Je suis à nouveau avec cette question : maintenant, que faire ?

Il m’a fallu du temps pour accepter mon homosensibilité, pour constater qu’elle n’était en rien incompatible avec le fait d’être chrétien.

Et je partais de loin.

Avec cette idée introjectée par je ne sais quel mécanisme et quels conditionnements qui m’ont fait repousser l’homosexualité comme étant anormale et dangereuse pour moi depuis aussi loin que je m’en souvienne. Et cet enfoncement dans un déni terrible, barricadé de partout, qui m’ôtait l’accès à une partie essentielle de moi-même puisqu’il s’agissait de qui j’étais.

Mais pas qui j’ étais dans un détail futile, vous comprenez, qui j’étais dans ce qu’il y a de plus précieux en moi. Ma capacité à aimer, à me recevoir et à me donner, à exprimer et à accueillir de la tendresse et de la douceur. Tout ce qui fait qu’un être humain est à l’image de Dieu (« Apprenez de moi que je suis doux…et humble de cœur » dit Jésus).

Bref toute une vie amputée de moi-même dont je ne vais pas dire qu’elle est gâchée mais durant laquelle, en termes d’affectivité, d’authenticité et de don de soi, j’ai perdu du temps que j’aimerais aujourd’hui rattraper.

Las ! Les années ont passé… Pour ce qui est d’une rencontre amoureuse, c’est devenu bien compliqué, et peut-être n’y crois-je pas assez. Je suis encore amoureux du souvenir de l’ami de la fin de l’adolescence, qui, sans le savoir, m’a révélé à moi-même, à ma capacité d’aimer, de me donner. Et cela semble si loin que je ne sais si cette « magie » peut se reproduire. En tout cas, ce n’est jamais arrivé depuis.

C’est bizarre que je parle de cela. En commençant cet article, ce n’était pas mon intention. Je voulais parler de l’acceptation, certes, mais de ses conséquences surtout.

Donc je suis gay et chrétien. Très bien. Je n’ai pas besoin de le crier sur les toits ni de le montrer ostensiblement. En tout cas, pas tant qu’une vie sociale ne me l’imposerait, par exemple en cas de conjugalité.

Je suis gay et chrétien. Et tout est bien. C’est si simple, finalement. Pourquoi donc m’en suis-je fait un problème pendant des années !

Je me suis demandé un temps si d’être gay changeait la manière d’être chrétien. J’aurais pu me demander aussi si d’être chrétien changeait la manière d’être gay. Je voulais me rassurer, j’imagine, en me posant ce genre de questions. La vérité est qu’on s‘en fiche pas mal, n’est-ce pas ?

Et je me retrouve avec ce blog qui a eu en quelque sorte la vertu thérapeutique et spirituelle de m’aider à accoucher de moi-même et je ne sais plus quoi faire avec.

Je n’ai pas envie d’en faire un blog de pieuserie. Certes, j’aime lire les Evangiles et assez souvent j’ai partagé ma compréhension et ma méditation des Ecritures. Soucieux de vérifier pour moi-même, et de partager aussi, qu’il n’y a rien dans les Evangiles qui justifie le rejet de l’homosexualité. Mais qu’est-ce que cela a d’original ou même d’intéressant ? Chacun est capable d’accueillir la Parole et la laisser le transformer.

Je voudrais bien partager des choses intimes comme par le passé, des choses qui ont pu toucher certains lecteurs, parce que j’arrivais à mettre des mots sur des choses vécues aussi par d’autres qui n’ont peut-être pas cette facilité à mettre en mots. Mais la vérité est qu’en ce moment, je suis sec de tout ça. Pas inspiré. Pas dans cette énergie diraient les gens du « développement personnel ».

Reste ce constat qu’ici ou là, il existe encore des chrétiens, jeunes ou moins jeunes, qui vivent mal la découverte de leur orientation sexuelle, qui se croient malades ou pécheurs, ou – pire – damnés, et cela m’afflige énormément. J’avoue que maintenant que j’ai franchi le pas de mon acceptation, j’ai du mal à croire que cela soit encore possible. Et pourtant c’était moi il y a encore si peu de temps ! Je dois lutter pour me rappeler qu’il y a des frères et des soeurs qui sont encore dans le combat que je viens de traverser et qui, une fois passé, semble pour moi comme s’évanouir, comme s’il n’avait jamais existé, ou en tout cas comme s’il n’avait aucun intérêt.

