Les amoureux de l’Amour

Il est une espèce de garçons plus terrible, dangereuse et sournoise encore que celle des hétéros ambigus : les amoureux de l’amour. Ce n’est pas vous, la prunelle de leurs yeux, vous n’êtes pas cet objet qui fait battre leur palpitant à tout rompre, ce n’est point pour vous ces mots tendres chuchotés à l’oreille, pas pour vous qu’ils sont prêts (en parole) à l’impossible, à l’indicible. Non, c’est pour le sentiment amoureux. Au nom de l’amour, ils sacrifieraient père et mère, se trancheraient un membre avec une scie rouillée. Mais pour vous-même, vous en tant qu’être de chair et de sang, perclus d’humanité et donc de défauts, à peine oseraient-ils se piquer le bout du doigt avec une aiguille…

Heureusement, on peut les reconnaître facilement, si l’on prend la peine de fouiller quelque peu dans leur passé. L’amoureux de l’amour a grandi en solitaire ou s’est confiné dans son propre monde. Il s’est forgé l’esprit et le coeur à travers des lectures romantiques, passionnées, tragiques. Il s’émerveille facilement, un rien le touche, la moindre attention à son égard semble paroxystique. Il aime, oui, à n’en pas douter. Il peut vous déclamer des poèmes dithyrambiques, mais vous ne serez jamais ni sa muse ni son destinataire : c’est Cupidon qui l’est. Son amour de l’amour est tel qu’il préfère que la concrétisation du noble sentiment ne se réalise jamais, tout en souffrant qu’elle s’éloigne de lui. Mais cette souffrance le nourrit jusqu’à la lie, jusqu’à le rendre masochiste. “L’homme est un apprenti, la douleur est son maître et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert”, écrivit Musset qu’il cite par coeur, à tout crin.

Le coeur de l’amoureux de l’amour s’emballe pour un rien et souvent à sens unique. Il sait que son émoi ne sera jamais réciproque et cette impossibilité le trouble à la pâmoison. Un copain de classe, puis un collègue, un garçon croisé dans le métro ou dans la rue, il imagine chacun comme un chevalier sur son fidèle destrier, prêt à la conquête d’un lointain château et à qui il tendra son mouchoir. Il se sent Pénélope attendant inlassablement Ulysse. Même si cet Ulysse en question ignore tout de son existence. Et cet amour imaginaire lui suffit, le comble d’extase. Jusqu’au prochain coup de coeur.

Je fus l’un de ces hères. Dans mon adolescence, je tombais amoureux tous les jours, je me languissais, m’inventais un futur avec la personne sur qui j’avais jeté mon dévolu, un mariage, un voyage, une destinée. Je me souviens même avoir noté dans un carnet chaque fois que le premier garçon qui me révéla à moi-même, au lycée, me serrait la main. Mon coeur battait la chamade, l’Amour apparaissait enfin et prenait ses traits. Mais avec le recul, ce n’était pas lui que j’affectionnais, mais l’idée d’avoir quelqu’un qui envahissait mes rêves et mes fantasmes. Fort heureusement (ou malheureusement, c’est selon), la réalité du monde gay a brisé mon côté fleur bleue, le piétinant joyeusement, m’aguerrissant de ces choses-là et j’ai su ce qu’aimer vraiment voulait dire, aimer quelqu’un et non la simple idée de l’aimer lui.

M. l’Ex était ainsi, lorsque je l’ai rencontré. Il n’avait encore jamais vraiment eu de compagnon. Le seul copain qu’il eut précédemment le considérant plus comme un objet sexuel qu’autre chose. Dès lors, moi qui m’intéressais vraiment à lui, je devenais l’Amoureux avec un A si majuscule qu’il me fit peur. Lorsque je lui disais un mot un peu moins gentil que la veille (nous ne sommes pas toujours constants), je recevais de sa part un mail le lendemain, long comme la “Chanson de Roland”, dans lequel il tempêtait, clamait sa souffrance, s’imaginant au bord d’une falaise du haut de laquelle je le poussais dans le vide. Rien que ça. Mais si j’avais été particulièrement tendre et touchant, alors je recevais un autre mail, tout aussi long, vantant mes qualités qui paraissaient alors aussi innombrables que les étoiles du firmament. Constatant que j’avais affaire à un amoureux de l’amour, je préférais casser le mythe qu’il créait autour de ma personne, pour lui révéler qui j’étais réellement, afin qu’il m’aime moi et non l’idée qu’il se faisait de moi (ce qui se retourna contre moi au bout du compte, mais ceci est une autre histoire). L’ambiguïté prit fin. Il a depuis regagné ses rêves peuplés de licornes bleutées, de farfadets facétieux et de romantiques ténèbres, avec un compagnon tourmenté par l’amour version Rilke, joignant de concert leurs paumes ensanglantées en guise de serment éternel.

