“Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi.”
Jn17, 11

Waouh, faut oser quand même !

Je suis absolument certain que les croyants ne se rendent pas compte de l’immensité de cette parole. Le mot “monde”, on a tellement l’habitude de l’entendre qu’on n’y prête plus attention. On l’a affadi, on le comprend souvent comme “mondanités”, petites choses, là où on est, avec nos contingences.

C’est pas faux, mais c’est très réducteur.

Car le mot qu’emploie l’évangéliste et qu’on a traduit par monde est ni plus ni moins que le cosmos. pas notre petit monde quotidien, non, mais l’ensemble du monde, l’ensemble du monde ! L’univers ! Le COSMOS (kosmos, en grec).

L’évangéliste Jean l’utilise pour la première fois dès le premier chapitre, au verset 9, parlant du Verbe qui était au commencement (v1) avec Dieu (v2), qui était la vie (v4), et lumière des hommes (v4 aussi) et : “Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde (kosmos), éclaire tout homme” (V9)

Waouh !

Il est question de cosmos, là. Pas de petites choses matérielles et d’embrouilles de tous les jours. De l’univers entier !

Cette lumière, là.. oui, l’évangéliste dit aussi qu’ “elle était dans le monde (kosmos), et le monde (kosmos) a été fait par elle, et le monde (kosmos) ne l’a point connue.” (Jn 1, 10)

Vous en voulez d’autres ?

En Jn 1,29 alors que Jésus vient à Jean le Baptiste, celui-ci dit : “Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde (kosmos)”. En clair: voici celui qui empêche le monde d’aller dans sa mauvaise direction, d’aller à sa perte. (sur le péché comme mauvaise direction, voir ici)

En Jn 3,16 il est est question de savoir pourquoi Dieu s’intéresserait au monde et en quoi ça concerne ce Jésus-là qui est venu parmi nous : ” Car Dieu a tant aimé le monde (kosmos) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.”

Etc. Je ne peux quand même pas tous les citer. Mais dites donc, est-ce que vous vous rendez compte de ce que ça signifie ? Quand Jésus dit qu’il est le pain de Dieu celui “qui donne la vie au monde (kosmos)” par exemple, que le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde (kosmos), quand il dit qu’il est venu dans le monde pour l’éclairer, pour lui apporter une paix qui n’est pas de ce monde [Jn 14, 27: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde (kosmos) donne.”] c’est qu’enfin la pacification de nos êtres est commencée, et pas seulement de nos êtres du coup mais aussi de toute la création. Interrogeons-nous si nous ne la ressentons pas encore, peut-être sommes encore trop dans le cosmos (le monde), pas encore traversés par la lumière?

Waouh…

“Désormais je ne suis plus dans le cosmos, eux (nous !) sont dans le cosmos et je viens vers toi.”

En fait, ça pourrait être assez désespérant. Genre, je les quitte,je les abandonne, je retourne au Père, au dessus de la ligne qui sépare le Royaume des cieux et le Royaume du monde, du cosmos. Sauf que 1/ le Royaume des Cieux est déjà là 2/que la lumière est venue dans le cosmos 3/ que l’Esprit nous est envoyé pour continuer à être cette lumière.

Ce pourrait être désespérant, oui, sauf que justement l’Evangile de Jean est celui qui insiste le plus sur le fait que le Verbe s’est fait chair justement parce que le monde (le cosmos) n’a pas reconnu la lumière qui l’a créé. Plus exactement, les hommes n’ont pas reconnue la lumière et ont perdu cet esprit de vie pour se laisser “fasciner par l’esprit du monde” – un faux esprit – qui loin de leur donner l’autonomie rêvée les entraîne vers leur destruction. La mort, la vie : il faut choisir. Pour choisir, discerner. Pour discerner, savoir que les deux existent (Jn 12, 25 : Jn 12, 46; Jn 12, 47).

Ce brave Jean, est celui qui insiste le plus sur sur ce sujet, il faut croire que cela le travaille. On trouve le mot cosmos dans 152 versets du second testament, dont 55 dans l’évangile de Jean (Et pour ne parler que des versets car si on compte le nombre de fois où le mot est utilisé plusieurs fois dans le même verset – spécialité de cet évangéliste 😉 – c’est bien plus d’occurences encore.) Si on s’en tient aux quatre évangiles, le mot cosmos n’y apparaît que dans 69 versets, ce qui fait de l’évangile de Jean le grand champion : ramené aux quatre évangiles, 80% des versets employant le mot cosmos sont dans celui de Jean. C’est dire si c’est important pour l’auteur de cet évangile.