Il y a aussi la bêtise de ceux qui utilisent la Bible ou leur représentation de la foi chrétienne pour condamner les autres. Et là, j’avoue que quelque chose en moi s’indigne. Un feu qui couve encore s’attise, se rallume et a envie d’éclater en mille incandescences pour montrer la vanité et la futilité de tous ces pseudo-arguments qui ne traduisent que les peurs ancestrales de la non-survie de l’espèce.

Que faire ? Les associations « gays », dans leur approche communautaire, forcément limitative, ne m’attirent pas. Je l’ai déjà dit je préfèrerais une église inclusive dans laquelle les uns et les autres se fréquentent et se parlent. Je n’ai pas envie que mes loisirs, mes intérêts, ma vie entière ne se passent qu’avec des gays !

Que faire ? Je tiens à mon anonymat. M’engager plus loin, pour des raisons de légitimité à parler comme je le fais, m’obligerait à toujours plus me dévoiler.

Oh que ce n’est pas simple. Se taire, je ne peux pas tout à fait m’y résoudre, faire plus je ne sais pas si j’en suis capable. Pas seul, en tout cas.

Je suis comme ce garçon sur cette image. Capable de me dénuder, de danser comme au soleil et de lancer des perches à droite à gauche, tisser des liens, mais c’est comme à l’abri des regards et pour un cercle d’initiés. Et cela ne me convient pas tout à fait non plus.

Voilà. J’avais envie de partager tout ça pour donner un peu de nouvelles. Vous êtes plusieurs à attendre patiemment que je publie, à me demander de le faire, parfois. Et c’est devenu difficile sans que je sache pourquoi. Je ne sais plus bien ce qu’ « on » attend de moi. « On » est un c**, n’est-ce pas ? Ce n’est pas à quelqu’un de me dire ce que j’ai à faire. Mais jusqu’ici je sentais comme une force en moi qui me travaillait et avait besoin de jaillir et s’exprimer. Et aussi douloureux que ce soit, c’était une force de vie, et il était facile de la laisser s’exprimer comme étant la volonté bonne de Dieu pour moi et pour d’autres.

Mais là, tout est calme.

Ce n’est pas qu’elle n’est plus là. Oh non ! Je sens bien encore en moi cette puissance prête se réveiller et à aller plus loin. Mais pour le moment, elle dort, ou prépare d’autres choses, qu’en sais-je ? C’est curieux cette manière d’en parler comme si elle était autre que moi, n’est-ce pas ? Car cette force est pourtant une partie de moi que j’assume et revendique.

Et c’est bien ce qui me rend actuellement perplexe. C’est comme si elle s’était rendormie après que le travail ait été fait. Et pourtant je sais bien plusieurs choses : que mon chemin n’est pas terminé, qu’être homosensible n’est toujours pas si simple, que la bêtise homophobe est toujours là, et je sais aussi que certains d’entre vous m’attendent.

Bon. Je sais tout ça. Mais il va falloir être patient. Vu que je n’ai pas la réponse à cette question, même après avoir écrit ce long texte – parfois l’écriture se révèle chemin et la réponse vient chemin faisant – à cette question : Maintenant, que faire ?

En attendant, bonnes vacances !

Z – 13/07/2020

Vu sur l’excellent blog de Carlos Osma, homoprotestantes.blogspot.com :

Ordonne aux fils d’Israël de se mettre en route !
Toi, lève ton bâton, étends le bras sur la mer, fends-la en deux, et que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec.

(Exode 14, 15b-16)

La plupart des personnes LGTBIQ, nous avons longtemps été face à la mer Rouge, coincés entre des puissances qui voulaient nous soumettre et asservir, et la peur paralysante générée par une mer qui semblait être la fin du monde. La fuite d’Egypte est un texte qui a tellement à voir avec nous qu’il est difficile de le lire sans que quelque chose en nous ne remue.

