“A leur tour, ils racontèrent ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.” (Lc 24, 35)

M’intéressant à ce que pourrait-être une spiritualité gay (voir ici), je me suis parfois interrogé sur ce que cela changerait si on découvrait que les deux compagnons d’Emmaüs partageaient la condition homosexuelle et étaient, en fait, des compagnons de vie. Après tout, ils cheminent ensemble, vivent ensemble, accueillent Jésus dans “leur” maison… [Mais non, je plaisante ! rien dans le texte n’indique que c’était une maison commune, sinon les circonstances qui les présentent tous trois dînant ensemble en un même lieu, sans aucune mention de serviteurs, familles ou autres personnages.]

Précisons d’emblée que l’orientation sexuelle des pèlerins d’Emmaüs, quelle qu’elle soit, ne change rien au contenu de la foi enseigné par ce passage. Il n’y a pas de différence à chercher dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. Si différence il y a, elle est plutôt dans la réception, la façon dont chacun, dans les circonstances culturelles et historiques qui sont les siennes, dans sa spécificité, va le recevoir, se laisser toucher et éclairer dans la condition qui est la sienne.

Alors, en ne cherchant pas ici la vérité historique mais le sens spirituel de ce passage, imaginons quand même que ces deux compagnons aient pu avoir une orientation homosexuelle. Et, en le recevant avec le coeur et la culture d’un chrétien homosexuel qui écoute la Parole et en attend un éclairage pour sa vie d’aujourd’hui, laissons-nous instruire.

Deux hommes, membres d’un groupe de disciples

La première chose qui me frappe est que, même si la péricope est centrée sur leur rencontre avec le Christ, ces deux hommes sont loin d’être isolés. ils font partie d’un groupe, disent-ils eux-même, dans lequel on trouve les apôtres et des femmes.

Ce groupe de disciples, nous le connaissons. ce sont les amis de Jésus, ceux qui ont en confiance en Lui, ceux qui l’ont rencontré et se sont mis à le suivre. On y trouve les apôtres mais aussi toute cette humanité qui a accueilli la Bonne Nouvelle du Salut. Peut-être y a-t-il une femme pécheresse, un lépreux guéri, un aveugle de naissance qui a retrouvé la vue, un boiteux relevé de son infirmité, un savant prudent qui cherchait la la vérité, et plein d’autres. Aussi, peut-être des personnes avec une orientation homosexuelle.

Aujourd’hui, en tout cas, pour ceux qui sont concernés par cette question, c’est le cas. Ce groupe est assez divers et spécifique en même temps pour que je comprenne que qui que je sois, j’y ai ma place. Le seul critère qui compte est la confiance et l’adhésion à cet homme étonnant qui nous parle de Dieu, Jésus, et qui semble nous réconcilier à la fois avec l’image que nous avions de Lui et, à vrai dire, avec l’idée que nous avions de notre présence en ce monde. Le sens de la vie.

Cela est toujours vrai. Peu importe qui critique, qui méprise, qui rejette, fût-ce même avec des arguments d’autorité que l’on croit à tort tirés des Ecritures ; les Evangiles attestent maintes fois que Jésus doit réexpliquer les Ecritures à tous ces bons juifs – pharisiens, sadducéens, esséniens, etc. – qui croient la connaître et en font même profession.

Seul compte l’attachement au Christ et à cette Révélation que, aujourd’hui, le Salut est venu pour nous et ce, sans conditions. Juste l’acueillir.

Donc, si je suis homosexuel, je peux être convaincu que Non seulement le Christ ne me condamne pas, ni ne me juge, mais bien plus encore qu’il m’accueille tel que je suis me demandant juste de vivre en enfant de Dieu, en vérité, dans la paix et la justice.

“Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.”

Délivrer Israël.. de quoi? Des Romains, de la dynastie royale non davidique, des grands prêtres, des pharisiens ? De la corruption, l’injustice, l’infamie? De la pauvreté, la misère, la souffrance ? Les disciples d’Emmaüs parlent de leur espoir, comment il s’est arrêté brutalement avec l’arrestation et la mise à mort de leur chef, mais on est peu renseigné sur la nature de leurs espérances déçues.

