L’an dernier, je postais dans la période pascale un article qui sembla attirer un peu l’attention mais dont on me reprocha parfois l’illustration représentant un homme nu qui aurait pu être le Ressuscité : un homme.

Mais la question de fond est : qui est l’homme qui ressuscite quand on ressucite ? Ce qui pourrait nous amener à plein d’autres questions et de longs développements. Par exemple : quel est l’homme, quelles parties de moi… Tout moi ? Probablement pas nos masques, apparences, vêtements de toute sorte qui servent à occulter qui nous sommes vraiment. Ce qui passe la mort et est re-sucité est probablement la partie la plus vivante de moi. Et je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est alors aussi la partie la plus vraie de moi.

La plus vraie… “Qu’est-ce que la vérité ?” demande Pilate, étrangement, peu de temps avant la condamnation de Jésus (Jn 18,38). Jésus semble le savoir puisqu’à ceux qui veulent bien le suivre, il déclare : “Je suis le chemin, la vérité, la vie” (Jn 14,6). Les trois à la fois : chemin-vérité-vie. Laissons-nous quelques instants pour méditer sur cette question : dans l’esprit de Jésus, ces trois mots sont-ils synonymes, complémentaires, s’entraînant l’un à l’autre ? Question stérile à vrai dire puisqu’il y répond : “il est” le chemin , la vérité, la vie. C’est consubstantif de son être, on ne peut pas le lui enlever. Il l’est comme Dieu est, ainsi qu’il se désigne lui-même quand Moïse lui demande son nom: “Je suis” . Que puis-je te dire d’autre que cela : je suis celui qui est, je suis au delà de tout nom. Je suis la vie, je suis l’être, je suis la vérité. Je suis le souffle qui te traverse et te fait te préoccuper de justice et de liberté. Je l’étais hier et je le serai demain. Je le suis. Je suis.

Par Jésus, avec Jésus et en Jésus (par lui, avec lui, et en lui…), dans cette humanité-là, je suis. Cette humanité qui est la tienne aussi. Cette part de toi qui est divine et que j’aimerais bien retrouver et que je ne me lasserai pas de chercher et susciter et resuciter sans cesse. Oh, j’ai dit “divine” ? Je voulais dire vivante. Ne va pas te faire des illusions avec le mot “dieu” et ses caractéristiques “divines”. Si tu te souviens bien, quand tu t’es préoccupé d’avoir un accès direct à moi comme si je t’étais extérieur, Jésus t’a fait la seule réponse qui vaille : “Quoi? si longtemps que tu es avec moi et tu n’as toujours pas compris ? Qui me voit voit le Père.” (Jn 14, 9-12)

Encore l’humanité.
Encore la Vérité.

Encore ce besoin de message ou de preuve extérieurs
alors que moi, Jésus, dans mon humanité,
jusqu’à mon passage de la mort et le fait que je sois re-suscité,
je suis en train de te montrer ce qui te concerne
dans TON humanité.
Et je n’ai pas de meilleur moyen pour te le montrer
que de le vivre pour toi
dans MON humanité.

Regarde :
rien ne passe la mort
sauf ce que je suis vraiment :
le chemin, la vérité, la vie,
qui je suis vraiment.

Bas les masques,
bas les apparences,
bas les vêtements d’apparat.
Fumée, poussière, rien n’en restera.

De ton corps même,
tel que tu l’imagines,
amas de cellules à durée limitée
rien ne restera.

Mais ton être ?
Cette vie qui te traverse,
qui vient de plus loin que toi,
qui n’est pas toi
et qui pourtant est toi
quand tu communies à elle,
cette vie qui anime tes cellules,
qui te te fait aspirer à la paix, à l’amour,
à la vérité…

Ton être,
cette partie de toi
qui est de moi,
qui vient de moi
qui va à moi
– si tu le veux bien.
Mystère d’amour
que l’amour
veuille se trouver lui-même
et se remette en cause sans cesse
par amour
de l’amour.

Bien sûr,
que quand je suis re-suscité,
le don de ma vie
n’annihile pas
le déploiement de l’amour
dans l’ek-sistence
de ma vie terrestre.
Mon corps reste marqué
de ces coups reçus
par le manque d’amour
quand j’offrais
seulement
un chemin,
la vérité,
la vie.