Mais alors pourquoi tout ça ?

Ce serait un peu long à expliquer, mais en gros c’est un peu comme si Jésus le Christ avait restauré l’échelle de Jacob. A nouveau, la communication terre-ciel est rétablie. A nouveau l’esprit peut innerver la terre. A nouveau la vérité de notre condition et de notre destinée peut se déployer. A Pilate qui l’interroge sur sa royauté, Jésus répond : “Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde (kosmos) pour rendre témoignage à la vérité.” (Jn 18, 37)

Même son de cloche un peu auparavant quand il répond à Jude, à ne pas confondre avec Judas l’Iscariote, qui l’interroge clairement sur cette apparente opposition entre ciel et terre, Monde et Royaume du Père, et finalement sur le comment et le pourquoi il se ferait que lui et ses copains disciples ils recevraient quelque chose que le reste du monde aurait plus de mal à recevoir : “Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous, et non au monde (kosmos) ?”(Jn 14,22)

La réponse de Jésus est claire : “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.” (Jn 14, 23) où parole, n’est-ce pas, est logos ( Au commencement était le logos), et aimer est agapeo, un verbe très intéressant puisqu’il suggère plus que le fait d’aimer (phileo) mais aussi d’accueillir, d’agréer.

Bref, le courant est rétabli.

Jésus, comme envoyé du Père (messie, christ), apporte au monde (kosmos) la lumière que les hommes ont rejeté ou n’ont pas su reconnaître. Cette lumière qui est vie… et vie éternelle. Ceux à qui il a pu la partager, ils les a gardés, et désormais la lumière est à nouveau dans le monde (kosmos). Il sont reliés, unis, uns avec lui et avec le Père. Et désormais, la lumière ne peut que grandir à nouveau dans le coeur des hommes.

Nous assistons à une cosmologie divine. Non, je m’exprime mal. Nous n’assistons pas, nous sommes propulsés dans une cosmologie divine dont nous devenons les acteurs par le simple fait que nous ayons rencontré Jésus le Christ et que sa lumière nous a touchés.

Désormais le monde ne peut plus fonctionner comme avant, il est sanctifié par la vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ. Et cette puissance de vie qui le traverse est plus forte, quoiqu’il en soit des apparences, que les forces de mort du monde (“cosmos”) qui entraînent les hommes quand ils ne sont plus réceptacles de lumière.

Affreux anthropomorphisme, à vrai dire. Car la nature a ses lois d’équilibre et d’harmonie bien plus sûres que celles des hommes. Et justement, peut-être parce que dans son instinct de survie vital, si je puis dire, elle n’a pas loisir de refuser la lumière pour laquelle les humains, quant à eux, ont reçu liberté d’accueil et d’accomplir.

Il me vient à penser qu’une certaine tradition juive, amoureuse de la création au point d’encourager la créativité dans toutes ses formes artistiques, ainsi que la cosmologie célébrée dans la liturgie céleste orthodoxe, ont peut-être sauvegardé cette célébration de la lumière bien plus que n’ont su le faire les traditions chrétiennes occidentales.

Toujours est-il que la lumière est venue dans le cosmos, et que Jésus, lumière des hommes venu dans le cosmos s’en retournant au Père, la question est bien : qu’allons-nous faire de cette lumière qu’il nous a transmise, qu’il a restauré dans le cosmos? L’univers entier devrait en profiter, devrait la célébrer. Quand je dis l’univers, je vise bien notre maison commune, comme l’appelle le pape François, mais aussi la qualité de nos relations sociales entre humains et avec les autres vivants.

Waouh, ça aussi… Jésus nous laisse dans le cosmos. Ca y est, sa mission est remplie (ou presque, on recevra l’esprit-saint à la Pentecôte!), mais bon sang, on va en faire quoi alors de ce cosmos?


Photo : The Golden Hair, cliché de Maxence Brierre sur flickr

“Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?”
Act 1,6

L’histoire des représentations et notre imaginaire aiment bien se représenter Jésus, sur une colline, qui s’élève dans les airs.

Le texte des Actes des Apôtres ne dit pas ça.

Il parle d’un repas – un de plus ! – durant lequel s’établit une conversation entre Jésus et les désormais onze apôtres et pas encore à nouveau douze.