Cette expérience oppressante, de ne pas savoir où nous jeter, de croire qu’il n’y a pas d’échappatoire, que nous ne pouvons que choisir entre l’esclavage et la mort, a laissé une marque si profonde sur nous que lorsque nous lisons des textes comme celui-ci, nous sentons que nous nous connectons non seulement avec ceux qui ont vécu cette situation il y a des milliers d’années – je n’entre pas dans le débat sur les événements historiques qui en sont à l’origine et qui ont façonné le texte – mais avec tant d’autres qui continuent de le vivre aujourd’hui.

Vous souvenez-vous de cette douleur thoracique, de l’essoufflement, de la peur, de la solitude ou de la croyance que même Dieu vous avait abandonné à votre destin? Eh bien, c’est semblable à ce que malheureusement les autres personnes LGTBIQ qui vivent autour de nous continuent de ressentir aujourd’hui. Des gens qui n’ont peut-être même pas atteint l’adolescence mais qui, comme nous il n’y a pas si longtemps, sont tiraillés entre le pouvoir esclavagiste LGBTI-phobique de l’Égypte et celui de la mort de la mer Rouge.

Nous pourrions essayer de tout oublier, prétendre que cela ne s’est pas produit, mais inévitablement, nous retournons continuellement à ce lieu d’origine où nous acquérons une nouvelle identité, celle d’être fils et filles d’un Dieu libérateur, car là, nous nous souvenons que la dichotomie qui nous oblige encore aujourd’hui à choisir, entre l’esclavage ou la mort, est complètement erronée.

Le choix se fait à un autre niveau, croire en un dieu fondamentaliste qui ne peut nous voir que comme des esclaves qui doivent être soumis et punis pour avoir voulu la liberté et la justice, ou croire en un Dieu libérateur qui connaît la douleur des êtres humains et qui se met du côté de ceux qui souffrent et contre ceux qui les violentent. Et ce choix se répète, et est constamment répété, dans toutes les décisions que nous avons à prendre au quotidien, c’est pourquoi il est important dy retourner constamment, face à la mer Rouge, pour se rappeler quel Dieu est celui qui nous a libérés, et lequel a voulu nous asservir. “Je suis le Seigneur votre Dieu, celui qui vous a fait sortir du placard” , nous disait-il aujourd’hui, et ajoutera plus tard: “N’oubliez donc pas l’immigré, la femme maltraitée ou l’enfant vulnérable”.

Et il est vrai que la mort n’a pas le dernier mot, nous le savons par notre propre expérience, la mer Rouge peut sembler immense et infranchissable, mais le Dieu libérateur est capable de la diviser en deux et de laisser un chemin de terre ferme où seuls ceux qui aspirent à la liberté peuvent passer. C’est par ici que nous avons traversé, que nous avons marché pendant des semaines, des mois, des années, émerveillés que la vie se fraye un chemin miraculeux.

Et il est important de partager avec nos proches que cette voie existe, que nous devons oser faire le pas et continuer à avancer, que la peur ne peut pas être le seul moyen possible de rester en vie. Mais il est tout aussi important de ne jamais l’oublier non plus, car les situations d’oppression, bien que différentes de cela, se répètent toujours.

Vivre libéré exige constamment des décisions courageuses de la part du Dieu libérateur et contre le dieu de l’oppression. La phobie LGBTIQ n’a pas disparu, même si elle n’a plus autant de pouvoir sur nous que lorsque nous avons quitté l’Égypte. C’est pourquoi nous devons chaque jour continuer à prendre des décisions courageuses qui rendent notre vie non pas régie par elle, mais par la libération.

Et c’est le Seigneur qui non seulement « nous sort du placard» , mais qui « nous sort de toute autre Égypte» chaque jour, et cela doit être affirmé, partagé, crié, chaque fois que cela est nécessaire.

Source photo et texte : homoprotestantes.blogspot.com

Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
Act 2, 1

Que dire ? En ce temps de déconfinement, cette parole prend une consonance évidemment particulière.

Une lecture rapide pourrait être : Allez, voilà, recevez l’esprit de liberté et de légèreté, sortez de tous vos fardeaux et emprisonnements, déployez-vous ! Tant de gens , oh oui tant de gens, attendent cette bonne nouvelle !

