La liturgie de ce premier dimanche de Carême donne à méditer le fameux passage de MT 4,1-11 où Jésus conduit au désert par l’Esprit y est confronté à trois tentations.

Les spécialistes de l’Ecriture nous expliqueront en quoi, dans la logique matthéenne, ce passage tend à montrer que Jésus est le véritable envoyé de Dieu :

– il reste confiant en Dieu sans réchigner et sans demander du pain à l’inverse du peuple hébreu conduit par Moïse dans le désert,
– il ne profite pas d’une position haute (au propre comme au figuré) pour se prévaloir de prérogatives attribuées à Dieu (rapport à la Présence de Dieu dans le temple et le fait de commander ou pas aux anges)
– il ne se laisse pas séduire par les multiples paillettes et intérêts du monde, quand bien même il pourrait exercer un pourvoir sur lui (notez au passage le placement sur la haute montagne qui est normalement le lieu d’où parle Dieu dans la nuée, ce qui montre bien la nature de la tentation diabolique : être pris pour Dieu depuis la montagne alors qu’on n’est pas missionné pour cela).

Réactualisation du passage au désert après la traversée d’Egypte, du service du Temple (lieu où Dieu “campe” parmi son peuple), de la période faste des royautés diverses qu’elles soient de David ou d’Hérode. Réactualisation mais cette fois-ci réussie, sans dévoiement, par Jésus au désert.

Bref, c’est juste un rappel global du contexte. Ce n’est pas mon propos du jour.

Je me demandais juste comment ce texte pouvait aider les personnes concernées par l’homosexualité. Certes, le texte n’en parle pas directement et aucune tentation exprimée ici, soyons précis, n’est d’ordre affective ou sexuelle. Cela étant, si comme chrétien, je me laisse identifier au Christ, ce texte me parle des tentations que je suis aussi invité à passer.

Et qu’entends-je ?

1/ Quel que soit le désert que je suis amené à traverser, je ne dois pas désespérer de l’amour de Dieu envers moi. La dureté de l’existence, la souffrance, le malheur, ne disent en rien que je suis pécheur plus que d’autres et certainement pas que je suis abandonné de Dieu. La tentation serait de vouloir « manger » au même râtelier que ceux qui me jugent et me rendent esclave de leurs jugements pour avoir la paix. Si j’ai quitté mon Egypte natale, ce lieu où je n’ai pas pu découvrir tranquillement et de manière épanouissante la personne que je suis, comment imaginer que je pourrais trouver la paix en reniant, même partiellement, même temporairement, la personne que je suis ?

2/ Si j’ai pu m’approcher de la présence divine en moi, si j’ai pu la laisser se déployer au point que je puis habiter avec elle et me tenir en haut de ce Temple saint qu’est aujourd’hui mon corps, ma vie, mon existence, cela ne me donne aucun droit d’exiger de Dieu quoi que ce soit, ni d’user de prérogatives qui consisteraient à exercer un pouvoir sur autrui qui…lui aussi reste libre de son chemin.

3/ Quelle est séduisante cette liberté gagnée ! Qu’elles sont tentantes toutes ces possibilités de vivre la vie que je veux, multiplier les aventures, utiliser les autres en réparation ou en compensation des années terribles où je me sentais réprimé, contraint, asservi par l’hétéro-normalité. « Voilà tu es libre, tu sais que tu es libre. Tu peux tout. Vois tout ça, tout ce que tu veux je te le donne si tu veux bien te prendre comme ta propre finalité et abuser de cette confusion ». C’est ainsi que je transpose le « Tout cela je te le donnerai si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi… » Le diable, ce grand diviseur, ce « fauteur e trouble » au sens propre, au premier degré : celui qui crée le trouble, la confusion. Entre dans la confusion, oublie d’où tu viens, pourquoi tu es là, et profite ! Profite de tout : du monde, des gens et des richesses ! Ton intelligence, ta créativité, ta découverte et ton acceptation de toi-même (et qui te donnent un avantage certain sur ceux qui n’ont pas ce travail sur eux-mêmes), tu peux les mettre au service de l’apparence et des futilités.

Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas de la grande théologie. Et, d’autant qu’il y a encore plein d’autres manières de recevoir ce texte évangélique.

Il y a quand même un point commun aux trois tentations et c’est finalement la seule chose que je veux relever. Les trois tentations sont comme des invitations à se laisser dérouter : n’assume pas le désert, tire avantage de ton compagnonnage avec la présence divine, laisse-toi aller à tes désirs de puissance de richesse, de notoriété. Exactement le contraire de la douce invitation faite par Dieu à Abraham, le père des croyants : « Va vers toi-même ».

Alors Jésus entend. Le narrateur nous souligne à quel point Jésus est humain : « il eut faim ». Mais il ne se laisse pas dérouter.
Assumer qui il est, dans son humanité et dans sa part divine, le fait tenir bon face à l’épreuve.

Sa force : la parole-présence de Dieu qu’il oppose humblement à chaque tentation.

Je me souhaite, et je souhaite à tout lecteur, un bon carême sous le signe de cette invitation :
Va vers toi-même, ne te laisse pas dérouter.

Z- 24 février 2023

Photo : Leszek Paradowski, www.paradowski.net.pl

Voilà deux chrétiens qui s’expriment sur un réseau social.

L’un dit :

Pourquoi il y a des gays, des asexuels ou misosexuels ? Pourquoi il y a des stériles? Matthieu 19:12 nous répond : il y a des hommes qui sont nés avec l’incapacité de se marier avec les femmes.

L’autre lui répond :

Mon frère, ne contredisez pas Dieu, dans aucune livre, Dieu ne bénit l’homosexualité. Dieu bénit l’union de l’homme et la femme, et selon Paul dans le livre de Romains 1, on condamne tous ceux qui agissent selon leurs réflexion et négligent celle de Dieu. Car si on n’est pas attiré par les femmes restons chastes, ou prions Dieu pour l’être, car, en Lévitique, les relations entre homme ne sont pas bénis. Juste frère, ne nous trompons pas, lisons attentivement la Bible pour ne pas succomber dans la tentation!

Deux chrétiens, deux compréhensions et deux postures qui en découlent complètement différentes.

L’Esprit souffle bien où il veut… Probablement dans le cœur de ces deux hommes, mais l’un me semble encore habité par ses peurs là où l’autre s’émerveille du don de Dieu. L’Evangile fait dire à Jésus lui-même que, lorsqu’il serait parti, l’Esprit enseignerait des choses nouvelles qui n’ont pas encore été dites.

C’est ainsi que je reçois la parole du premier interlocuteur qui attire notre attention sur Mt19,12

Avec notre fâcheuses habitude de lire la parole de Dieu depuis nos conditionnements, nos filtres préétablis, nous ne nous apercevons même plus que nous nous servons de la Parole de Dieu pour légitimer nos croyances fondées sur des peurs diverses et variées de ne pas être reconnus, de ne pas êtres légitimes, de ne pas être conformes, bref d’être rejetés parce que nous nous serions trompés.

La peur de n’être pas acceptés mobilise en nous des trésors de créativité et d’imagination pour rendre compatibles ce qui, à première vue, ne l’est pas. Donc, puisque la Bible présente des textes apparemment durs sur l’homosexualité, et que la grande tradition magistérielle semble la condamner aussi en en restant à une lecture littérale et basée sur une pré-réception de la Genèse comme imposant que l’homme soit fait pour la femme et vice-versa parce qu’ainsi ils ne feront qu’uns (qu’on me dise d’ailleurs combien de fois on a pu vérifier dans une vie qu’un homme et une femme font réellement uns, à supposer que ce soit même vrai pour tous et pour chacun y compris dans l’éphémère phase jaculatoire), eh bien, puisque tout ça, même si je finis par m’accepter comme gay, il faudrait donc que je me tricote une rationalisation qui me permettrait de m’accepter, et d’être accepté comme gay moyennant l’adhésion à une interprétation compatible avec les textes saints : ah c’est donc que j’aurais vocation à la chasteté, à l’amour fraternel, à l’amitié spirituelle, et même peut-être que je serais signe de cette amitié de Dieu envers tous, indépendamment de tout intérêt (charnel). Summum de la gratuité, en somme.