Et sans transition, voilà qu’il s’élève dans le ciel et que ses amis continuent de fixer le ciel jusqu’à ce que des envoyés de Dieu lui-même – des anges ! – leur demande d’arrêter de fixer le ciel et de retourner à leurs affaires, non sans avoir préciser que ce Jésus reviendrait de la même manière qu’il est parti. Du ciel, donc.

A propos de ce ciel, je renvoie donc à ce que j’en disais récemment (ici), qui peut être utile à ne pas interpréter n’importe comment. Il y aurait le ciel où est Jésus, d’où il reviendra. Et il y aurait la terre de Galilée (très à propos, le texte rappelle aux amis de Jésus qu’ils sont galiléens, donc pas judéens, pas vraiment attachés au culte du Temple et d’Israël…). En fait, comme Jésus a brisé cette séparation fictive entre ciel et terre, cela interroge à nouveau. De quel ciel parlons-nous, où est-il parti et d’où va-t-il revenir ?

Et c’est là que la question « Est-ce maintenant ? » et du contexte du repas prennent tout leur sens.

Repas… Avec nos deux mille ans d’histoire, on pense tout de suite au repas eucharistique. Forcément. Un repas, en présence du Ressuscité, qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ? Cela étant, c’est un repas entre amis, entre vrais amoureux de Jésus. Les onze, encore un peu froussards ne sont pas là juste par convention sociale ou représentation de leur identité culturelle catholique.

« Galiléens », « vous recevrez une force », « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel », « ne pas quitter Jérusalem », « y attendre que s’accomplisse la promesse du Père »… Autant d’éléments qui incitent à se rapprocher du concret et à ne pas chercher à s’évader des circonstances historiques et matérielles dans lesquelles nous sommes invités à vivre.

Au passage, le rappel qu’ils sont Galiléens renseigne sur la réponse concernant un royaume qui ne viendrait que pour Israël. Assumez donc d’être galiléens, d’être au carrefour des nations. Assumez votre ici et maintenant, au lieu de vous chercher des missions prestigieuses et rêvées.

Et maintenant alors, qu’est-ce qu’on fait ?

La réponse de Jésus, telle que rapportée dans ce texte est tellement d’actualité ! En gros – interprétation libre, bien sûr : ne vous préoccupez pas des changements socio-politiques, ça n’est pas votre affaire, mais témoignez de ce que vous avez compris de mon évangile. Vous allez recevoir une force pour cela, une force intérieure.

Pourquoi je dis intérieure ? Parce que Jésus passe quarante jours à leur parler en privé du Royaume des cieux, nous dit le texte – et que s’il est cohérent il est encore en train de leur dire qu’il est déjà là. Mais si on regarde bien, la force, ce n’est pas lui qui va leur donner, il s’en va, il reviendra, mais la force viendra du Père ( ?) (c’est pas précisé), en tout cas cette force semble s’appeler l’Esprit Saint. Et pourquoi ce n’est pas Jésus qui envoie sinon parce qu’il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme celui sans qui rien n’est possible mais de recevoir REELLEMENT et TOTALEMENT cet esprit pour soi, en soi. C’est le même Esprit que celui de Jésus, mais il est promis à tous. Donc il faut authentiquement le recevoir et l’accueillir en soi, en sa propre humanité.

Bon, ben alors, est-ce maintenant ? Euh, oui, il se pourrait bien que ce soit maintenant que tu reçoives l’esprit qui animait Jésus et que tu sois chargé et envoyé pour continuer de le répandre sur cette pauvre terre! Souviens-toi : le ciel s’est abaissé, Jésus comme Christ en a franchi les limites, et cette force du ciel déjà en action (le Royaume des Cieux est déjà là) n’attend plus que toi. Cette fameuse distinction entre Royaume et Règne… Le Royaume est déjà là, mais est-ce qu’il règne déjà en toi ?

Il se pourrait bien en effet que le ciel soit descendu jusqu’à toi, mais toi es-tu là?

Si oui, qu’attends-tu pour aller ? Si non, qu’attends-tu pour le recevoir ? Tu ne vas pas encore nous faire le coup des scribes et pharisiens qui jugent de l’extérieur, font des commentaires sur tout et n’importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, non ?

Est-ce maintenant ? Ca dépend de toi… tu es où, là, maintenant ? Tu fais quoi pour que le Royaume des Cieux soit dans ta vie et que cela irradie au-delà de toi ?