Scandale pour les uns,
honte pour les autres,
le signe de la croix.
La vie
crucifiée,
outragée,
rejetée.
L’amour
abandonné,
banni
moqué
comme impossible.
Le chemin
refusé,
discuté,
perverti
par le discours trompeur
de ceux qui ont peur
et parlent
de ce dont ils ne connaissent rien.

Alors voilà :
même crucifié,
mort, enseveli,
je suis le chemin, la vérité, la vie.
Les marques sur mon corps,
les supplices de la croix,
ces trous dans mes mains et dans mes pieds
– tu vois, hein, de quoi je veux parler ? –
eh bien, ils sont bien là,
tu peux vérifier :
c’est bien moi.

Bas les masques,
bas les apparences,
bas les vêtements d’apparat.

Seule, la vérité compte.

Pourquoi, dès lors,
chercher le Vivant parmi les morts ?
Pourquoi vouloir le toucher, se l’accaparer
comme garantie d’être sauvé sans rien faire
alors que le chemin est clair :
choisir la vérité, choisir la vie,
laisser advenir en moi le Vivant
et refuser tout ce qui occulte qui je suis
et m’empêche de revenir à la maison
pour la fête des retrouvailles.

– Lui aussi, le fils prodigue, on le revêtira d’un vêtement,
ce ne sera pas pour recouvrir sa nudité,
mais pour restaurer sa dignité.
Vêtement blanc, resplendissant,
transparent peut-être,
vêtement de vérité.
Tu es plus beau que ce tu crois,
enfant de Dieu
qui passe ton temps à te salir tout seul
en oeuvrant contre toi-même.

Le vigneron est venu,
les ouvriers l’ont mis à mort.
Que fera le maître de la vigne ?

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;
invoquez-le tant qu’il est proche.
Que le méchant abandonne son chemin,
et l’homme perfide, ses pensées !
Qu’il revienne vers le Seigneur
qui lui montrera sa miséricorde,
vers notre Dieu
qui est riche en pardon.
(Isaïe 55)

La vérité :
je suis à la fois la vigne du Seigneur
et le vigneron.
La vie m’est donnée dans cette existence terrestre
avec un corps pour la porter et la faire fructifier.
Cette vie terrestre prendra fin,
pas l’élan vital,
la vérité de qui je suis.

Reste une question : la tradition chrétienne parle bien de résurrection des corps. Alors, que restera-t-il de moi, de mon apparence, de mes capacités physiques, etc. Il y a à ce propos un quiproquo qui tient aux mauvaises traductions de l’hébreu et du grec en latin puis en français. Le mot que l’on a traduit par corps est basar en hébreu ou sarx en grec qui désignent plutôt la chair, c’est-à dire la substance du corps vivant qui est irrigué par le sang.

C’est le mot “basar” que l’on trouve par exemple en Gn 2,24 : “l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair (basar)” pour expliquer la génération d’enfants, ou dans le Psaume 62 : “Mon âme a soir de toi, après toi languit ma chair(basar)” et non pas mon corps.

C’est le mot sarx que l’évangéliste Jean emploie quand il déclare que le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14) ou quand il fait dire à Jésus qu’il est le pain vivant et “c’est ma chair (sarx), que je donnerai pour la vie du monde” (Jn 6,51), ainsi qu’à chaque fois qu’il dit que sa chair (et non son corps) est nourriture, ainsi également que dans son grand discours dans lequel on trouve : “selon que tu lui as donné pouvoir sur toute chair (sarx), afin qu’il accorde la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.” (Jn 17,2)
[voir un commentaire de ce dernier passage, ici]

Conclusion : ce corps que je cache parfois ou que j’utilise à d’autres fins que d’entendre l’appel intérieur s’arrêtera. Mais ma chair, la partie vivante en moi, la partie irriguée de vie en moi, perdurera. Cette partie de moi qui sait prendre forme
et animer tout mon organisme, elle vivra. Sous une forme ou sous une autre, celle-ci n’ayant plus grande importance si ce n’est pas pour une existence terrestre.