Sinon qu’on ne voit à aucun moment Dieu dans la Bible, ou Jésus dans les Evangiles, empêcher la puissance de vie d’advenir. Et l’amour, comme sa manifestation sexuelle, est puissance de vie.

Alors attardons-nous un instant sur ce verset de Mt 19,12, qui dans la version liturgique de la Bible nous dit :

Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne !

A vrai dire, notre premier interlocuteur semble avoir raison. Il n’y pas l’once d’un jugement dans cette phrase. Jésus constate juste qu’il y a des gens qui « de naissance » ne sont pas faits pour se marier (à une femme, dans le contexte de l’époque). Donc, Jésus sait que cela existe.

La mention « de naissance » est intéressante : elle exclut les eunuques et toute catégorie qui serait ensuite obligée de renoncer au mariage du fait d’une castration postérieure à la naissance. Je précise que, pour moi, cela ne concerne pas les personnes transgenres qui, certes, « changent » de sexe en cours de vie, mais qui le font pour se conformer à ce qu’elles sentent être la vérité de leur genre depuis leur naissance quoiqu’il en soit de l’apparence physique.

Oui, cette mention « de naissance » est très intéressante. Il faut du temps pour se découvrir et s’accepter, notamment dans son orientation sexuelle, ou sa non orientations sexuelle, mais les germes en sont probablement déjà là dès la naissance, et même avant. Qui l’on est, sexuellement, est un cadeau qui se découvre sur le tard, progressivement. Un cadeau, dis-je, un don, un déploiement de mon être dont je n’ai pas à rendre compte ; c’est ainsi, on ne choisit pas d’être asexuel, homosexuel ou pansexuel.

Au fond ce verset est clair : il y en a qui se marient avec une femme et qui créent une famille, à laquelle ils doivent être alors fidèles car ils se sont engagés. Et il y en a d’autres qui ne prennent pas cet engagement pour différentes raisons.

Le mot « incapable » est par contre un peu douteux. Il risque d’être connoté négativement alors que ce n’est pas du tout induit par le texte grec. En fait, le mot employé est aussi le mot eunuque qui, avec le temps, s’est chargé d’une connotation négative puisque, dans nos esprits il est souvent associé à ceux à qui « il manquerait » quelque chose, généralisation faite à partir de l’acception la plus connue du mot eunuque, celle qui désigne le statut des personnes qui par choix ou par effet de l’esclavage ont été émasculés, pour devenir des quasi dignitaires au service des puissants et de leurs épouses. La traduction liturgique française a simplifié la traduction pour réserver l’emploi du mot eunuque ceux qui le sont devenus après leur naissance du fait d’une intervention extérieure. Mais si l’on regarde de près le texte grec, cela donnerait :

Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère ; il y en a qui le sont devenus par les hommes ; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne.

Au temps de Jésus, et en tout cas dans ce passage, le mot eunuque ne désigne pas seulement ceux qui auraient un handicap physique, raison pour laquelle peut-être les traducteurs francophones l’ont banni de la première phrase. Le mot eunuque, eunouchos signifie littéralement « le gardien du lit », étant entendu que, privé de sa puissance sexuelle, il ne met pas en danger le lit conjugal servant à la génération des enfants. Les eunuques étaient employés à d’autres emplois que la garde du harem. On leur confie des postes de responsabilité comme intendant ou gouverneur. Libérés de leur puissance sexuelle, ils sont sensés être de dévoués et fidèles serviteurs. Dans cette péricope, le mot eunuque, ne désigne donc pas forcément quelqu’un qui aurait été émasculé mais toute personne qui est privée ou se prive d’un lit conjugal dont le but serait la reproduction.

Traduire “eunuque dès le ventre de sa mère” par “être incapable de se marier dès la naissance” est du coup un peu réducteur. Possible mais réducteur. Incapable renvoie à une capacité et l’on pourrait s’imaginer qu’il s’agit d’une capacité physique. Or, le mot eunuque (gardien du lit) insiste davantage sur l’absence de descendance possible que sur l’incapacité physique d’en avoir.

