce que je perçois c’est comme de l’amusement. Et c’est bien ce qui l’a traversé et ce qu’il a transmis.

Pourquoi, alors, suis-je touché plus que je ne devrais par cette boutade ?

Ce n’est pas qu’elle me rappelle des reproches et réprimandes, rien qui renvoie à l’enfance… Encore que, si, peut-être.

Ce que je ressens, dans un premier temps, c’est le soulagement et la joie, une profonde joie intérieure, de compter pour quelqu’un, d’être quelqu’un pour lui, cet ami. Enfin une réciprocité. Enfin être aimé, enfin être reconnu, enfin exister. Si tu demandes ce que tu vas faire de moi, c’est donc que vas faire quelque chose de moi, c’est donc que je suis important pour toi, même un petit peu.

Et, si cela t’amuse et que tu m’adresses cette parole, c’est que tu me parles, c’est que tu m’associes à cette question et à son solutionnement. Quelque chose de la relation, d’une relation entre toi et moi, douce et tranquille, qui est là, qui tient. Nous allons donc vers l’avenir ensemble?

Et plus loin encore pourtant, oui, cet appel de l’enfance, cette prise de conscience que mon enfant intérieur est touché, ravi, séduit. Tu sais, cet enfant blessé, cet enfant déconsidéré, qu’on ne regardait pas, à qui on ne marquait pas de marques de tendresse ou, pire, si on le faisait, c’était pour les reprendre immédiatement en donnant des signes contraires. Cet enfant abandonné, en quelque sorte, à qui on n’a pas dit, pas assez, qu’on l’aimait.

« Qu’est-ce que je vais bien faire de toi ? » C’est bête, hein, cette question. C’est celle que j’aurais voulu entendre, percevoir, vivre lorsque c’était le temps de l’enfance. Et c’est toi, mon ami qui me la sort, comme ça, avec un naturel déconcertant qui me prend, immédiatement, aux entrailles.
Freddy-keith_02
Tu n’en sauras rien car je ne me sens pas capable de te dire tout cela. C’est très intime quand même, et je sais que tu n’aimes pas ce genre d’intimité.

Me voilà avec cette drôle de flèche qui me transperce et me réveille. Droit au but, droit au cœur. Et ça ne fait même pas mal. Elle s’est frayée un chemin vers quelque chose d’enfoui très profondément et me le ramène doucement, provoquant une multitude de micro prises de conscience et encore plus de réajustements inconscients.

C’est quoi ce mystère qui me rend si sensible à des choses que d’autres ne perçoivent pas ? J’ai le cœur à nu ; Dieu merci, personne ne le voit !

J’ai un secret : la blessure qui m’a rendu fragile et hypersensible est aussi ma force. Car je ne puis douter un instant que ce qui me révèle et me restaure ainsi dans ma dignité intérieure, d’une manière si indicible qu’elle n’en est pas humaine, vient de Dieu lui-même.

La voix de l’ami – ses paroles, le ton de la voix, la vraie amitié qu’il y a dedans, et même l’amusement, bref tout son contenu – la voix de l’ami, dis-je, c’est la voix de la vie, c’est la voix du Seigneur qui me parle, me touche, m’atteint : “Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ?”

Car tu vas faire quelque chose, c’est ce que cela veut dire. Et toi, tu fais toutes choses nouvelles.

Zabulon – 3 mai 2016

 


Source photo : Freddy Keith, modèle américain, Next Models, Los Angeles.

homme-au-travail-Ps103

 

Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher.
Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient : les animaux dans la forêt s’éveillent ;
le lionceau rugit vers sa proie, il réclame à Dieu sa nourriture.
Quand paraît le soleil, ils se retirent : chacun gagne son repaire.
L’homme sort pour son ouvrage, pour son travail, jusqu’au soir.

Psaume 103 (104), 19-23

 

En ce 1er mai, fête du travail, fête des travailleurs,
Prenons un instant, juste un instant,
pour nous souvenir que le travail concourt à la création.

Dans le grand ordonnancement de l’univers,
l’homme va à ses occupations,
non pas pour subir ou être exploité,
mais tout à la fois par nécessité et plaisir.

Il y a de la joie à travailler,
quand on sait pourquoi.
Il y a de la joie à travailler,
quand on sait pour qui.

Il y a de la joie à travailler,
quand tout est donné, et utile,
sans violence, sans mépris,
sans oubli de la reconnaissance.

L’homme va à son ouvrage,
c’est sa vocation.
Laissons chacun aller à son ouvrage.

travail-ouvrage-Ps103

amitié-aelred

 

«Dites-moi, n’est-ce pas avoir déjà part à la béatitude que de s’aimer et de s’entraider ainsi, de s’appuyer sur la douce charité fraternelle pour voler jusqu’aux étincelantes régions de la divine dilection, et, par l’échelle de la charité, tantôt de monter vers l’étreinte du Christ, tantôt de descendre vers l’amour du prochain pour y trouver un délicieux repos ? Si dans cette amitié qui fut la nôtre et que j’ai mentionnée à titre d’exemple, vous remarquez un point à imiter, faites-en votre profit.»