Attention, je ne parle pas de grandes dévotions sur le Christ Roi, le Règne céleste, la suprématie du Christ, etc. telles qu’elles ont été dévoyées dans une fantasmagorie avide de merveilleux et de soumission – tellement pas le message de Jésus tel que nous le transmettent les Evangiles ! Je parle de cette cohérence de vie, de cœur et d’action qui fait qu’en te voyant, en te touchant en te côtoyant, on puisse se dire : le Royaume des Cieux est venu jusqu’à nous, Dieu nous aime et nous ne le savions pas, Dieu accepte notre humanité et ne la juge pas. Dieu nous aime, quoi ! Tels que nous sommes !

Moi, je ne fais pas plus ni mieux que les autres, j’essaie d’être cohérent et par ce modeste blog de témoigner de l’amour de Dieu envers chacun. Et toi que fais-tu ? Parce que, c’est maintenant.

– – – – – – – – –

Photo : Tobias Worth photographié par © Michael Laurien pour Adon Magazine

“Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?”
Act 1,6

L’histoire des représentations et notre imaginaire aiment bien se représenter Jésus, sur une colline, qui s’élève dans les airs.

Le texte des Actes des Apôtres ne dit pas ça.

Il parle d’un repas – un de plus ! – durant lequel s’établit une conversation entre Jésus et les désormais onze apôtres et pas encore à nouveau douze.

Et sans transition, voilà qu’il s’élève dans le ciel et que ses amis continuent de fixer le ciel jusqu’à ce que des envoyés de Dieu lui-même – des anges ! – leur demande d’arrêter de fixer le ciel et de retourner à leurs affaires, non sans avoir préciser que ce Jésus reviendrait de la même manière qu’il est parti. Du ciel, donc.

A propos de ce ciel, je renvoie donc à ce que j’en disais récemment (ici), qui peut être utile à ne pas interpréter n’importe comment. Il y aurait le ciel où est Jésus, d’où il reviendra. Et il y aurait la terre de Galilée (très à propos, le texte rappelle aux amis de Jésus qu’ils sont galiléens, donc pas judéens, pas vraiment attachés au culte du Temple et d’Israël…). En fait, comme Jésus a brisé cette séparation fictive entre ciel et terre, cela interroge à nouveau. De quel ciel parlons-nous, où est-il parti et d’où va-t-il revenir ?

Et c’est là que la question « Est-ce maintenant ? » et du contexte du repas prennent tout leur sens.

Repas… Avec nos deux mille ans d’histoire, on pense tout de suite au repas eucharistique. Forcément. Un repas, en présence du Ressuscité, qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ? Cela étant, c’est un repas entre amis, entre vrais amoureux de Jésus. Les onze, encore un peu froussards ne sont pas là juste par convention sociale ou représentation de leur identité culturelle catholique.

« Galiléens », « vous recevrez une force », « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel », « ne pas quitter Jérusalem », « y attendre que s’accomplisse la promesse du Père »… Autant d’éléments qui incitent à se rapprocher du concret et à ne pas chercher à s’évader des circonstances historiques et matérielles dans lesquelles nous sommes invités à vivre.

Au passage, le rappel qu’ils sont Galiléens renseigne sur la réponse concernant un royaume qui ne viendrait que pour Israël. Assumez donc d’être galiléens, d’être au carrefour des nations. Assumez votre ici et maintenant, au lieu de vous chercher des missions prestigieuses et rêvées.

Et maintenant alors, qu’est-ce qu’on fait ?

La réponse de Jésus, telle que rapportée dans ce texte est tellement d’actualité ! En gros – interprétation libre, bien sûr : ne vous préoccupez pas des changements socio-politiques, ça n’est pas votre affaire, mais témoignez de ce que vous avez compris de mon évangile. Vous allez recevoir une force pour cela, une force intérieure.

Pourquoi je dis intérieure ? Parce que Jésus passe quarante jours à leur parler en privé du Royaume des cieux, nous dit le texte – et que s’il est cohérent il est encore en train de leur dire qu’il est déjà là. Mais si on regarde bien, la force, ce n’est pas lui qui va leur donner, il s’en va, il reviendra, mais la force viendra du Père ( ?) (c’est pas précisé), en tout cas cette force semble s’appeler l’Esprit Saint. Et pourquoi ce n’est pas Jésus qui envoie sinon parce qu’il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme celui sans qui rien n’est possible mais de recevoir REELLEMENT et TOTALEMENT cet esprit pour soi, en soi. C’est le même Esprit que celui de Jésus, mais il est promis à tous. Donc il faut authentiquement le recevoir et l’accueillir en soi, en sa propre humanité.