Le magazine La vie rappelle fort opportunément dans son numéro de cette semaine dédié à l’histoire de la solidarité chrétienne que l’Eglise s’origine dans ce fruit immédiat de l’Esprit qu’est le vivre ensemble : communauté de vie et partage avec les pauvres. Et pas en tant que pauvres ! En tant que frères !

Bien sûr, ce récit est idyllique, mais il reste quand même la marque de l’église ( = la communauté) qui se crée autour de la présence et du faire mémoire de ce Jésus le Christ, qui, bon sang de bonsoir, n’a pas fini de dire son dernier mot. Puisque je suis, puisque nous sommes, nous les suivants de Jésus le Christ, son dernier mot.

Idyllique parce que le « voyez comme ils s’aiment » n’a probablement jamais existé tel que nous l’imaginons. Dommage, n’est-ce pas ? Et pourtant, il a existé et existe dans nos désirs, nos envies, notre projection du meilleur de ce que nous avons à faire ensemble. Vivre ensemble, nous accueillir mutuellement dans nos différences, ne pas nous juger partager nos biens, protéger les plus fragiles.

Vision idyllique mais pas fausse : oui nous sommes une famille, oui nous sommes tous les aimés du Père, les frères de ce Jésus venus sur nos chemins nous réconcilier avec nous-mêmes et les uns avec les autres. Oui, oui et oui !

Jésus vient nous visiter dans nos confinements et l’Esprit vient nous inviter à sortir de ces confinements. Infini respect de nos enfermements, de nos traumatismes, baume guérisseur sur nos plaies de non amour par Jésus notre frère, mais invitation à nous décentrer de notre petit moi, y compris dans notre petit moi blessé, pour aller en guéri, en sauvé, en ressuscité, partager cette bonne nouvelle au monde entier.

Ce n’est pas magique. Cela vient forcément de l’intérieur, pas de l’extérieur. Cf l’article que j’ai déjà posté sur ce sujet à propos de flammes de Pentecôte non pas qui se posent mais qui apparaissent en chacun : Et si on s’asseyait !

Notre confinement à chacun. De nous-même à nous même. Jésus vient le partager et nous en libérer. L’Esprit de Jésus vient en faire une force qui va témoigner dans le monde entier.

Et comment c’est possible ? Je n’en sais rien… Mais je trouve qu’il est un peu trop rapide de dire que la fête juive de Chavouot (terme hébreu pour dire Pentecôte) n’a rien à voir avec la Pentecôte chrétienne comme je l’ai lu récemment ici ou là.

D’abord parce que Luc qui écrit les Actes des Apôtres, certes en milieu hellénisant mais en devant tenir compte des judaïsants de la diaspora, ne peut pas ne pas faire le lien avec Chavouot quand il évoque la fête de Pentecôte. Et puis, dans cette reconstruction théologique postérieure que sont les évangiles et les actes, comment ne pas voir que c’est savamment voulu et porteur de sens ? Quoi qu’il en soit de la véracité historique, si ça n’avait pas de sens, il n’aurait pas eu besoin de mentionner la fête de Pentecôte, il suffisait alors de mentionner que les apôtres étaient confinés avec leur trouille dans un coin de Jérusalem et qu’un événement imprévu est venu les en libérer et les en faire sortir.

Alors, pourquoi ne pas se souvenir que la Pentecôte/Chavouot est tout simplement la fête des moissons ? Le temps où on récolte, où on partage, où on assure la vie pour les temps qui viennent…

Il y a un temps où on sort de la cabane (eh oui ! Voir ici), re-gaillardi, soigné, guéri, libéré, et où on s’occupe des autres et de ce monde qui va mal. Oui, il est un temps où on moissonne.

Le temps de la germination et de la floraison est terminé. C’est le temps de la moisson. Qu’ai-je à moissonner dans ma vie, quels grains ai-je à apporter au moulin, quelle farine à celui qui meurt ?

Ok ok, c’est peut-être pur délire de ma part. Ok… Mais pourquoi Jésus dit-il ailleurs qu’il espère qu’il y aura assez de moissonneurs ? Si chacun ne moissonne pas dans sa vie, qu’a-t-il à moudre ? Qu’a-t-il à apporter? Qu’a-t-il à partager ?