Aelred de Rievaulx

 

Source citation :L’expérience de l’amitié de Aelred de Rielvaux (arccis)

ovation

“Paul et Barnabé (…) désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises
et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur
ces hommes qui avaient mis leur foi en lui.”

(Ac 14, 21b-27)

 

La liturgie de ce dimanche me donne l’occasion de revenir sur l’ecclésiologie à laquelle je faisais allusion dans mon dernier article publié. La version liturgique de ce verset des Actes des Apôtres semble aller à l’inverse de ce que je disais lorsque je parlais des premières communautés qui choisissaient en leur sein des Anciens. En fait, il n’y a pas contradiction.

Car, comme cela arrive assez souvent, la traduction liturgique française peut nous induire en erreur. Dans la version grecque de Act 14,23, c’est le verbe χειροτονέω (cheirotoneo) qui est employé et a été maladroitement traduit par désigner, verbe que l’on retrouve aussi en 2 Co 8,19 :”Nous envoyons avec lui le frère…qui a été choisi (cheirotoneo) par les Eglises pour être notre compagnon de voyage.”

Le verbe grec qui est employé indique clairement qu’il ne s’agit pas d’une désignation au sens d’un acte de nomination unilatérale de la part des Apôtres mais qu’il s’agit d’un vote, d’une élection, semble-t-il à mains levées.

Il faut donc comprendre que les apôtres “firent choisir par un vote (cheirotoneo) des anciens (presbiteros) dans chaque Eglise”

Ce verset confirme donc que c’est bien le modèle qui prévaut dès les premiers temps de l’Eglise, y compris dans les nouvelles communautés qui sont en train de naître en terre païenne. Ici, en Act 14, on nous décrit le zèle missionnaire de Paul et Barnabé, qui, reviennent – nous précise-t-on- à Lystres, Iconium et Antioche de Pisidie, avant qu’ils ne repartent vers d’autres missions. Il semble donc qu’ils assument momentanément la direction des communautés qu’ils ont créées dans ces villes mais qu’au moment de partir plus loin, il faille désigner des responsables qui pourront assurer la continuité.

Ce qui est remarquable c’est ce double mouvement d’abandon et de continuité.

Continuité parce que c’est bien à leur initiative que se fait la désignation des Anciens. Ainsi se fonde la continuité de l’annonce de l’Evangile reçu et transmis par les Apôtres, c’est pourquoi on dit des premières Eglises qu’elles sont “apostoliques”. Cela veut dire : nées de la rencontre et l’enseignement des Apôtres. Cette continuité est gage que c’est bien la foi au Ressuscité qui est transmise, ce Jésus de Nazareth qui lors de son dernier repas a donné ce commandement nouveau : “c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres.” (Jn 13,34) [Evangile de ce dimanche]

Abandon, au sens désaisissement et confiance, parce que les apôtres ne choisissent pas eux même les Anciens. Ils laissent la communauté se prononcer. Aucun acte de pouvoir ou de puissance de la part des apôtres. Mieux, dans ce court passage,ils ne revendiquent aucune propriété ou paternité sur ces communautés : c’est au Seigneur qu’ils confient les hommes qui ont mis leur foi en lui.

“Après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur…” Autre fait marquant qui montre l’esprit de ces premiers chrétiens : les Apôtres commencent par se purifier, se libérer de toutes influences ou interférences extérieures, grâce au jeûne et à la prière.

Voilà pourquoi je plaidais pour un retour aux sources. Il me semble que notre fonctionnement institutionnel (à nous, ceux de l’Eglise Catholique) a quand même un peu vieilli. Vouloir le maintenir de force, vouloir le réparer ou le re-légitimer, c’est perdre du temps. Alors que, dans cette affaire, l’enjeu est essentiellement d’accompagner et confier au Seigneur ceux qui ont mis leur foi en lui.

Z – 23/4/2016

Justin-Bieber-officiant

En ce moment, circule sur les réseaux sociaux un texte intitulé Un curé sur catalogue. Fort beau texte, joliment écrit, prenant. Je ne peux pas m’empêcher de me laisser entraîner: c’est beau, c’est dynamique, c’est plein de sens et de générosité.

On nous dit que le texte a été écrit par une mère de famille, sœur de deux prêtres et qu’il paru initialement sur le Blog du padre, précision qui n’apporte rien au texte. Est-ce que le grand âge d’une dame, aussi respectable soit-elle, et le fait que des membres de sa famille se soient engagés dans l’Eglise, lui donnent plus de poids ou de légitimité? C’est sûr, je n’aime pas cet argument.

Bon, le texte est beau et je me laisse entraîner, je l’ai déjà dit. Et pourtant, au total, je suis gêné. Je sens qu’il y a quelque chose qui cloche mais, dans un premier temps, je ne sais pas quoi.