Donc on peut ne pas se marier, parce que, de naissance, on n’a pas de capacité ou d’intérêt pour la reproduction, parce qu’on a été privé de cette capacité par la main de l’homme, ou parce qu’on a choisi de ne pas s’engager dans une relation qui inclut la reproduction, et ce qu’elle implique, à cause du Royaume des Cieux.

Ca ne dit pas grand-chose du Jésus historique et je me garderais bien de voir là une ‘preuve’ que Jésus connaissait et acceptait l’homosexualité. Mais le verset permet au moins d’affirmer qu’il acceptait qu’il y ait des personnes qui se privent de lit conjugal hétéro sans que cela lui pose un problème. Quant à ceux qui le feront, dit-il, à cause du Royaume des Cieux, c’est une affaire qui mériterait d’autres explications que je n’ai pas le temps de donner ici.

Il faut maintenant considérer dans quel contexte arrive cette péricope. Les juifs interrogent Jésus sur la validité de la loi de Moïse qui permet de répudier une femme (Mt 19, 3 et Mt 19, 7). Avant le verset de Mt 19, 12, Jésus a deux réponses préliminaires :

1/ Il n’en allait pas ainsi au commencement, car si l’homme et la femme quittent père et mère pour ne faire plus qu’une chair, ils ne font plus qu’un, il ne faut pas les séparer.

2/ C’est à cause de la dureté de leur cœur que Moïse a concédé aux Hébreux qu’on puisse répudier une femme, et, encore, à condition de lui donner une lettre de répudiation.

Ce qui ressort, c’est que quittant ses protections naturelles (le clan du père et de la mère), il y a une nouvelle entité qui se crée dans laquelle l’homme doit protection à sa femme et ne pas revenir sur sa parole. Ils forment désormais un nouveau clan, une nouvelle famille, une nouvelle chair. Répudier, c’est rejeter hors du clan, c’est renvoyer l’autre à un état de fragilité, de vulnérabilité : elle a quitté son père/sa mère et, rejetée, se retrouve seule sans protection. Moïse n’a fait que limiter les dégâts, en quelque sorte, en exigeant que s’il y avait répudiation (ce qui certainement arrivait, de fait ; sinon pourquoi en parlerait-on ?) il devait y avoir une garantie, une sorte de contrat juridique qui garantisse à la fois le laisser-passer et la protection de la répudiée. Bref, un statut : rejetée, isolée, peut-être mais protégée par des garanties, notamment de ressources et de sécurité physique.

Nous appliquons souvent un prisme déformant aux écrits bibliques parce que nous les lisons avec nos conceptions individualistes de l’histoire. Or l’individualisme comme fondement de l’action n’est que d’apparition récente dans l’histoire de l’Occident. Les auteurs bibliques ont une conception communautaire de l’histoire et donc une vision beaucoup plus sociale. Même quand elles sont exprimées apparemment de manière individuelle, les règles ou préconisations visent la cohésion de la société.

En résumé, contrairement à ce que l’on peut imaginer de prime abord, obnubilés que nous sommes, dans l’occident chrétien, par l’impureté sexuelle, nous risquons de passer à côté de la pointe du texte qui n’est pas sur la norme hétérosexuelle mais sur le respect et la protection que l’on se doit les uns envers les autres : le mari envers la femme, y compris celle qu’il répudierait, mais aussi envers ceux qui n’ont pas d’objectif de reproduction dans le lit conjugal quelle qu’en soit la raison : de naissance, par la main de l’homme, ou par choix du royaume des cieux.

A ce qui nous en a été transmis par les évangiles, Jésus lui-même n’était pas marié. Le contexte semble suggérer qu’il était « libre d’un lit conjugal » à cause du royaume des cieux. Mais goûtons que dans le même verset, il cite les autres possibilités, comme une énumération d’égale valeur, sans aucun jugement.

Si, instinctivement, en lisant cela, vous vous dites : « Oui mais quand même, le faire pour le Royaume des cieux, c’est mieux ! », alors relisez encore ce verset. Une fois, deux fois, trois fois, autant de fois qu’il le faut jusqu’à accepter qu’il n’est pas question de « mieux » ou de « moins bien » dans ce verset. Si cette notion vient à votre esprit, c’est qu’un préjugé, un filtre, une croyance, indépendant de l’Evangile, est déjà en vous, et vous le fait voir ainsi. Comprenne qui pourra !