Imaginons la scène transposée aujourd’hui. Quelles seraient les espérances de personnes homosexuelles en proie à une contradiction permanente concernant leur orientation, le dédain auquel elles font face, les plaisanteries homophobes, les sourires en coin, cette condescendance envers elles sur l’air d’une tolérance envers ces “pauvres” qui ne sont pas comme les autres ? Qui est différent de qui, ça se discute, non?

Oui, il y a de quoi espérer d’être délivré. Pouvoir enfin être autorisé à être qui on est, à ne pas être jugé sur l’orientation sexuelle, tout simplement parce qu’on ne la choisit pas et qu’elle n’est en rien un critère pertinent pour déterminer qui serait plus humain qu’un autre.

Ce Jésus qui s’est montré si attentif aux fragiles et aux pauvres, ce Jésus qui en fait ses amis privilégiés, nous l’avons suivi nous aussi. Nous espérions qu’il lève enfin l’opprobre que les hommes lancent si facilement sur les autres. Nous espérions être les bienvenus, nous espérions être invités au banquet, nous attendions le Royaume dont il disait : “Voilà, il est déjà là.”

Mais ils l’ont condamné. Tué. Alors, qu’en est-il de nos folles espérances? Le système est-il toujours plus fort ?


“Il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.”

Tentation du repli. Tentation de s’enfuir tristement et reprendre une vie monotone. Mais non, vous aviez raison d’espérer. Faut-il qu’un étranger vous le redise, vous confirme dans votre joie d’enfants émerveillés? Cet étranger, c’est chaque rencontre, chaque occasion, de ré-interroger les rêves les plus beaux et les plus fous qui ont allumé en nous le désir de vivre et d’avancer.

Alors, il est utile, oui, de relire les Ecritures à la lumière de la Résurrection et de la Promesse de Vie qui animait le petit groupe dont je parlais plus haut. Les Ecritures nous sont parfois hermétiques, susceptibles de différents interprétations, leur sens se refuse à l’orgueilleux qui aimerait les comprendre pour se sentir puissant ou s’en faire un pouvoir sur les autres. Mais, à qui reste attaché à la Promesse de Vie que Jésus a partagée avec les siens, les Ecritures restent le chemin qui dit l’Amour de Dieu.

Fort de la Résurrection du Christ, nous savons que tout homme et toute femme qu’il a accepté dans son compagnonnage est entraîné dans la même folie de Dieu qui nous veut vivants. Nous savons-mêmes que nous ne sommes pas des privilégiés, juste les premiers témoins et que si c’est vrai pour nous, c’est vrai pour toute l’humanité.

Voilà donc la Nouvelle : si j’accepte d’être aimé par Dieu, tout homosexuel que je sois, et si je ne le vis pas seulement comme la consolation qui me serait donnée pour panser mes blessures mais comme l’élan vital qui me fonde et m’entraîne en avant, je deviens à mon tour témoin de la Bonne Nouvelle pour d’autres, homosexuels ou pas. A vrai dire, je le deviens déjà pour mes frères chrétiens qui se sentent réprouvés dans leur foi à cause de leur orientation homosexuelle, et c’est déjà pas si mal, sûrement nécessaire. Mais cela l’est aussi pour tous ceux et celles qui sont perdus dans leur quête existentielle, prisonniers de leurs esclavages, blocages, manques de sens et d’amour parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont irrémédiablement aimés. Voilà en quoi consiste la délivrance. Se savoir aimés.

Montrer que nous nous savons aimés, que la Promesse de Dieu est réalisée, voilà la Délivrance.

“Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Et ils se dirent l’un à l’autre :”Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ?”

Il fallait tout cela pour en arriver là. Il fallait aux pèlerins d’Emmaüs avoir suivi Jésus sur les chemins de Palestine et d’Israël, s’être attaché à lui, lui avoir accordé leur confiance ; il fallait avoir semblé le perdre, être confrontés à leurs désillusions et leur rêves déçus, il fallait qu’il leur soit arraché en quelque sorte, pour qu’ils puissent faire l’expérience de le rencontrer à nouveau mais autrement ; il fallait tous ces renoncements pour que leur coeur soit tout brûlant à nouveau et qu’a posteriori ils sachent qu’il les avaient rejoints et confirmés dans leur appétit fondamental de vie.