Le récit par Jean de la course au tombeau par les deux apôtres, Pierre et Jean, n’en est que plus touchant. Un récit plein d’humanité, plein de promesses aussi. Ils courent à la recherche d’une bonne nouvelle : la pierre est roulée, leur ont dit les femmes. Peut-être est-il encore vivant ? Alors ils courent, le vieux, le jeune. Le jeune arrive le premier, il attend son aîné respectueusement. Et ils voient, chacun à leur manière : Jean voit les linges posés à plat. Pierre voit aussi les lignes posés à plat, mais aussi, le linge qui entourait la tête de Jésus, roulé à la même place, à part des autres linges. Pour être clair : pas du tout comme si quelqu’un avait fait le ménage et plié et rassemblé les draps. Les linges sont simplement là sans le corps de Jésus : à plat sur l’étendue de son corps, en boule – la boule qui entourait sa tête) à l’emplacement de la tête.

Alors, ils comprennent. Il est bien vivant. Mais pas comme ils l’avaient imaginé.
Alors ils se souviennent. Il est vivant comme il le leur avait dit : tel qu’on est vivant après le passage de la mort et qu’on est re-suscité.

Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

(Jean, 20,3-9)


Ah là là là là … Encore une histoire de vêtement ! (voir ici et ici, et encore ici et )

L’épisode des Rameaux.
Jésus fait demander un ânon. Les propriétaires semblent bizarrement déjà au courant.
(Le texte suggère que c’est bizarre mais si Jésus les avait averti à l’avance, il serait normal qu’il soient au courant et qu’ils acquiescent facilement. Jésus semblait quand même avoir un sacré réseau social. Ce n’est pas juste un solitaire accompagné de quelques marginaux. Il a des disciples, des amis, un réseau. Ces gens savent l’accueillir, le recevoir, répondre à ses demandes.)

Bref, un ânon.
Comme annoncé dans les Ecritures.
Il rentrera dans Jérusalem sur un ânon
aux cris de “Gloire au plus haut des cieux”.
Etrange, ça, non ?
Comme à Noël :
au plus haut des cieux.
Même simplicité.
Même processus d’entrée/naissance :
Dans l’humanité, à Noël.
Dans le lieu où réside Dieu (Jérusalem – Malheur à moi si ma langue t’oublie), peu avant Pâques.
Au passage, la fête des Rameaux rappelle tellement la fête juive de Soukkot*
qu’on peut de demander si la chronologie est exacte.
Peu importe, à vrai dire, c’est le sens qui compte
pour l’évangéliste comme pour nous aujourd’hui.
La fête des Rameaux, comme la fête de Soukkot,
c’est la fête du passage,
de la protection de Dieu alors que nous allons cheminant
sans trop savoir où nous allons.

Mais revenons à nos ânons,
dont il est finalement assez fait peu cas dans les Ecritures
sinon dans le livre des Juges et le livre de Zacharie
pour désigner la simplicité, l’humilité,
de celui qui agit au nom de Dieu.
Les juges sont repérés par leurs ânons (Jg 10, 4 et Jg 12,14).
Le Messie viendra sur un ânon (Zac 9,9)
– Eh oui, pas sur un cheval de guerre !

Bon, une affaire de vêtements disais-je…
Ben oui parce que les disciples enlèvent leur vêtement-de-dessus (himation)
pour qu’ils servent d’assise sur l’ânon pour Jésus.
Donc…euh…ils se retrouvent soit en vêtemnts de dessous (caleçons) soit tout nus
– usage largement répandu à l’époque !
Et puis, la foule aussi s’y met :
elle enlève ses vêtements de dessus (himation)
pour lui tracer un chemin,
à lui, Jésus, sur son ânon.

Oh que j’aime ces histoires de vêtements
que personne n’ose regarder et interpréter.
Interpréter, c’est risquer de se tromper ;
alors contentons-nous de constater :
ils enlèvent leurs vêtements,
d’abord les disciples, puis la foule.
On arrête de faire semblant.
Pas possible de faire entrer le maître de la vérité
sur un tissu de masques et d’apparences.
Déshabillons-nous de ce qui nous empêche d’être vrais !