Bon, ben alors, est-ce maintenant ? Euh, oui, il se pourrait bien que ce soit maintenant que tu reçoives l’esprit qui animait Jésus et que tu sois chargé et envoyé pour continuer de le répandre sur cette pauvre terre! Souviens-toi : le ciel s’est abaissé, Jésus comme Christ en a franchi les limites, et cette force du ciel déjà en action (le Royaume des Cieux est déjà là) n’attend plus que toi. Cette fameuse distinction entre Royaume et Règne… Le Royaume est déjà là, mais est-ce qu’il règne déjà en toi ?

Il se pourrait bien en effet que le ciel soit descendu jusqu’à toi, mais toi es-tu là?

Si oui, qu’attends-tu pour aller ? Si non, qu’attends-tu pour le recevoir ? Tu ne vas pas encore nous faire le coup des scribes et pharisiens qui jugent de l’extérieur, font des commentaires sur tout et n’importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, non ?

Est-ce maintenant ? Ca dépend de toi… tu es où, là, maintenant ? Tu fais quoi pour que le Royaume des Cieux soit dans ta vie et que cela irradie au-delà de toi ?

Attention, je ne parle pas de grandes dévotions sur le Christ Roi, le Règne céleste, la suprématie du Christ, etc. telles qu’elles ont été dévoyées dans une fantasmagorie avide de merveilleux et de soumission – tellement pas le message de Jésus tel que nous le transmettent les Evangiles ! Je parle de cette cohérence de vie, de cœur et d’action qui fait qu’en te voyant, en te touchant en te côtoyant, on puisse se dire : le Royaume des Cieux est venu jusqu’à nous, Dieu nous aime et nous ne le savions pas, Dieu accepte notre humanité et ne la juge pas. Dieu nous aime, quoi ! Tels que nous sommes !

Moi, je ne fais pas plus ni mieux que les autres, j’essaie d’être cohérent et par ce modeste blog de témoigner de l’amour de Dieu envers chacun. Et toi que fais-tu ? Parce que, c’est maintenant.

– – – – – – – – –

Photo : Tobias Worth photographié par © Michael Laurien pour Adon Magazine

“Je suis descendu du ciel
pour faire non pas ma volonté,
mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.
Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé :
que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés.”
(Jn 6, 38-39a)

L’Evangile de Jean m’a toujours paru bizarre, compliqué, redondant, lassant… Certains spécialistes ont prétendu qu’il était peut-être à considérer dans la tradition gnostique, c’est-à-dire cette famille spirituelle qui pense grandir spirituellement à travers la connaissance et une initiation plus ou moins secrète mais en tout cas progressive dans les choses de Dieu.

Pour ma part, je n’en sais rien, je le trouve juste compliqué. Et tant qu’à faire de le partager avec le grand nombre, cet Evangile mériterait bien d‘être décodé.

Alors je vous dis comment je fais.

Comme je veux comprendre au moins un peu, fidèle à moi-même, j’ai alors le réflexe d’aller voir le texte original en grec. Et sur l’Evangile d’aujourd’hui, je me laisse d’abord interpeller par le fait que Jésus dit qu’il est venu du ciel. Ca ne me gêne pas qu’il dise cela, mais du point de vue historique, c’est hautement improbable – dans le monde juif de l’époque, il aurait été lapidé avant la fin de sa phrase ! Non il s’agit bien d’une interprétation théologique ultérieure. Alors plutôt que de me focaliser sur une parole sacrée et définitive qui viendrait de la bouche-même de Jésus (comme si elle-même elle descendait du ciel, lol), j’essaie de comprendre ce que l’auteur et sa communauté ont voulu partager.

« Descendu du ciel », ça donne quoi en grec ?

Descendu : katabaino, ou plus exactement kata-baino. Baino désigne un mouvement fait avec les pieds, comme marcher, venir. Et kata… c’est plus compliqué parce que c’est une particule première (une sorte de préposition) que l’on peut traduire de différentes manières selon le contexte : à, de, en, vers, selon… voire « vers le bas » comme dans le mot cata-strophe : un virage, tournant, vers le bas.

Il semble que associés ensemble, les deux mots kata-baino, indiquent le fait d’aller vers le bas, de descendre, ce que l’on retrouve donc dans l’évangile de Jean. Plus spécifique à Jean, ce verbe est souvent associé au ciel pour parler de Jésus : il est descendu “du ciel” ou plus exactement “il vient du ciel dans un mouvement de haut en bas”. Cette dernière formulation est moins jolie, mais elle permet de rendre compte à la fois de l’idée volontaire de venir, marcher, utiliser ses pieds, et d’un mouvement vers le bas, que contient le mot katabaino.