Z – 23 mai 2021

Source photo : Karel Seisse et Braien Vaiksaar dans “Flandres”, un sujet publié par Vogue Homme, hiver 2019

De toutes les demeures de la maison de mon père,
pourquoi ne devrais-je en utiliser qu’une seule, se demanda t-il ?
Une boule qui roule n’amasse pas mousse, songea t-il soudain.
Oui, mais qui trop embrasse mal étreint ; ou plutôt,
Qui trop embrase, mal éteint …
Va ! Va, apporte un feu, lui avait-on dit.
Je le voudrais déjà allumé, pensa t-il.
Va, vis et reviens,
Enfant prodigue.
Regard en arrière, statue de sel.
Sodome, quand m’accueilleras-tu donc à nouveau ?
Ne suis-je plus digne de tes sollicitudes ?
La noce n’est-elle pas encore prête ?
Où en sont les préparatifs de la fête ?
Va, vis, deviens, lui avait-on dit.
Va, vis deviens, lui susurrait son cœur.
Va, vis, deviens …

© At N’go
(5 mai 2018)

Vu sur l’excellent blog de Carlos Osma, homoprotestantes.blogspot.com :

Ordonne aux fils d’Israël de se mettre en route !
Toi, lève ton bâton, étends le bras sur la mer, fends-la en deux, et que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec.

(Exode 14, 15b-16)

La plupart des personnes LGTBIQ, nous avons longtemps été face à la mer Rouge, coincés entre des puissances qui voulaient nous soumettre et asservir, et la peur paralysante générée par une mer qui semblait être la fin du monde. La fuite d’Egypte est un texte qui a tellement à voir avec nous qu’il est difficile de le lire sans que quelque chose en nous ne remue.

Cette expérience oppressante, de ne pas savoir où nous jeter, de croire qu’il n’y a pas d’échappatoire, que nous ne pouvons que choisir entre l’esclavage et la mort, a laissé une marque si profonde sur nous que lorsque nous lisons des textes comme celui-ci, nous sentons que nous nous connectons non seulement avec ceux qui ont vécu cette situation il y a des milliers d’années – je n’entre pas dans le débat sur les événements historiques qui en sont à l’origine et qui ont façonné le texte – mais avec tant d’autres qui continuent de le vivre aujourd’hui.

Vous souvenez-vous de cette douleur thoracique, de l’essoufflement, de la peur, de la solitude ou de la croyance que même Dieu vous avait abandonné à votre destin? Eh bien, c’est semblable à ce que malheureusement les autres personnes LGTBIQ qui vivent autour de nous continuent de ressentir aujourd’hui. Des gens qui n’ont peut-être même pas atteint l’adolescence mais qui, comme nous il n’y a pas si longtemps, sont tiraillés entre le pouvoir esclavagiste LGBTI-phobique de l’Égypte et celui de la mort de la mer Rouge.

Nous pourrions essayer de tout oublier, prétendre que cela ne s’est pas produit, mais inévitablement, nous retournons continuellement à ce lieu d’origine où nous acquérons une nouvelle identité, celle d’être fils et filles d’un Dieu libérateur, car là, nous nous souvenons que la dichotomie qui nous oblige encore aujourd’hui à choisir, entre l’esclavage ou la mort, est complètement erronée.

Le choix se fait à un autre niveau, croire en un dieu fondamentaliste qui ne peut nous voir que comme des esclaves qui doivent être soumis et punis pour avoir voulu la liberté et la justice, ou croire en un Dieu libérateur qui connaît la douleur des êtres humains et qui se met du côté de ceux qui souffrent et contre ceux qui les violentent. Et ce choix se répète, et est constamment répété, dans toutes les décisions que nous avons à prendre au quotidien, c’est pourquoi il est important dy retourner constamment, face à la mer Rouge, pour se rappeler quel Dieu est celui qui nous a libérés, et lequel a voulu nous asservir. “Je suis le Seigneur votre Dieu, celui qui vous a fait sortir du placard” , nous disait-il aujourd’hui, et ajoutera plus tard: “N’oubliez donc pas l’immigré, la femme maltraitée ou l’enfant vulnérable”.