Au plus haut des cieux,
oui, on doit se réjouir,
que certains hommes aient enfin compris
que l’authenticité apporte plus que l’apparence.

Le roi qui rentre à Jérusalem en ce moment,
il ne prend ni ne convoite aucun pouvoir.
Mais ils foule aux pieds les masques et les apparences
dont lui font hommage les disciples et la foule,
tous les vêtements de dessus,
ceux qui nous donnent bonne figure
et cachent qui nous sommes vraiment,
ceux qui nous permettent de jouer un rôle social
fait de pouvoir et de puissance sur les autres.

Moi qui suis vrai
et qui viens te provoquer dans ta vérité,
je me balade sur un ânon.
Voilà ma puissance.
Et toi quand tu es vrai,
c’est quoi ta puissance ?
Sous tes beaux habits
sous tes apparences,
sous tes masques,
tu es qui ?

Tu es prêt à me recevoir ?

Z – 12/04/2025

(*) Soukkot : fête des cabanes, traditionnellement célébrée à l’automne pour se souvenir de la protection de Dieu durant le temps où l’on vivait dans des cabanes ou des huttes faites d’herbes et de bois durant la traversée du désert après la fuite d’Egypte.

Source image : Chat GPT (avec ses limites !)

Qu’est-ce qui nous dérange dans notre sexualité et notre génitalité? L’être nous effraie, nous nous intéressons à scruter l’univers en envoyant des sondes spatiales mais nous ne pouvons pas nous voir nus et cela ne nous inquiète pas, ou nous prétendons que ce n’est pas de la peur mais de la morale et de la protection.

Ceux qui osent se déshabiller sont considérés comme des provocateurs et des transgresseurs, couverts de préjugés en l’absence de vêtements. Nous les mettons de côté et ils ont besoin de nombreux permis spéciaux afin de ne pas offenser la grande majorité habillée. Comme si les vêtements faisaient vraiment partie de notre être.

Sanango Sinchi

Modèle : Polo Velasco photographié par Roberto Pacurucu
Source texte et photo : www.rpacurucuph.com

« Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. »
(Mt 23,2-8)

 

Ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges. Encore une affaire de vêtement ! pourrais-je paraphraser en reprenant le titre d’un post déjà publié. C’est qu’il s’agit encore des vêtements des scribes et des pharisiens, dont on a bien compris, à travers les écrits évangéliques, que Jésus se moque de l’apparence.

Mais, premier point, il ne se moque que de l’apparence, pas du contenu.Ils enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le.” Mais ils disent et ne font pas, ils édictent des règles qui ne sont que des fardeaux – sans fondements ? – qu’ils font porter aux autres. ils se drapent des habits de la Loi et s’en vantent, ils sont fiers, ils pavanent sur les places publiques, cherchant la reconnaissance et les honneurs.

Mais les honneurs de quoi ? Ils ne sont que les serviteurs de la Loi, ses médiateurs, ses interprètes pour que chacun reçoive à chaque génération et chaque jour et en chaque culture, la Promesse de Libération dévoilée dans la geste de Moïse libérant le peuple de la servitude et servant l’Alliance sainte avec le Dieu intime, Celui-là qui sait parler au coeur de l’homme, lui murmurer son nom, lui donner la force, le courage, l’estime de lui pour accomplir sa mission. Je ne dévie pas du sujet, notre imaginaire est trop marqué par les épisodes difficiles du désert et les colères fantastiques de Moïse, si bien interprétées par Charlton Heston ou Burt Lancaster. Mais avant cela, autre que cela, il y a toute l’histoire de la rencontre de Dieu avec Moïse.

Rappelons-nous que Moïse, c’est d’abord cet hébreu élevé à la cour de Pharaon, touché par la misère des siens, capable de s’indigner face à l’injustice jusqu’à commettre un meurtre, et s’enfuir, honteux et pitoyable pour sauver sa vie. Dieu était déjà dans son coeur et il ne le savait pas encore. Dieu était au coeur de sa colère, de son combat et de sa générosité, mêmes fougueux et dispropotionnés. Il est également dans sa repentance et son désert personnel, sa vie simple et tranquille avec des valeurs autres que le prestige et les honneurs de la cour. Et évidemment Dieu est aussi au coeur de cette rencontre sur le mont Sinaï, rencontre toute de douceur et d’intimité, dans laquelle Dieu se donne tout entier par son Nom et son Être. Révélation. Dieu se donne, Dieu, est l’inspirateur de mon sentiment de justice, Dieu libère…