L’homosexualité a pu être ressentie comme une souffrance, une blessure, une tare, que sais-je. D’abord par autrui, par la culture ambiante, mais, comme le regard des autres nous importe à l’âge où l’on se structure, par soi-même aussi. Ami qui souffre de te découvrir homosexuel, ne t’enferme pas dans le jugement de toi-même ni dans le déni, regarde seulement ce qui te rend heureux. Quand ton coeur a-t-il été tout brûlant en toi, de cette chaleur qui vient d’ailleurs tout en étant et toi, et qui t’entraîne à te savoir pour un bonheur qui et dépasse et qui t’est promis? L’homosexualité , ce n’est pas d’abord des choses sexuelles, c’est d’abord sentir au fond de soi un désir de vivre et d’être heureux et de constater qu’il s’exprime préférentiellement avec une personne du même sexe.

Si tel est le cas, si ton coeur a été brûlant, s’il tu t’es trouvé révélé à toi-même par l’amour d’une personne du même sexe et tout chaviré par cette découverte, ne crains pas. Il y a une promesse de bonheur incluse dans cette découverte-même et la question est peut-être simplement : “Maintenant , que vais-je faire de ce trésor?”

On me demandera peut-être si je ne confonds pas le fait d’avoir le coeur brûlant à cause du Seigneur et celui d’avoir le coeur brûlant parce qu’on tombe amoureux. Non, je ne confonds pas. Il restera toujours qu’on peut avoir ce genre de’expérience spirituelle en dehors de toute question liée à l’orientation sexuelle, ce qui confirme au passage que la question d’être ami de Dieu n’y est pas liée. Mais il demeure aussi que la rencontre avec le Seigneur est souvent une rencontre amoureuse. Elle n’est pas seulement la survenance d’un fait extérieur, elle est inondation de l’intérieur par une présence qui avait toujours été là mais qui ne nous était pas – pas assez – perceptible.

Cette découverte qu’on dit mystique et qui en fait est si simple n’a, en soi, rien à voir avec l’orientation sexuelle. Mais force est de constater qu’un certain nombre de croyants confrontés à leur homosexualité, fût-ce au prix du déni comme je l’ai été, structurent leur représentation de l’amour de Dieu à travers le filtre idéalisé de l’amour qu’ils s’interdisent : l’ami idéal, l’amant mystique, le Bien-Aimé. Là, dans le secret de leur coeur, l’Amour interdit peut devenir possible parce que c’est celui de l’Ami fidèle et parfait. Ce n’est ni bien ni mal, cela se passe quelquefois ainsi, c’est tout, et on n’en prend conscience que plus tard.

Pour ceux qui sont dans ce cas, ne craignez pas d’être dans la confusion. La découverte de votre orientation sexuelle étant en apparente contradiction avec votre culture et votre éducation, vous avez développé une sensibilité à l’amour de Jésus comme un ami, un frère, qui vous apportait compréhension, consolation et tendresse, vous vous êtes structuré sur cette représentation, et elle n’était pas fausse, elle était vraie. Elle correspond à la manière dont, dans votre situation très particulière (mais toute situation est particulière 🙂 ) Jésus est venu à vous.

Alors, si votre coeur était brûlant quand vous vous êtes senti aimé tel que vous étiez, avec votre orientation sexuelle, accueillez cette expérience comme confirmation de l’amour de Dieu à votre égard tel que vous êtes.

“À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. (…) Ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.”

La découverte des pèlerins d’Emmaüs les remet en route, ils repartent à Jérusalem, ils réintègrent la communauté plus grande et diverse des croyants. Ils témoignent , eux aussi, qu’ils sont aimés du Seigneur, et ce témoignage est autant valable que celui des autres.

Pourtant, ils avaient eux-mêmes entendu les témoignages des femmes et des premiers disciples arrivés au tombeau. Ils avaient entendu, ils savaient. Mais cela ne les avait pas empêchés de repartir tout tristes vers leur village d’Emmaüs. Pourquoi? Parce que savoir et expérimenter, ce n’est pas la même chose. Ils n’avaient pas encore goûté la présence du Ressuscité, il n’avaient pas encore expérimenté la Résurrection en leur vie.

Ami chrétien, qui te sens peut-être perturbé par la découverte ou l’acceptation de ton homosexualité ne perds pas courage. Apprends que le Seigneur Ressuscité ne pourra te visiter et te confirmer en ton être que si tu sais y demeurer toi aussi. Il y a là une source inépuisable d’amour qui s’écoule d’elle-même et donne la force de courir rejoindre le reste de l’humanité, à commencer par sa propre humanité.