Et il est vrai que la mort n’a pas le dernier mot, nous le savons par notre propre expérience, la mer Rouge peut sembler immense et infranchissable, mais le Dieu libérateur est capable de la diviser en deux et de laisser un chemin de terre ferme où seuls ceux qui aspirent à la liberté peuvent passer. C’est par ici que nous avons traversé, que nous avons marché pendant des semaines, des mois, des années, émerveillés que la vie se fraye un chemin miraculeux.

Et il est important de partager avec nos proches que cette voie existe, que nous devons oser faire le pas et continuer à avancer, que la peur ne peut pas être le seul moyen possible de rester en vie. Mais il est tout aussi important de ne jamais l’oublier non plus, car les situations d’oppression, bien que différentes de cela, se répètent toujours.

Vivre libéré exige constamment des décisions courageuses de la part du Dieu libérateur et contre le dieu de l’oppression. La phobie LGBTIQ n’a pas disparu, même si elle n’a plus autant de pouvoir sur nous que lorsque nous avons quitté l’Égypte. C’est pourquoi nous devons chaque jour continuer à prendre des décisions courageuses qui rendent notre vie non pas régie par elle, mais par la libération.

Et c’est le Seigneur qui non seulement « nous sort du placard» , mais qui « nous sort de toute autre Égypte» chaque jour, et cela doit être affirmé, partagé, crié, chaque fois que cela est nécessaire.

Source photo et texte : homoprotestantes.blogspot.com

Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
Act 2, 1

Que dire ? En ce temps de déconfinement, cette parole prend une consonance évidemment particulière.

Une lecture rapide pourrait être : Allez, voilà, recevez l’esprit de liberté et de légèreté, sortez de tous vos fardeaux et emprisonnements, déployez-vous ! Tant de gens , oh oui tant de gens, attendent cette bonne nouvelle !

Le magazine La vie rappelle fort opportunément dans son numéro de cette semaine dédié à l’histoire de la solidarité chrétienne que l’Eglise s’origine dans ce fruit immédiat de l’Esprit qu’est le vivre ensemble : communauté de vie et partage avec les pauvres. Et pas en tant que pauvres ! En tant que frères !

Bien sûr, ce récit est idyllique, mais il reste quand même la marque de l’église ( = la communauté) qui se crée autour de la présence et du faire mémoire de ce Jésus le Christ, qui, bon sang de bonsoir, n’a pas fini de dire son dernier mot. Puisque je suis, puisque nous sommes, nous les suivants de Jésus le Christ, son dernier mot.

Idyllique parce que le « voyez comme ils s’aiment » n’a probablement jamais existé tel que nous l’imaginons. Dommage, n’est-ce pas ? Et pourtant, il a existé et existe dans nos désirs, nos envies, notre projection du meilleur de ce que nous avons à faire ensemble. Vivre ensemble, nous accueillir mutuellement dans nos différences, ne pas nous juger partager nos biens, protéger les plus fragiles.

Vision idyllique mais pas fausse : oui nous sommes une famille, oui nous sommes tous les aimés du Père, les frères de ce Jésus venus sur nos chemins nous réconcilier avec nous-mêmes et les uns avec les autres. Oui, oui et oui !

Jésus vient nous visiter dans nos confinements et l’Esprit vient nous inviter à sortir de ces confinements. Infini respect de nos enfermements, de nos traumatismes, baume guérisseur sur nos plaies de non amour par Jésus notre frère, mais invitation à nous décentrer de notre petit moi, y compris dans notre petit moi blessé, pour aller en guéri, en sauvé, en ressuscité, partager cette bonne nouvelle au monde entier.

Ce n’est pas magique. Cela vient forcément de l’intérieur, pas de l’extérieur. Cf l’article que j’ai déjà posté sur ce sujet à propos de flammes de Pentecôte non pas qui se posent mais qui apparaissent en chacun : Et si on s’asseyait !