Je pourrais aussi vous citer Disneyman (surnommé ainsi pour son incommensurable passion pour les dessins animés estampillés Disney et les insupportables chansons qui vont avec). Trentenaire, bourré de charmes et de qualités, le garçon vivait seul et n’avait jamais connu les joies et peines du couple. Alors qu’il les désirait ardemment. Il est revenu dans ma vie régulièrement, lors de mes périodes de célibat. A chaque fois, je bénéficie d’une cour romantique et effrénée (j’ai tout de même réussi à échapper à la peluche Mickey qui tient un coeur dans ses mains à quatre doigts) et à chaque fois, nous franchissons des étapes qui pourraient conduire à une relation. Mais au moment fatidique, quand les choses commencent à se concrétiser tout doucement, il remballe ses élans et les emmène vers un autre garçon à qui il va compter fleurette de la même manière. Un peu comme un adulte qui n’en finirait plus de faire des études, s’inscrivant de fac en fac, afin de n’avoir jamais à affronter le monde du travail. Car l’amour est un travail, un vrai. Qui demande patience, énergie, force et courage, avec un salaire au bout (de misère ou le jackpot). Mais pour cela, il faut laisser ses rêves d’adolescent de côté et se laisser guider dans le monde réel. Et ce n’est visiblement pas donné à tout le monde…

Sources : Mes Invertissements via Anotherdaylight (site fermé), publication du 12 mars 2013.

 


Je reproduis cette excellente réflexion, alors que l’auteur a également arrêté ses activités de blogueur pour des raisons tout à fait louables (ici).

En lisant ce texte, dès les premières lignes, une crainte m’assaille. Je me reconnais dans la description qui est faite et je vois bien où il veut en venir. Les amoureux de l’Idée sont-ils des amoureux réels ? C’est triste, cette affaire ! Heureusement, l’auteur confesse être lui aussi tombé dans ce piège et, apparemment, s’en être sorti. Tous les espoirs sont donc permis.

Reste que… Il me vient à penser que nous les cathos qui n’avons pas su reconnaître et assumer notre dimension homosexuelle et qui avons commencé à vivre et nous comporter comme si elle n’existait pas, nous nous sommes habitués à aimer l’image de l’Ami Idéal. Une construction de toutes pièces qui permettait à la fois d’assumer, en quelque sorte, et de sublimer. Parfois, nous l’avons mêlée à la vie spirituelle et en avons recueilli des consolations, un endroit où l’on pouvait vivre un amour parfait, attendu, espéré et que nous ressentions plus ou moins comme promis , puisqu’il était déjà là. Parfois, peut-être, nous l’avons confondue avec Jésus, l’Ami Idéal et nous avons rêvé de cette amitié pure et parfaite et complète. Je dis bien : nous avons rêvé.

Rien de ce que nous avons découvert sur la vie spirituelle, la grandeur et la présence de Dieu en nos vies, n’est faux. Mais, si nous avons rêvé, il nous faut maintenant… nous réveiller !

Z – 14/01/2017

 

 

Si mes yeux si mes mains
Si ma bouche encor tiède
Si la terre et le ciel
Venaient à me manquer

Si le vent n’allait plus
Porter dans sa nacelle
Mes oiseaux et la part
Infime du secret

Si les tiges de blé
Qui ferment ton visage
N’éclairaient plus la route
Où j’avance à pas lents

Si ce poème enfin
N’était rien qu’un poème
Et non le cri d’un homme
En face de sa nuit

Mon Dieu serait-ce alors
Besoin de tant de larmes.

René-Guy Cadou, le coeur définitif

Source photo : pinterest

 

Avant,
j’avais toujours un morne livre entre les mains…

Aujourd’hui,
l’amour m’a offert une très joyeuse clochette !

Avant,
ne sortaient de ma bouche
que tristes litanies ou ennuyeuses prières…

Aujourd’hui,
voici que jaillissent de moi
poèmes pétillants, chants et quatrains.

Rumi

 

 

—-

Et s’il faut une piste d’exploration… Avant je lisais des  prières, je cherchais des mots, j’accumulais des connaissances, je remplissais ma tête, mais peut-être sans y être vraiment, comme si cela devait venir de l’extérieur. Maintenant, avec le son qui sort de la clochette et remplit l’espace, cette vibration qui m’est extérieure mais qui remplit tout mon être, cette onde avec laquelle mon coeur peut vibrer en harmonie avec lui-même et avec toute chose autour, je suis vraiment présent. Et de mon coeur peut jaillir la présence.

Ajoutons que les poèmes ne sont pas fait pour être lus, ils sont faits pour être vécus. Ils jaillissent du vécu et ne peuvent toucher et aider que ceux qui sont prêts à s’en imprégner et à les laisser vivre ne eux.

Z.

Source photo : cloche tibétaine sur Pinterest

Je ne sais pas où je vais, oh ça je l’ai jamais bien su
Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus

Aujourd’hui je t’aime, oui mais demain, on ne peut jamais être sûr de rien
On va toujours seul sur la route, je continue coûte que coûte

Et puis une route en croise une autre et puis une autre et encore une autre
Pourvu que la tienne, oh mon amour, croise la mienne tous les jours

Je ne sais pas où je vais, oh ça je l’ai jamais bien su
Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus

Je ne sais pas où je vais, oh ça je l’ai jamais bien su
Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus

Et oui je suis une cigale, t’inquiète fourmi j’crêve pas la dalle
La musique c’est un bon gagne-pain, où que je sois, je ne manque de rien

Je chante toujours de quoi grailler, de quoi trinquer, de quoi causer
Je m’endors où il fait sommeil et je passe l’été au soleil

Je ne sais pas où je vais, oh ça je l’ai jamais bien su
Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus

Un jour ici, l’autre là-bas, la SNCF ne m’aura pas
Et toi qui n’as qu’une seule adresse, ô pauvre, si tu veux, j’ten laisse

Mais échange de bons procédés, si tu veux bien m’héberger
Ben je serai le bienvenu, ben nous serons les bienvenus

Je ne sais pas où je vais, oh ça je l’ai jamais bien su
Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus

 

Paroles et musique : La rue Kétanou

Source photo : Photo de Devin Mitchell, Photographe