Un mot encore sur la fraction du pain – puisque c’est à la fraction du pain qu’ils le reconnurent. Bien sûr, l’Eglise y voit une annonce eucharistique, ce qui laisse imaginer soit que les disciples étaient présents lors de la dernière Cène, soit qu’elle leur avait déjà été racontée (c’est bien rapide!), soit que l’Evangéliste qui écrit postérieurement aux événements ait été influencé par les rites déjà existants de la première communauté lorsqu’il a rédigé ce passage. Il en ressort que même si ce repas ne pouvait pas être une Eucharistie, au sens de messe telle qu’on la pratique aujourd’hui, les compagnons d’Emmaüs ont vécu, expérimenté, une révélation forte lors de la fraction et du partage du pain effectuée par l’étranger.

Je dis fraction et partage du pain, parce que même si la formule consacrée est “fraction du pain”, l’usage que nous montre l’Evangile et qui s’est perpétué jusqu’à nos jours est bien que le pain est rompu pour être partagé. SI leurs yeux s’ouvrent à ce moment-là, c’est que le message est très clair : ce pain qui est béni de Dieu, ce pain qui est nourriture et qui donne la vie, c’est pour le partager. Cette expérience de ressentir de l’intérieur que la Vie est plus forte que la mort, que mon orientation sexuelle n’est ni une condamnation ni un empêchement à avancer, est une invitation à reprendre la route, à ne pas se replier, à vivre en Ressuscité, en témoin de l’Amour.

En conclusion, que changerait le fait que les compagnons d’Emmaüs soient homosexuels? Sur le contenu de la foi, rien. Mais sur la posture, beaucoup. Ils nous montrent qu’on peut être homosexuel, ne pas être focalisé sur cette spécificité – comme ils ne le sont pas non plus sur le fait qu’ils sont d’Emmaüs, par exemple – et ne pas y trouver raison de ne pas recevoir, accueillir, partager, avancer.

C’est un formidable passage d’Evangile pour fortifier la confiance et l’espérance en notre Ami Jésus. C’est Lui qui vient à eux, qui vient à nous. Nous pouvons hésiter, douter, questionner, ce n’est pas grave, il y trouve encore sa place. La seule chose nécessaire est d’être fidèle à soi-même, aux appels de sa jeunesse, à la promesse de vie qui est est présente en chacun de nous et que les conditions particulière à chacun n’ont pas à empêcher d’advenir.

Au contraire. Dieu aime la diversité. Il me semble qu’une des raisons de notre présence sur terre est que Dieu aime la diversité, aime composer avec la diversité, aime s’expérimenter lui-même dans la diversité, être le lien, la force et l’amour qui rejoint et relie toute cette diversité. Il le fait à travers nous, à travers l’humanité. il expérimente l’Amour (au sens d’une expérience essentielle, pas d’une expérimentation, hein !) par l’humanité. Nous sommes les porteurs et les garants de cette “expérience” de vie. Et nous en sommes possiblement aussi le principal obstacle. Celui que nous nous mettons les uns aux autres, mais aussi celui que nous nous mettons à nous-même en premier quand nous ne croyons pas que Dieu nous aime au point que cette diversité lui plaît, qu’il la veut, la cautionne…l’a créée.

Z – 30 avril 2017

source photo : oeuvre de Yisrael Dror Hemed (2016).

christ-nu

 

« Je demande pourquoi Notre Seigneur voulut être tout nu sur la croix. La première raison fut parce que , par sa mort, il voulait remettre l’homme en état d’innocence, et les habits que nous portons sont la marque du péché. Ne savez-vous pas qu’Adam tout aussitôt qu’il eut prévariqué commença à avoir honte de lui-même, et se fit au mieux qu’il put des vêtements de feuilles de figuier? car avant le péché il n’y avait point d’habits et Adam était tout nu. Le Sauveur par sa nudité même montrait qu’il était la pureté même, et de plus, qu’il remettait les hommes en état d’innocence.

Mais la principale raison fut pour nous enseigner comment il faut, si nous voulons lui plaire, nous dépouiller et réduire notre coeur en la même nudité qu’était son sacré corps, le dépouillant de toutes sortes d’affections et prétentions, à fin qu’il n’aime ni désire autre que lui.

