Laisse subsister ce peu de moi par quoi,
je puisse te nommer mon tout.

Laisse subister ce peu de ma volonté par
quoi je puisse te sentir de tous cotés,
et venir à toi en toutes choses, et t’offrir
mon amour à tout moment.

Laisse seulement subsister ce peu de moi
par quoi je puisse jamais te cacher.

Laisse seulement cette petite attache
subsister par quoi je suis relié à ta volonté,
et par où ton dessein se transmet dans ma vie :

c’est l’attache de ton amour.

Tagore, L’offrande lyrique.

Tagore, grand poète indien, chantre de l’immanence dans les choses simples de la vie, est aussi le découvreur de Kabir dont il a proposé une traduction dès 1922.

Source photo: everydaysagreatday.tumblr.com

Figuratif homosensible par Sylvain Rabouille® ®Sylvain Rabouille

On demanda à l’Ami quelles étaient les ténèbres les plus grandes. Il répondit : “L’absence de mon Aimé.” On lui demanda encore, quelle était la plus grande illumination. Et il dit : “La présence de mon Aimé.”

 

Raymond Lulle,
L’Ami et l’Aimé.

 

Raymond Lulle (1232-1315), franciscain, est un auteur mystique chrétien originaire de Majorque et inventeur du catalan littéraire.

Source image : oeuvre de Sylvain Rabouille, en vente sur son site ainsi que de nombreux autres sujets : sbrartisteblog.wordpress.com

Celui qui trône au milieu de ce corps,
Indestructible
Celui que tu crois loin, ô chagrin,
Il est tout près
Dans ce pot de terre

Kabir te le dit
Sans le guru la distance restera
Celui qui est près paraîtra loin
Et l’illusion restera
La distance c’est l’illusion

Kabir

 

Quelques mots d’explication sur cet étrange poème

Kabir est un poète, mystique et tisserand de métier, né en Inde au XVè siècle, assez inclassable puisqu’il ne se réclame d’aucune religion et, au contraire, les fustige toutes comme autant de manières d’arrêter la Révélation, l’Eveil. Son ton est parfois très insolent et accusateur face à ceux qui enferment dans des rites quels qu’ils soient ou dans une connaissance affichée et apportée de l’extérieur.

Par certains aspects, pour moi, chrétien, il figure certaines attitudes du Christ, Jésus, lorsqu’il s’en prend aux marchands du Temple, lorsqu’il querelle avec les pharisiens ou lorsqu’il apprend aux sages ce qu’ils sont censés déjà connaître.

Nous sommes là en pleine mystique. Non pas à la recherche d’une certitude, d’un enseignement qui viendrait de l’extérieur et nous dirait le chemin, mais dans l’expérience d’une rencontre avec l’Être, le Divin, qui parle au Soi, bien plus qu’au Moi, pour reprendre une catégorie ontologique partagée par certaines écoles de psychologie.

C’est une rencontre avec Soi mais plus encore avec l’Être tout entier qui nous dépasse, nous surpasse, nous précède et s’expérimente pourtant dans la Présence, ici, maintenant. Une fois cette rencontre faite et reconnue, même si l’expérience est ténue, l’être humain n’a de cesse de la retrouver et de s’y complaire, comme l’exprime magnifiquement saint Augustin. Sauf que la Présence nous échappe parce que, sans cesse, nous voulons la capter avec nos critères et nos réflexes humains. Nous aimerions nous l’accaparer, nous aimerions, la cadrer, l’expliquer, bref la faire rentrer dans notre pauvre finitude alors qu’elle est d’une tout-autre nature.

Les mystiques, l’appellent parfois le Bien Aimé, et décrivent le chemin expérienciel de l’Ami(e) vers son/sa Bien-Aimée. mais le Bien-Aimé semble s’échapper. Ce n’est pas qu’il s’échappe, c’est que nous l’enfermons sans cesse. Et comme, il est hors-limites, il semble s’échapper. Il est pourtant là, c’est nous qui n’y sommes plus. Nous revenons sans cesse au Moi et ne laissons pas le Soi accueillir doucement la Présence sans n’avoir rien à faire.

En ce sens les religions et leurs rites peuvent se révéler finalement des obstacles à la Rencontre quand elles s’enferment dans des rites qu’elles rendent nécessaires ou obligatoires, alors que l’Âme sait, sent, pouvoir s’en passer. C’est le sens de la critique de Kabir qui dénonce le fait que le formalisme religieux dispense ses contemporains de trouver vraiment… l’Être.


Celui qui trône au milieu de ce corps :
l’Être, l’Amour, le principe de vie originel, plus présent à moi-même que moi-même.