Du coup, si Jésus se moque de l’apparence des scribes et pharisiens, comprenons qu’il demande à ce que soit respecté le contenu de la Révélation, “l’enseignement de Moïse”. De la même manière qu’ailleurs, il dit ne pas être venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir. Accomplir quoi? Cette Promesse de Dieu de faire grandir l’humanité, d’assouvir sa soif de paix et de justice, et de le faire par la “Rencontre” personnelle avec le Dieu vivant. Ca, oui, il faut le garder et l’observer, sans cesse le vivre et l’approfondir.

Mais ces scribes et pharisiens qui se drapent dans les habits de la Loi n’ont rien compris. Ils s’habillent et se comportent comme s’ils étaient la Loi elle-même, comme si le fait de la connaître intellectuellement et savoir la transmettre leur conférait une quelconque importance. Ils induisent ainsi le peuple dans l’erreur, suggérant par leur attitude que Dieu ferait des différences entre ceux qui “savent” et ceux qui “ne savent pas”. Pire, ils s’isolent, derrière leurs beaux phylactères et leurs manteaux à frange, laissant croire aux autres que Dieu leur est inaccessible, qu’ils seront toujours en dehors, et puis jugés à décharge et forcément condamnés comme incapables d’appliquer les lois qu’ils professent. Or ces lois, non seulement ils ne les appliquent pas eux-mêmes mais en plus, pour la plupart elles ne viennent pas de Moïse, et quand elles viennent de Moïse (des cinq Livres de la Torah), elle s’appliquent à des contextes bien précis qu’il s’agit d’adapter à chaque nouvelle situation, conformément à la grande tradition de la transmission judaïque jusqu’à aujourd’hui. Car la Parole de Dieu est promesse créatrice, à l’oeuvre en tous temps en chaque coeur attentif à la laisser résonner en lui.

Ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges. La formule est intéressante. Les phylactères sont ces morceaux de parchemin, portés, par les juifs, sur le front ou le bras et contenant un verset biblique, moyen de se mettre en valeur, de se montrer comme se réclamant de la Loi divine. Ils se réclament d’une Loi dont ils s’érigent en spécialistes alors que, pris dans le tourbillon des applications procédurales de tous les cas de figure, ils en ont vidé l’Esprit.

Je voudrais m’attarder plus longuement sur les “franges”. Le mot grec employé par l’évangéliste est kraspedon, qui désigne les franges ou les bords du vêtement, et plus spécialement ces bouts de laine, assortis ou non de pompons ou de bouts tissés, autant d’accessoires sensés rappeler la Loi. Au demeurant, en faisant cela les scribes et les pharisiens appliquent à la lettre la Loi de Moïse telle qu’elle est exprimée en Nombres 15,38-41 et Deutéronome 22,12 : « Tu mettras des franges aux quatre coins du vêtement dont tu te couvriras ». Il est cependant clair que cette loi n’a rien à voir avec les 10 paroles reçues au Sinaï (les 10 “commandements”); ici, il s’agit d’un ensemble de prescriptions que la Bible dit données par Moïse au peuple suite à ses divers manquements, rebellions ou hésitations. Toutes ces règles, y compris celles qui codifient les vêtements ont pour but de signifier la sainteté de Dieu et du peuple qu’il s’est choisi. Toutes ont pour but d’aider à se rapprocher de Dieu, certainement pas celui de séparer et d’empêcher l’accès à Dieu.

Dans un article intéressant sur ce sujet, Le Monde de Demain précise : “À l’époque de Jésus, les pharisiens avaient déjà établi des règles sur la forme (rectangulaire) de ces vêtements, et sur la façon de fixer et de porter les franges. Cette sorte de cape était l’ancêtre du châle de prière, porté aujourd’hui par de nombreux pratiquants du judaïsme rabbinique. Les sources rabbiniques décrivaient cinq catégories de vêtements et d’accessoires que devait porter un Juif : ses chaussures, son couvre-chef, sa tunique, sa ceinture et ses sous-vêtements.