Un jour le grand abbé Serapion fut trouvé tout nu dans une rue par quelques uns de ses amis ; ceux-ci, émus de compassion, lui dirent : qui vous a mis dans un tel état et qui vous a ôté vos habits. Oh, dit-il, c’est ce livre qui m’a ainsi dépouillé , parlant du livre des Evangiles qu’il tenait.

Et moi, je vous assure que rien n’est si propre à nous dépouiller, que la considération de l’incomparable dépouillement et nudité du Sauveur crucifié.»

Saint François de Sales,
Sermon pour le Vendredi Saint , 28 mars 1614

Source : francoisdesales.wordpress.com

Lorsque (les fils de Jessé) arrivèrent et que Samuel aperçut Eliab, il se dit : “Sûrement, c’est lui le messie, lui qui recevra l’onction du Seigneur!” Mais le Seigneur dit à Samuel : “Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le coeur.” (1 Sam 16, 6-7)

Le regard divin est libre de tous les déterminismes, pensées toutes faites ou habitudes solidement établies. La leçon vaut pour tous les temps et tous les hommes désireux de le suivre.(…) Le critère du choix de l’élu ne se fondera jamais sur “l’apparence” – fût-elle séduisante – mais bien sur la qualité du coeur.

Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce que représente l’organe cordial dans la pensée biblique. Plus que la vie affective, le coeur est le centre de l’être, le lieu où l’homme dialogue avec lui-même et avec Dieu. C’est là et en cette présence que s’opèrent ses choix décisifs. En quelque sorte, Dieu regarde avant tout le lieu dans lequel Il célèbrera ses noces avec l’homme ! une chambre nuptiale qui doit être large et ouverte, dénuée d’a-priori, de raisonnements et de mentalisations en tout genre – fussent-elles les plus saintes.

Frère Irénée, moine à Chevretogne
La Vie, 23 mars 2017

Source photo: Photo prise par Thomas Knight

LES TROIS RAISONS POUR LESQUELLES JE NE VOULAIS PAS ÊTRE GAY
par Jim Decke

(traduit de l’anglais)

Pourquoi avez-vous renoncé à devenir hétéro?” Cette question m’a été posée récemment par un nouvel ami. Il m’avait vu donner mon témoignage à l’église sur le fait d’être chrétien et gay et il avait lu mon histoire sur Facebook. Je lui ai dit qu’être hétéro ne m’importait plus, que je me contentais de vivre seul comme un célibataire et que Dieu était content de moi. En quittant notre conversation, j’avais le sentiment de ne pas avoir vraiment répondu à sa question, ou à la mienne. Alors, j’ai beaucoup réfléchi depuis.

J’ai su que j’étais gay avant d’avoir 10 ans, mais l’impact total de ce que cela signifiait ne m’a pas atteint avant l’adolescence. J’étais gay ! J’ai tout fait pour changer. Je suis allé voir des conseillers, j’ai vu des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des pasteurs. J’ai passé 2 ans dans un programme de rééducation, j’ai rejoint un petit groupe d’ «ex-gays», j’ai lu des livres et des témoignages sur la façon d’être hétéro. Plus que tout autre chose, j’ai prié, prié, prié, prié, prié, prié …

Je savais que la Bible condamnait l’homosexualité, et avec ce peu de connaissances, j’en ai conclu que jétais en train d’aller en enfer. J’ai grandi dans une famille chrétienne, mais j’étais terrifié à l’idée de parler à quelqu’un de l’homosexualité, il n’y avait donc personne qui aurait pu laisser une lumière dans mon obscurité. Ma première raison de vouloir être hétéro, c’était d’éviter d’aller en enfer.

La deuxième raison pour laquelle je ne voulais pas être gay était d’éviter le rejet. Les seules choses que j’aie jamais entendues à propos des homosexuels, c’était des blagues grossières, du dégoût et des moqueries. Pour moi, il était clair que je ne pouvais pas être considéré comme un homme, et encore moins être digne d’amour ou d’acceptation, si j’étais gay. Je voulais avoir des amis et être conforme au modèle, et j’ai pensé que je ne serais pas considéré comme grossier et indésirable si j’étais hétéro. La peur et la honte étaient insupportables, et le besoin constant de cacher mes attractions gay était une tâche épuisante et impossible.