Indestructible: aucune manifestation terrestre, aucun événement, aucune évolution personnelle, ne peut empêcher l’Être d’être quelque soit la forme adoptée par l’être humain

Celui que tu crois loin, ô chagrin : l’expérience de l’Être nous fait soupirer après lui pour le retrouver et nous conduit parfois à une tristesse, ou un désespoir, car nous le croyons loin alors qu’il est tout proche. Ce “chagrin”, cette “distance”, est illusion nous dira Kabir.  Si chagrin il y a, il est de laisser cette distance s’installer. Laisser ce chagrin s’installer est aussi entretenir la distance.

Il est tout près dans ce pot de terre: le pot de terre, c’est bien la forme et l’existence humaine, quelque chose de précieux et de fragile. Dans la bible, l’homme est tiré de la glaise, adamah. Et L’homme, Adam, veut littéralement dire, le glaiseux,  “celui qui vient de la terre”. Celui que je cherche est donc déjà là , en ce pot de terre. La forme ne pourrait pas avoir de vie s’il n’était pas déjà là. (*)

Kabir te le dit: dans la littérature de l’époque, les maîtres spirituels se mettent en scène eux-mêmes dans leurs poèmes. C’est un style littéraire répandu. Il ne s’agit pas d’orgueil ni d’intention de s’afficher. Au contraire, Kabir atteste qu’il parle d’expérience sans se réclamer d’aucun autre maître.

Sans le guru la distance restera: Le guru dont parle Kabir, c’est le “guru” intérieur, c’est à dire le Maître intérieur, c’est-à-dire le Soi. Kabir n’est pas en train de renvoyer à un maître spirituel ou leader religieux extérieur. Il dit en fait que seul le Maître spirituel que je suis à moi-même est capable de réduire la distance qui me sépare de l’Être. Ce Maître spirituel, on pourrait l’appeler Conscience, ou Supra-conscience. Les philosophes et psychologues contemporains l’appellent souvent le Soi, cette appétence à savoir profondément qui je suis et à vouloir mon bonheur qui est enfouie sous toutes les manifestations extérieures que j’en donne et qui viennent souvent m’illusionner moi-même au point que, parfois,  je ne sais plus revenir vers le Soi.

Celui qui est près paraîtra loin: ne pas savoir revenir au Soi, c’est continuer à vivre en surface et à s’identifier à cette surface. Les peurs, émotions, sentiments divers, tous réels, bien sûr, mais déconnectés de qui je suis vraiment. Je crois manquer de quelque chose alors que l’Être est là. J’imagine une distance, et l’imaginant je la crée, je me coupe moi-même de “Celui qui est près” et qui paraît tout à coup loin.


Et l’illusion restera
: Sans recourir au Maître intérieur, au Soi, l’illusion d’être coupé de l’Être demeurera. Pour reprendre une formule chrétienne : je suis plus et mieux que ce que je crois, je le suis réellement. Ce n’est pas l’Être qu’il y a à convaincre de cela, Lui le sait. Ce n’est pas Moi non plus qu’il faut convaincre, car c’est peine perdue. Les croyances, les systèmes rationnels sont souvent tellement incrustés dans la surface dans laquelle nous nous déployons, qu’il est vain de discuter de cela avec le Moi. Discuter entretient la distance. Discuter de l’Être et de la façon de le retrouver, c’est le tenir à l’écart, parler de lui comme s’il n’était pas là. En cela l’illusion est maintenue, nous la maintenons.


La distance c’est l’illusion
: Or, cette distance est illusion. En parler, la considérer, argumenter, chercher à la réduire, c’est lui donner de la consistance. Pour se retrouver Soi, pour vivre avec l’Être, il n’y a qu’un e chose à faire, qui brise et la distance et l’illusion, c’est d’être. Accueillir les pensées, les émotions, les ressentis, et les démasquer, les reconnaître pour ce qu’ils sont : des mises à distance, des occasions d’exprimer un manque. Face à ces pensées, émotions, ressentis, dire : je te remercie d’être là, d’exprimer ce que tu as à exprimer, m’alerter sur ce qui selon toi ne va pas, je te remercie mais je souhaite vivre plus profondément avec moi-même, je t’ai entendu mais j’écoute d’abord mon Maître spirituel intérieur, l’Être qui est en moi.

 

Zabulon – 14 août 2017

 

(*) : Cf. 2 Co 4,7. “Ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous.”

 

 

Source Poème de Kabir : cité par Michel Guay in Kabir : Une expérience mystique au-delà des religions, “Spiritualités vivantes”, Albin Michel, 2012

Source Photo : Salvador Nuñez photographié par Erik Lazarini

 

Avant,
j’avais toujours un morne livre entre les mains…

Aujourd’hui,
l’amour m’a offert une très joyeuse clochette !

Avant,
ne sortaient de ma bouche
que tristes litanies ou ennuyeuses prières…

Aujourd’hui,
voici que jaillissent de moi
poèmes pétillants, chants et quatrains.