Le même article rappelle fort à-propos que ces franges étaient le rappel de l’Esprit de Dieu, on pourrait même dire de la Puissance de Dieu qui s’exprime et crée par la force de sa Parole créatrice. On comprend alors que Jésus s’en prenne à ceux qui usurpent cette puissance et l’utilise pour eux-mêmes au lieu d’aider le peuple à y trouver son réconfort et à en vivre. Un peu plus loin de le même chapitre, Jésus traite d’ailleurs les scribes et pharisiens d’hypocrites, d’engeance de vipères, avides de convertir des gens à leurs vues pour ensuite les culpabiliser par leurs manquements à observer les règles qu’ils ont édictées. En clair, il leur reproche de détourner la Parole de Dieu de son véritable objet.

L’article suppose également que Jésus portait les mêmes vêtements en usage en son temps, notamment quand il enseignait au Temple, et donc probablement ce vêtement à franges. A mon avis, cela n’est pourtant pas acquis du tout pour plusieurs raisons. La première est que Jésus s’est toujours montré libre par rapport aux usages de son temps (il parle à une Samaritaine, ses amis prennent du blé dans les champs, etc.). Ensuite, il s’en prend directement à ceux qui ont ce genre de pratiques, les scribes et pharisiens, pour s’en démarquer justement, et il est clair que Jésus n’est pas pharisien. Peut-être y a-t-il franges avec fioritures et franges toutes simples? Mais rien n’est précisé, nulle part les évangélistes ne s’attardent sur des vêtements rituels qu’aurait porté Jésus ; donc, n’inventons pas.

Cependant, il est très intéressant de noter que le même mot kraspedon est utilisé à plusieurs reprises pour désigner le bord du vêtement de Jésus (Mt 9,20 ; 14,36 ; Mc 6,56 ; Luc 8, 44). Et à chaque fois, il s’agit du geste de toucher le bord (les franges) du vêtement de Jésus pour être guéri. Qu’il y ait ou non des franges au vêtement de Jésus, cette proximité lexicale nous incite de toute façon à faire le rapprochement.

Mais toucher le bord ou les franges du vêtement de Jésus ne se fait pas du tout de la même manière que l’usage qu’il dénonce. D’abord, il ne s’en prévaut pas, ne les étale pas. Ensuite, c’est presque subrepticement que son manteau est touché par ceux qui reconnaissent en lui, vraiment, le Fils de Dieu, celui qui est habité par l’Esprit de Dieu. Il y a donc un enjeu clair de reconnaissance de la messianité De Jésus : eux, les scribes et les pharisiens, ils parlent,ils paradent mais ne sont pas habités – ne les imitez pas ! Lui, il parle, voyage, rencontre les gens dans leur humanité et ils LE reconnaissent comme Celui qui est habité par l’Esprit de Dieu, l’Oint, le Messie.

C’est en Luc 8,44 que le côté “subreptice” est le plus évident : une femme hémorroïsse s’approche par derrière, sans rien dire et touche le bord (kraspedon) du vêtement de Jésus. Le récit nous indique qu’elle guérit immédiatement de sa perte de sang mais surtout que Jésus sent comme une perte d’énergie, une force (dunamis) sortir de lui (Lc 8,46). Le reste de ce passage est également instuctif, Jésus se préoccupe de savoir qui l’a touché et la femme toute ‘tremblante”, nous dit le texte, reconnaît que c’est elle. Jésus, Fils de Dieu, incognito parmi les hommes, a alors cette formule bien connue, souvent reprise dans les Evangiles et que chaque croyant aimerait s’entendre à lui appliquée : “Ta foi t’a sauvée, va en paix !” (Lc 8,48)

Ta foi t’a sauvée“. Voilà bien l’enjeu. Si les scribes et pharisiens se décorent, pavanent, se montrent hautains et distants, comment les personnes du peuple auront-elles accès à Dieu? Jésus, lui, ne se prévaut pas d’une quelconque dignité (cf. Phil 2), il est l’un du peuple, il marche parmi le peuple. Il se rend accessible à tous et à chacun parce que c’est réellement le plan de Dieu que d’être accessible à tous et chacun.