Alors le ciel ? En grec, ouranos… Peu d’équivoque sur ce mot. Notons seulement que Jean ne l’emploie pour ainsi dire que pour désigner “ce qui vient” du ciel et l’on peut comprendre que c’est une métaphore pour désigner Dieu. Les autres évangélistes parlent par exemple des “oiseaux du ciel” où la métaphore marche moins bien puisque les oiseaux, on les imagine quand même se poser à un moment donné sur la terre ferme ou sur une branche d’arbre. Ils ne vivent pas en apesanteur.

Revenons à Jean. Le ciel semble être celui de Dieu. On en descend. Jésus en descend, et aussi le pain du ciel (Jean 6, 31-41) qui pourrait être la manne donnée aux Hébreux dans le désert mais dont on comprend, par un procédé d’identification, que c’est Jésus lui-même qui est ce pain venu du ciel. Donc donné, envoyé par Dieu.

L’évangéliste doit lui-même faire état des incompréhensions que cela soulève (Jn 6, 41-42) : comment ce Jésus que nous voyons en chair et en os peut-il affirmer descendre du ciel ? “Venir” du ciel ?

Ben oui, c’est un peu compliqué à comprendre et à admettre… Et pourtant, il doit bien y avoir un message.

Mais alors de quel ciel parle-t-on ? Le grec semble trop pauvre pour nous renseigner sur le ciel dont on parle ici. Allons voir ce qu’en dit la tradition biblique, en hébreu. Et là nous tombons sur le mot shamayim, qui désigne, au pluriel, “les cieux”, mot qui apparaît dans 395 versets. Ce qui n’est pas rien.

Sans entrer dans les détails, relevons que dans le monde hébraïque, quand le mot shamayim, les cieux, est employé, ce n’est pas Dieu, c’est juste la limite entre le monde des hommes et celui de Dieu. Au-dessus des cieux, il y a Dieu ; en dessous, il y a le monde créé. Les cieux furent le premier acte de création. « Au commencement, Dieu créa les cieux (shamayim) et la terre. » (Gn 1, 1)

Par son usage, voilà une signification bien plus riche que ne le laissait supposer le terme grec ouranos. Quand Jésus dit qu’il descend des cieux, il ne dit pas qu’il vient de l’espace intersidéral à la façon dont la science-fiction pourrait nous le faire imaginer. Il n’est pas comme éjecté du ciel et envoyé dans une capsule pour nous rejoindre. Je m’étonne même, en l’écrivant, n’avoir jamais vu auparavant l’explication qui me vient maintenant : l’expression « descendre du ciel » veut juste dire qu’il n’y a justement plus cette limite factice entre un monde qui serait celui de Dieu et un monde qui serait celui de la création en général et des hommes en particuliers, le monde du dessus et le monde du dessous.

Il est descendu du ciel : il a ouvert le ciel qui semblait être une limite entre les hommes et Dieu. Limite de compréhension à vrai dire, puisque Jésus ne vient pas abolir mais accomplir : c’est juste que nous n’avions pas encore compris que le Royaume de Dieu, il n’est pas aux Cieux, il est sur terre aussi, actuellement à l’œuvre. Il n’y a pas à se désespérer que Dieu soit loin : Dieu est là, dans la création, dans l’humanité, au cœur de l’humanité, et le ciel, il est déjà dans tous les cœurs qui frémissent à la rencontre du Fils de l’homme. Les cieux, c’est un peu synonyme du Règne de Dieu, il n’est pas ailleurs, là-bas, très loin, au-delà. Il est là maintenant, incarné, venu sur terre, marchant avec nous concrètement (kata- baino), là où nos pieds sont posés.