Rumi

 

 

—-

Et s’il faut une piste d’exploration… Avant je lisais des  prières, je cherchais des mots, j’accumulais des connaissances, je remplissais ma tête, mais peut-être sans y être vraiment, comme si cela devait venir de l’extérieur. Maintenant, avec le son qui sort de la clochette et remplit l’espace, cette vibration qui m’est extérieure mais qui remplit tout mon être, cette onde avec laquelle mon coeur peut vibrer en harmonie avec lui-même et avec toute chose autour, je suis vraiment présent. Et de mon coeur peut jaillir la présence.

Ajoutons que les poèmes ne sont pas fait pour être lus, ils sont faits pour être vécus. Ils jaillissent du vécu et ne peuvent toucher et aider que ceux qui sont prêts à s’en imprégner et à les laisser vivre ne eux.

Z.

Source photo : cloche tibétaine sur Pinterest

revolte

Fauve – “de ceux”

Ah ! le vent de la révolte adolescente !
Avec ses excès.
Avec ses idéaux.
Ma vie, je te retrouve.
Mon souffle.
Mon sang.

Régression
ou refondation ?

Et la Poésie,
Art révolutionnaire,
Vent de révolte
intérieure,
Elan de survie,
Souffle de vie,
A jamais

Z- 3 dec 2016

[Une pensée spéciale à toi, qui te reconnaîtras, qui m’as introduit à Fauve. Tu sais des choses que je ne sais pas.]

FAUVE – “De ceux”

Nous sommes de ceux qu’on n’remarque pas
Des fantômes, des transparents, des moyens
Nous sommes de ceux qui n’rentrent pas en ligne de compte
Nous sommes de ceux qu’on choisit par défaut

Nous sommes de ceux qui ont la peau terne, les traits tirés,
Le regard éteint, des visages pâles, des teints gris
Nous sommes de ceux qui s’délavent de jour en jour
Nous sommes de ceux qui ont du mal à s’entendre penser

Nous sommes de ceux qui s’maîtrisent difficilement
Nous sommes de ceux qui mettent mal à l’aise en public
Nous sommes de ceux qui dérapent dans les escaliers des bibliothèques
Nous sommes de ceux qui dansent de façon embarrassante

Nous sommes de ceux qui font l’amour en deux temps
Nous sommes de ceux qui s’y prennent à l’envers avec les autres
Nous sommes de ceux sur lesquels on n’parie jamais
Nous sommes de ceux qui savent plus raisonner d’façon logique

Nous sommes de ceux qui ont tout fait comme il faut mais qui arrivent pas
Des ratés modernes, des semi défaites, des victoires sans panache
Nous sommes de ceux qui n’tiennent pas la pression
Nous sommes de ceux qui s’font balayer à répétition

Nous sommes de ceux qui s’font assister
Des baltringues, des éclopés, des faibles
Nous sommes de ceux qui prennent des trucs pour t’nir le coup
Nous sommes de ceux qui savent pas dire non,
Qui connaissent pas la rébellion, qui soutiennent pas les regards
Nous sommes de ceux qui sont à bout

Et pourtant…

Nous sommes de ceux qui n’renoncent pas
Des chiens enragés, des teigneux, des acharnés
Nous sommes de ceux qui comptent bien devenir capables de tout encaisser
Nous sommes de ceux qui établissent des stratégies dans l’obscurité
Pour reprendre la main, jouer selon leurs propres règles et forcer le destin

Nous sommes de ceux qui en ont assez de leur propre férocité
Des requins tigres en bout de course, des voyous qui demandent pardon, des apprentis repentis
Nous sommes de ceux qui veulent à tout prix tabasser leur part d’ombre et faire taire leur sales travers

Nous sommes de ceux qui cherchent à rejoindre les rangs des lions,
Des maquisards, des résistants, des sentiments
Nous sommes de ceux qui roulent pour eux et pour leur périmètre
Nous sommes de ceux qui pissent encore dans la douche mais qui espèrent réussir un jour à pisser droit

Nous sommes de ceux qui cherchent à désarmer la mort à coup d’grenades lacrymo
Pour l’effrayer et la maintenir à distance
Nous sommes de ceux qui espèrent croiser la vie un soir, au détour d’une avenue,
Pour la séduire, la ramener et lui faire l’amour de façon brûlante

Nous sommes de ceux qui ont les yeux écarquillés en continu
Des ahuris, des ébahis qui guettent les comètes, les planètes et les épiphanies
Nous sommes de ceux qui cherchent à déterrer ce qui est enfoui
Tout ce qui est caché et qui n’demande qu’à être sorti

Nous sommes de ceux qui veulent rétablir le contact avec ceux qui sont partis trop tôt
Parce qu’ils savaient pas qu’ y avait une fin cachée
Nous sommes de ceux qui continueront à courir, comme si ils étaient poursuivis par les balles
Qui desserreront jamais les mâchoires sauf pour sortir les crocs