Mais encore, pourquoi passe-t-il comme “incognito”? Pourquoi n’a-il pas un énorme phylactère sur le front qui serait haut comme deux étages et des franges qui volent au vent?… C’est que, SERIEUSEMENT, il s’est fait l’un d’entre nous. Cela le rend accessible et certains peuvent le reconnaître, oui. C’est bien, oui, mais Jésus demande souvent la discrétion à ce sujet, parce qu’il ne vient pas en Super-Héros, magicien ou Merlin l’Enchanteur, avec des franges magiques qui viendraient tout arranger…Non, mais…L’avez-vous envisagé SERIEUSEMENT ? Il s’est VRAIMENT fait l’un d’entre nous. Ce qu’il montre de lui, dans son humanité, c’est ce qui nous est offert à tous, à chacun.

Il n’y a plus de frontières qui tiennent entre Dieu et les hommes. Dieu habite au coeur de tous les hommes de bonne volonté qui se tournent vers lui.

Alors bravo à toi la femme hémorroïsse qui as cru que Dieu , en Jésus, est venu jusqu’à toi et qui as pu en toucher le bord du manteau, un bout de sainteté, et t’en es trouvée transformée. Mais en vérité, si tu l’écoutes, la reçois, la nourrit, cette sainteté est déjà en toi ! Jésus réconcilie l’homme avec Dieu non pas parce qu’il vient de l’extérieur dire quoi faire mais parce qu’il révèle que Dieu est déjà dans le coeur de l’homme et que son Esprit est déjà à l’oeuvre en quiconque l’accueille avec sincérité.

Les franges des scribes & pharisiens, les catholiques et l’homosexualité

J’en viens à un sujet plus polémique sur lequel j’espère ne blesser personne. Le pape François a soulevé d’énormes espérances par cette simple petite phrase à propos des homosexuels : “Qui suis-je pour les juger ?” Or, les résistances sont grandes au sein des communautés catholiques, clergé et paroissiens compris, pour entendre que la foi et la vie en Eglise n’est pas d’abord un ensemble de prescriptions juridiques ou morales à suivre, mais une vie fratenelle dans laquelle nous nous aimons, soutenons et exhortons les uns les autres dans l’Esprit d’amour du Seigneur Jésus.

Quand je reçois ce passage concernant les scribes et pharisiens, qui élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges, qui disent et ne font pas, qui font porter de lourds fardeaux aux autres pour “mériter” le ciel, comment ne pas penser à mon Eglise Catholique et à ces clivages qui la traversent depuis les débats autour du “mariage pour tous”, entre un clergé et parfois un magistère local qui condamnent vertement et sans nuances et des attitudes pastorales, douces, bienveillantes de nombreux pasteurs ? Comment ne pas penser aussi à cette hypocrisie dans laquelle sont engoncés de nombreux pasteurs qui doivent afficher formellement leur accord avec une doctrine encore officielle qu’ils ressentent pourtant comme inadaptée, injuste et non conforme à leur conscience ? Comment ne pas penser aux prêtres et religieux qui ont découvert ou accepté leur orientation sexuelle sur le tard – après l’idéalisation de la jeunesse et les années de de séminaire ou de noviciat – et qui se sentent écartelés, partagés, blessés, entre ce qu’ils découvrent d’eux-même, leur désir d’être vrai avec le Seigneur et ce qu’en dit ou montre leur Eglise? Comment ne pas penser aussi à ceux d’entre eux qui ont franchi le pas, parfois, d’avoir une double vie pour assumer leur besoin de tendresse? Et parmi ceux-ci, ceux qui cherchent une vie stable avec un compagnon qui leur apporte le complément que leur statut, nos communautés, l’Eglise, ne sait pas leur donner alors qu’il le vivent dans leur chair comme un besoin vital sans lequel ils meurent ou s’étiolent, se vident de leur existence ; ceux-là donc, mais aussi ceux qui ne peuvent plus tenir dans leurs voeux de chasteté et de continence et qui se laissent aller à une vie secrète et débridée où le sexe rapide devient l’échappatoire à leurs frustrations affectives?