Notre confinement à chacun. De nous-même à nous même. Jésus vient le partager et nous en libérer. L’Esprit de Jésus vient en faire une force qui va témoigner dans le monde entier.

Et comment c’est possible ? Je n’en sais rien… Mais je trouve qu’il est un peu trop rapide de dire que la fête juive de Chavouot (terme hébreu pour dire Pentecôte) n’a rien à voir avec la Pentecôte chrétienne comme je l’ai lu récemment ici ou là.

D’abord parce que Luc qui écrit les Actes des Apôtres, certes en milieu hellénisant mais en devant tenir compte des judaïsants de la diaspora, ne peut pas ne pas faire le lien avec Chavouot quand il évoque la fête de Pentecôte. Et puis, dans cette reconstruction théologique postérieure que sont les évangiles et les actes, comment ne pas voir que c’est savamment voulu et porteur de sens ? Quoi qu’il en soit de la véracité historique, si ça n’avait pas de sens, il n’aurait pas eu besoin de mentionner la fête de Pentecôte, il suffisait alors de mentionner que les apôtres étaient confinés avec leur trouille dans un coin de Jérusalem et qu’un événement imprévu est venu les en libérer et les en faire sortir.

Alors, pourquoi ne pas se souvenir que la Pentecôte/Chavouot est tout simplement la fête des moissons ? Le temps où on récolte, où on partage, où on assure la vie pour les temps qui viennent…

Il y a un temps où on sort de la cabane (eh oui ! Voir ici), re-gaillardi, soigné, guéri, libéré, et où on s’occupe des autres et de ce monde qui va mal. Oui, il est un temps où on moissonne.

Le temps de la germination et de la floraison est terminé. C’est le temps de la moisson. Qu’ai-je à moissonner dans ma vie, quels grains ai-je à apporter au moulin, quelle farine à celui qui meurt ?

Ok ok, c’est peut-être pur délire de ma part. Ok… Mais pourquoi Jésus dit-il ailleurs qu’il espère qu’il y aura assez de moissonneurs ? Si chacun ne moissonne pas dans sa vie, qu’a-t-il à moudre ? Qu’a-t-il à apporter? Qu’a-t-il à partager ?

Bon, certains relèvent que le sens de fête de la moisson (Chavouot) a cédé le pas sur une fête rappelant le don de la Loi. D’accord, et cela fait-il une différence ? Si tu as reçu la Loi, t’enfermes-tu dedans et cadenasses-tu toutes les issues, ou prends-tu sa puissance de vie, sa puissance structurante, pour jaillir de terre et porter ton fruit? La loi – bien comprise ! – c’est la vie, Jésus n’a de cesse de le rappeler. Il n’y a pas de loi divine qui ne soit au service de la vie. Loi qui dépasse les règlements réducteurs qu’on en fait. Un seul principe : la vie!

Fête des moissons, fête du don de Loi, fête de l’Esprit : c’est exactement pareil au fond. Après le temps de l’appropriation, il faut porter du fruit, sortir le fruit – pour me faire bien comprendre, je vais employer un mot fort : expulser le fruit de soi. Donc oui sortir du confinement, sortir de la Loi, vivre de l’esprit qui nous a fait naître et nourrit. Il est un temps où il faut sortir et donner à la terre – c’est à dire à l’extérieur, aux autres – ce qui lui revient. Regardez une tubercule germer par exemple: c’est tellement merveilleux ! Voilà une pomme de terre, bien lisse de partout, avec une consistance apparemment uniforme, et voilà que, quand les conditions sont réunies, le processus de germination s’enclenche…

Quelle merveille n’est-ce pas que la vie confinée, que la Loi méditée et ruminée, que l’esprit de Dieu observé en ce Jésus qui a croisé nos chemins, ne puisse que jaillir de nos propres existences.

Bon réveil, les moissonneurs ! Bon déconfinement !

Photo : Ben Brooksby, alias The Naked Farmer qui publiait des photos de son activité d’agriculteur dans le plus simple appareil mais toujours de manière pudique jusqu’à ce qu’Instagram lui ferme son compte.