J’étais seul et j’avais peur à l’idée que je serais ainsi pour le reste de ma vie. Je voulais partager ma vie avec quelqu’un et je pensais que le fait d’être hétéro et d’épouser une femme était la seule façon de répondre à ce besoin et d’être heureux, et satisfait. Les simples faits de regarder un film tout seul, par exemple, ou d’aller faire mes courses seul à l’épicerie et, ça, pour le reste de ma vie, me semblaient tristes et déprimants. Je ne voulais pas vieillir seul. La troisième raison pour laquelle je ne voulais pas être gay, c’est pour que ma vie ne soit pas vide.

Je vais avoir 41 ans en avril et je ne ressens plus le besoin d’être hétéro. Je sais que Dieu ne me condamne pas pour avoir des attractions ou des tentations homosexuelles. La Bible n’appelle jamais péché l’une ou l’autre de ces choses, elle condamne seulement le comportement*. Loin d’être promis à l’enfer éternel, je suis pleinement aimé et accepté par Dieu et, un jour, j’espère entendre les paroles, “Très bien, serviteur bon et fidèle” (Mt 25,23) Je vais passer l’éternité avec Dieu!

Comme je me suis lentement ouvert à des amis sur mes attractions de même sexe, au lieu de rejet, j’ai trouvé l’amour, la compassion et l’amitié. Avec l’acceptation de Dieu et des amis proches, j’ai pu m’accepter. Je ne vis pas ma vie dans la peur ou la honte, mais comme un ami et comme l’égal aux autres.

Une vie remplis d’amis et de camaraderie n’est une garantie pour personne. Dieu ne fait aucune promesse sur ces choses. J’ai actuellement les meilleurs amis que je pourrais demander et plus de gens qui partagent ma vie que j’avais besoin. Ce n’est pas toujours ainsi, mais j’ai vu la fidélité de Dieu et je sais qu’il répondra toujours à mes besoins. Je refuse de craindre ou de m’inquiéter pour l’avenir quand Dieu dit que nous n’avons pas besoin de s’inquiéter. Déjà ça.

Jim Decke,
article publié le 24 mars 2014 sur www.atacrossroads.net

– – – –

(*) Précision : ce témoignage intervient dans une culture où l’on a pensé que l’homosexualité était condamnée par la Bible, ou bien qu’elle était une maladie, et où l’on pense maintenant que les gays ne sont pas condamnés par la Bible mais leurs actes sexuels, si, et donc qu’ils doivent rester continents.
Personnellement, je ne suis pas pour la débauche mais je ne se suis pas non plus pour cette continence-là. Il y a quelque chose d’inhumain à brimer une personne dans sa sexualité, dans sa capacité à donner et recevoir de la tendresse de manière sexuée. Aucun des arguments que j’entends ou lis n’arrive à briser cette conviction intime que Dieu, dans son projet d’épanouissement de tous les hommes et de tout homme, ne demande pas cela.
Et plus j’entends les arguments avancés, moins j’y vois la posture évangélique. Imaginant Jésus rencontrant les personnes gays, je ne peux pas douter un instant non seulement de sa compassion mais de sa geste de rétablissement dans la dignité pour toute personne rencontrée, tout paria, tout rejeté tout rabaissé socialement. Un être humain est un être humain, il a les mêmes droits et devoirs que les autres êtres humains. Non pas tant envers la loi ou la culture ambiante, d’ailleurs, qu’envers la vérité.

Z.

Source photo : One kiss (Un bacio), film de Ivan Cotroneo, 2016, avec Rimau Grillo Ritzberger, Leonardo Pazzagli, Valentina Romani.

Dieu, tu marches à mes côtés.
Tu traverses mes sentiers…
Chaque jour.

Ta présence me soutient,
me réconforte
Parfois, je reste sans mots.
Je reste sans voix.

Puis l’on m’appelle,
on me demande
Raconte-nous Dieu.
Je ne sais que dire.

Tu es au-delà des mots.
Au-delà de tout.
J’arrive à peine à balbutier.

J’apprends à te dire, Dieu,
J’apprends à me dire en toi, Dieu.
Fais-moi la grâce de me connaître.
Fais-moi la grâce de
te reconnaître…
en moi.

Guylain Prince, OFM,
in La Nouvelle Revue Franciscaine, nov. 2008

Source photo : Andrew Garfield dans le film de Martin Scorcese, Silence