Oui, comment ne pas y penser? Sans juger. Quiconque en est là est victime d’un terrible quiproquo de lui-même avec lui-même dont certains le pensent peut-être coupable mais dont il est d’abord la victime. L’isolement dans le ministère, les idéaux de jeunesse et le manque de maturité, le déni de l’homosexualité et le mauvais accompagnement durant les temps de discernement vocationnel et de formation, mais aussi la discipline actuelle de l’Eglise si loin de la réalité humaine et pastorale de nos contemporains – y compris de ceux qui exercent un ministère – ont conduit à tout cela.

Le plus douloureux pour moi, c’est de constater cette situation étrange où sont certains qui, le jour, sont chargés – ou se croient chargés – de réprouver l’homosexualité (attention, pas les personnes, hein ! seulement les actes !) et s’en acquittent fort bien, et, la nuit, ont une vie homosexuelle plus ou moins assumée, pas forcément épanouissante, loin de l’humanisation à laquelle ils aspirent à laquelle ils auraient pourtant droit… Le jour, la nuit… “Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens” dit l’Evangile de ce jour… Le jour, la nuit… Comme ce théologien du Vatican, membre d’uns commission théologique prestigieuse, dont l’objectif est de garder la norme catholique (dont la norme hétérosexuelle) et qui vit une double vie en parallèle pendant des années. Je ne nie pas le côté douloureux qu’a dû vivre cet homme dans son écartèlement, et combien son coming out et son retrait du presbytérat ont dû être libératoires, mais est-ce que personne ne voit avec moi que cette situation est anormale – parce que déshumanisante pour tout le monde – et ne peut pas durer ?

J’ai mal à mon Eglise, parce que des gens souffrent, se blessent, mentent, se perdent dans toutes sortes de nuits alors qu’ils sont sensés indiquer la lumière. Peut-être que les normes disciplinaires, morales, mais aussi sacramentelles, ne conviennent plus aux temps qui sont les nôtres. D’ailleurs nos phylactères et nos grandes franges n’intéressent plus grand monde. Ce que cherchent nos contemporains, ce ne sont pas d’abord des règles, procédures et normes juridiques, ce qu’ils veulent c’est trouver du sens à leur vie quelle que soit leur condition de vie, être rencontré par quelqu’un qui, indépendamment de son vêtement, est habité par le Dieu de miséricorde et de justice.

Certains parmi mes lecteurs sont concernés par les questions que je viens de soulever. J’espère ne pas les blesser et si c’est le cas, j’en demande pardon. Mon propos n’est certainement pas de juger et encore moins de condamner. Je sais trop, pour me l’appliquer à moi-même qu’on en est là où on en est. Non, je respecte toutes ces situations. J’alerte juste sur le fait qu’elles ne “devraient” pas exister et donc qu’elles nous invitent à penser une nouvelle manière de fonctionner qui incluent les situations qui sont aujourd’hui rejetées de fait par nos grands phylactères. Ma foi en Jésus-Christ me fait affirmer que chacun, prêtre ou non, a droit au bonheur et que nous en sommes, nous chrétiens, les témoins. Alors j’appelle de mes voeux une prise de conscience et une réforme dans l’Eglise Catholique qui permettrait de sortir des logiques identitaires et de la reproduction à l’identique pour passer à une approche pastorale telle que le Christ nous l’a montrée quand il parcourait les routes de Palestine et d’Israël sans se préoccuper de savoir si les franges de son vêtement – c’est-à-dire de son humanité – étaient aux normes.

Z- 5 nov 2017

 

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Nota Bene: Il y a quelque temps, quelqu’un (un prêtre?) m’a demandé si je pouvais publier mes commentaires bibliques avant la fin du jour où ils sont proposés à la liturgie. Je m’étais promis d’essayer mais, d’une part, ils sont souvent le fruit de ma propre méditation le jour même, et, d’autre part, le temps de l’écrire et publier…le jour ou les jours passent. 🙂 Désolé… Avec mon emploi du temps actuel, je ne peux pas prendre l’engagement de publier à l’avance selon une temporalité définie. Mais je remercie ce lecteur attentif et attentionné, qui se reconnaîtra.

Source photo : photo Israël sur cadenaser.com