Bien. Cela étant, pour moi qui m’exprime ici en tant qu’homosensible chrétien, tout ce qui précède n’a pas d’autre intérêt que d’introduire au verset qui suit :

“Telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé :
que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés”

Les perdus que nous sommes

Passons rapidement sur la volonté, thelema qui vient du verbe theleo, que l’on pourrait aussi traduire par souhait, désir ou plaisir. Ca n’est pas très important en soi, mais, quand même, cela permet de nuancer le côté autoritaire qui est aujourd’hui connoté avec le mot volonté. La « volonté » de Dieu, ce n’est pas un acte despotique de Dieu qui exigerait quelque chose de ce Jésus envoyé dans sa capsule intersidérale, c’est aussi son désir, son souhait, son plaisir. Il plaît à Dieu de ne perdre personne et de venir lui-même nous le manifester, venir nous chercher (parallèles possibles, bien sûr avec la parabole du fils prodigue, racontée dans l’évangile de Luc, et plein d’autres passages). Et donc, tel est le souhait, le désir, le plaisir de celui dont je viens, dit Jésus : ne perdre aucun de ceux qu’il m’a donnés.

« Donnés »… Là encore, attention aux quiproquos que pourraient provoquer les interprétations et connotations différentes du mot “donner”. Le grec emploie ici le mot didomi, souvent employé dans le Nouveau Testament comme dans le notre Père : “donne-nous notre pain quotidien”, ou pour rester chez Jean, dans l’évangile de la samaritaine (Jn 4, 15) : “donne-moi de cette eau…” Il s’agit de l’idée de procurer ce dont on a besoin, de fournir… Le mot didomi ne suggère absolument pas que nous serions des « choses » données à Jésus de manière autoritaire. Non, nous sommes ce dont il a besoin. Sa vie, son besoin, sa subsistance pourrait-on dire.

Reste ce mot sur lequel je voulais finir : les perdus, ceux qu’il ne faut pas perdre. En méditant ce texte, tout de suite mon attention a été attirée par ceux-là, mais, pour bien les situer, il me fallait ce long détour pour y revenir.

Le mot grec employé pour dire perdu est “apollumi“. Le préfixe apo est un privatif comme dans apo-calypse, apo-strophe apo-stasie et llumi désigne la mort, la destruction, la ruine. Il s’agit donc d’échapper à la mort, au néant, au vide. Être retiré de la mort, du néant, de la destruction. Pas question qu’on aille vers le néant alors qu’on est faits pour la vie !

A vrai dire, c’est même plus fort que ça. L’évangile de Jean insiste à plusieurs reprises, avec ce même mot apollumi, sur le fait qu’il ne peut pas y avoir de reste, il n’y a personne qui doive périr.

On trouve cette idée dès le premier emploi de allumi en Jn 3,16 : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné (didomi) son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse (apollumi) point, mais qu’il ait la vie éternelle. »

Et pour citer un autre exemple intéressant parce qu’un peu décalé, et qui fait penser du coup qu’il y a une métaphore qui s’adresse à nous par analogie, en Jean 6, 12, après la multiplication des pains « lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde (apollumi). »

Evidemment, en contexte d’homophobie latente, y compris et d’abord à l’intérieur du monde chrétien, cette indication que Jésus ne veut perdre personne interpelle. N’a-t-on pas coutume de dire de quelqu’un qui n’est pas dans la norme qu’il est perdu ou qu’il se perd ? Et notamment les personnes homosexuelles ? Or se perdre, ce n’est pas ça.

En tout cas, dans ce passage d’Evangile, ce n’est pas ça qui est dit. Il s’agit au contraire de ne perdre personne, sans aucune considération autre que de se laisser toucher par le ciel que l’on croyait peut-être se trouver à l’infini au-dessus de nos têtes alors qu’il est déjà là dans nos vies, dans nos coeurs, dans nos veines, dans nos poumons comme l’oxygène qu’on respire.

En résumé, nous dit ce passage, il n’y a personne sous le ciel qui ne doive se perdre, au sens où il serait promis au néant, à la turpitude, à la mort. Et pour pouvoir délivrer ce message, il faut bien entendre, qu’il n’y a plus de limite non plus entre le dessus et le dessous des cieux. Le ciel est venu jusqu’à nous en Jésus, ou plus exactement, en Jésus nous pouvons prendre conscience et goûter que nous sommes faits et avons toujours été faits pour le ciel, c’est-à-dire pour la vie.

Conséquences : si je me sens ou perdu ou rejeté par les événements de la vie, par l’opprobre, par quoi que ce soit ou qui que ce soit, cela ne peut pas interférer avec le plan de Dieu qui est que je ne me perde pas. L’apparence peut être trompeuse, mais la réalité est là : comme le dit l’apôtre Paul, RIEN ne peut nous arracher à l’amour du Christ.