Je relis donc le texte, attentif d’abord à ce qui me séduit. Et là, c’est facile, cette verve, ce côté redresseur de torts, empreint à la fois d’humilité et de courage, ce côté vieux scout, en fait… Ah ça me rappelle des souvenirs ! Combien d’auteurs je pourrais appeler à la rescousse avec ce sens de la formule comme un étendard qui claque, qui fait de sa fragilité une force, avec un zeste d’assurance, de certitude, d’insolence, peut-être.

La fin surtout, sur le modèle de la célèbre prière de Mère Teresa de Calcutta sur la vie, claque au vent :

« Le prêtre s’use quand il ne sert pas » : demandons lui les sacrements.
Le prêtre est faible : servons-le !
Le prêtre est pêcheur : aidons-le !
Le prêtre est consacré : respectons-le !
Le prêtre est notre frère en Christ, aimons-le… en Christ !
Les ouailles sont perdues : éclairons-les… avec le Christ !
Les ouailles sont en manque : montrons-leur le Christ !
Les ouailles sont pauvres : offrons-leur le Christ !
Les ouailles sont absentes : apportons leur le Christ !
Lui qui luit le jour et la nuit !
Dieu seul suffit !

Mais bon,je ne suis pas convaincu, je dois l’avouer. Alors, pourquoi ? Oui, pourquoi… Eh bien, il me semble que c’est parce que l’arrière fond de ce beau texte repose sur une ecclésiologie qui me paraît d’un autre temps. Car, finalement, même si le texte veut servir à réconcilier prêtres et laïcs par un double discours : aux uns, les prêtres sont faibles, n’abusez pas ; aux autres, ne vous prenez pas pour des super-héros et ne vous tournez pas en ridicules, n’abusez pas ! – eh bien, même en faisant cela, ce texte reste d’un autre temps.

Quelle conception de l’Eglise soutient-il inconsciemment? Quelle conception du prêtre ? Quelle conception du peuple de Dieu? Quelle conception de l’invitation du Christ à se convertir et à changer de vie?

Dans les premiers temps de l’Eglise, la communauté choisissait l’un des siens pour l’aider à s’organiser et à prier, à ordonner tout ça. D’où le mot ordination. Ca n’était pas un privilège, ça n’était pas le signe d’une élection divine, c’était d’abord l’appel de la communauté chrétienne à l’un des siens pour la servir.

Bien sûr, il y avait des précautions à prendre. Ce n’était pas le premier venu qui était choisi. On prenait un ancien, quelqu’un qui avait vécu et avait de l’expérience, quelqu’un de sage et de prudent, quelqu’un qui n’entrait pas dans les conflits d’intérêt et savait se faire apôtre de la paix et du partage.

Maintenant, je sais ce qui me gêne dans le texte dont je parle : c’est que, même en invitant chacun à être raisonnable pour que ça marche bien, il s’appuie sur une conception du prêtre que je ne partage pas et qui semble aujourd’hui de plus en plus passée. Un prêtre, serviteur de l’institution et dont le principal travail serait de faire venir du monde dans sa paroisse et d’administrer les sacrements ne m’intéresse pas. Car cette attitude ne me parle pas, ou plus, du Seigneur Jésus.

En d’autres temps, déjà, le pape Paul VI avait prévenu que ce monde n’avait pas besoin de donneurs de leçons mais de témoins de la lumière. Pas besoin d’être prêtre pour cela, pas besoin de vouloir concilier les deux comme si le ministère de prêtre rendait plus proche de Dieu. Le prêtre n’est pas d’abord un spécialiste de Dieu ou un élu. Il est un serviteur de la communauté. Cela veut dire qu’il l’aime, qu’il l’écoute, qu’il la cajole, qu’il la sert. Pour respecter l’esprit des temps apostoliques, probablement faudrait-il aussi qu’il en soit issu, qu’il la connaisse de l’intérieur, cette communauté. Et évidemment, vu la raréfaction des troupes dans les paroisses et la tendance à ce qu’une seule ligne ne reste, monolithique et vieille France, on est un peu mal barrés…

Et pourtant… Et pourtant, ici ou là, Dieu parle encore à des coeurs purs. Certains seront prêtres, d’autres  non, mais l’amour du Seigneur brûle en leurs coeurs. Ils ne sont pas à leur propre service, ils ne sont pas, non plus, au service d’une autorité supérieure, ils ne sont pas au service d’une conception de Dieu, la leur ou celle qu’ils ont apprise. Ils sont au service du Dieu qui est déjà là et qui vient à eux à travers l’autre.

Ces gens-là n’apportent rien, ils accueillent Dieu. Ils se laissent surprendre. Ils n’ont pas peur. Ils savent s’émerveiller de chaque rencontre. Et leur posture, leur gratuité, leur bienveillance, faites d’accueil, de douceur et de miséricorde… me parlent de mon Seigneur.

Source photo : Photo de Justin Bieber publiée le 1er Mars 2016 sur sa page facebook. Je sais que c’est un peu provoc’ mais je la trouve marrante cette photo. On dirait un prêtre en train d’officier, avec une chasuble violette, couleur carême. Et c’est Bieber en tournée. Si ça pouvait en dérider certains… 🙂