Qu’il soit bien clair alors que l’orientation sexuelle notamment n’a rien à voir avec le fait d’être désiré, voulu, par Dieu qui brise les frontières pour me rejoindre et m’assurer que je ne peux pas me perdre si, une fois pour toutes, je choisis la vie, ma vie, ce qui me déploie et m’épanouit, quoi qu’il en soit des bassesses et autres petitesses qui voudraient m’empêcher de croire que les cieux se sont abaissés jusqu’à moi autant qu’à tous les êtres humains et… – même si ce n’est pas le sujet, je le signale au passage – qu’à toute la création ! Et je n’en serais pas ? Quelle blague !

Z – 29/04/2020

Photo : Matthew Sato sur instagram @itsmattsatto ou sur saveig @mattsato/

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste,
il se retira en Galilée.
Il quitta Nazareth
et vint habiter à Capharnaüm,
ville située au bord de la mer de Galilée,
dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
(Mt 4, 12)

Jésus déménage, c’est Mathieu qui le dit.

Pas déménage au sens « ça déménage ».
Non, il déménage vraiment, il change de ville, d’habitation.

Plus exactement, il se retire.
Anachoreo, en grec, verbe qu’on trouve principalement employé chez Mathieu, à chaque fois pour désigner le mouvement de partir, de repartir même. Se retirer est une bonne traduction.

Pourquoi se retire-t-il de Nazareth ?
Pas d’explication.

Y aurait-il un danger particulier à rester à Nazareth, du fait qu’il se soit montré disciple de Jean-Baptiste ? M’enfin, à Nazareth, ce bled perdu de Galilée…

Il se retire.

On peut comprendre cette action aussi comme celle de passer à autre chose, de s’extraire d’une réalité pour passer à une autre. Se retirer non pas pour se protéger, mais parce que ça y est, c’est le temps de l’envol. Arrêter Jean, c’est apparemment le déclencheur.

Il se retire, non pas au désert comme pour faire une retraite. Non, il choisit d’aller et habiter à Capharnaüm, cette ville de pêcheurs et de commerce située sur la mer de Galilée, où se croisent de nombreuses ethnies. Une ville active où ça bouge tout le temps.

Pas vraiment le style du Baptiste,à cheval entre désert et Jourdain. Jésus, lui, choisit d’habiter en ville, au milieu des gens. Et de leur parler, les appeler. Il semble qu’il s’y fasse des amis. Les Evangiles nous diront qu’il a trouvé logement chez Pierre.

Et puis cette incise du bon Mathieu judaïsant, au cas où on aurait pas compris : à Capharnaüm, vous savez, cette ville, dans les territoires de Zabulon et Nephtali.

Qu’en a-t-on à faire de ces territoires qui, au temps de Jésus, sont déjà oubliés si ce n’est pour nous rappeler la promesse biblique que c’est de ce territoire que viendra la lumière. Le signaler, au passage, c’est évoquer la légitimité de Jésus à être le sauveur attendu.

Il est intéressant aussi de relever que Capharnaüm est la ville la plus citée dans les Evangiles après Jérusalem. Capharnaüm, littéralement la “cité de la consolation”.

Bon, que retenir de ce déménagement pour moi aujourd’hui ?

Qu’il y a des moments dans la vie où je suis invité à me révéler, à prendre le chemin, à partir de là où je suis pour prendre mes responsabilités ailleurs. Sortir de mon cocon, sortir de la sécurité, aller rejoindre l’humanité et me déployer en la rencontrant.

Que me veut donc, aujourd’hui, ce Jésus qui se retire de Nazareth pour se jeter dans l’arène du monde et choisir d’abord une ville où les hommes et les femmes de tous horizons se croisent ?

J’ai envie de le recevoir comme l’invitation à ne pas garder pour soi le trésor que l’on a reçu. Sors, vis, rencontre, fais-toi des amis, avance vers le bien, partage joyeusement. Ne reste pas dans ton village, dans la reproduction de l’identique. Avance !

L’Evangile ne dit pas de quoi Jésus va vivre à Capharnaüm. Va-t-il y exercer ses talents de charpentier ? Mystère ! L’évangéliste ne nous montrera plus désormais qu’un Jésus en pleine activité apostolique. Grand silence sur ses conditions de vie. Prenons ça comme une invitation à déménager sans emmener ses oripeaux mais en faisant du neuf. Je ne vis pas de mon métier (même si celui-ci me donne l’alimentaire), je vis de ce que je suis. Laisser se déployer l’être que je suis, voilà certainement le plus important.

Z- 26/01/2020

Source image : Iggy Pop à Cincinnati, en 1970