Bon, certains relèvent que le sens de fête de la moisson (Chavouot) a cédé le pas sur une fête rappelant le don de la Loi. D’accord, et cela fait-il une différence ? Si tu as reçu la Loi, t’enfermes-tu dedans et cadenasses-tu toutes les issues, ou prends-tu sa puissance de vie, sa puissance structurante, pour jaillir de terre et porter ton fruit? La loi – bien comprise ! – c’est la vie, Jésus n’a de cesse de le rappeler. Il n’y a pas de loi divine qui ne soit au service de la vie. Loi qui dépasse les règlements réducteurs qu’on en fait. Un seul principe : la vie!

Fête des moissons, fête du don de Loi, fête de l’Esprit : c’est exactement pareil au fond. Après le temps de l’appropriation, il faut porter du fruit, sortir le fruit – pour me faire bien comprendre, je vais employer un mot fort : expulser le fruit de soi. Donc oui sortir du confinement, sortir de la Loi, vivre de l’esprit qui nous a fait naître et nourrit. Il est un temps où il faut sortir et donner à la terre – c’est à dire à l’extérieur, aux autres – ce qui lui revient. Regardez une tubercule germer par exemple: c’est tellement merveilleux ! Voilà une pomme de terre, bien lisse de partout, avec une consistance apparemment uniforme, et voilà que, quand les conditions sont réunies, le processus de germination s’enclenche…

Quelle merveille n’est-ce pas que la vie confinée, que la Loi méditée et ruminée, que l’esprit de Dieu observé en ce Jésus qui a croisé nos chemins, ne puisse que jaillir de nos propres existences.

Bon réveil, les moissonneurs ! Bon déconfinement !

Photo : Ben Brooksby, alias The Naked Farmer qui publiait des photos de son activité d’agriculteur dans le plus simple appareil mais toujours de manière pudique jusqu’à ce qu’Instagram lui ferme son compte.

Les évènements actuels, et spécialement la possibilité du déconfinement ont remis à l’honneur un phénomène assez connu appelé syndrome de la cabane ou parfois de l’escargot.

En gros, cela consiste à avoir peur de sortir de son déconfinement après avoir été contraint de s’enfermer pour des mesures de sécurité. Certaines personnes ont tellement intériorisé ce besoin de protection – peut-être parce qu’elles y étaient déjà psychiquement prédisposées – qu’elles peinent à sortir de leur coquille. Il s’agit d’un état émotionnel transitoire, et non d’une pathologie, mais qui peut se révéler parfois assez handicapant s’il n’est pas accompagné intelligemment par une prise de parole raisonnée sur ce qui se passe et un encouragement à passer à autre chose.

Ce “syndrome” n’est pas nouveau, il a été formalisé pour la première fois dans les années 1900 pour décrire la situation des chercheurs d’or aux Etats Unis, isolés dans des cabanes, tous les sens aux aguets par peur de se faire détrousser ou tuer. Il fait clairement appel à un réflexe de survie archaïque qui consiste à se protéger lorsqu’un danger extérieur inconnu et insaisissable nous entoure.

Très bien. J’arrête là l’explication. Je me disais juste en lisant différentes choses sur le sujet et étant confronté à des personnes qui exprimaient leur peur du déconfinement, de sortir dans la rue, prendre à nouveau le métro ou un train pour aller voir leurs familles, etc. que probablement beaucoup de personnes homosensibles vivent ce syndrome de la cabane depuis des années, parfois depuis l’adolescence ou l’enfance.

Quelle différence y-a-t-il en effet entre la mise de soi-même au placard, comme instinct de survie permettant de continuer à se faire accepter de sa famille, sa paroisse, son quartier, la société, et cette peur de sortir de chez soi au cas où le danger, imaginé très grand, serait encore là ?

Continuons la comparaison qui n’est pas qu’une métaphore.

Les observateurs de la psychologie nous disent que le syndrome de la cabane est transitoire et n’est pas pathologique. Tant mieux ! Non plus le faire d’être homosexuel et d’être obligé de le taire, le nier, se cacher quand c’est un instinct de survie. Sauf que l’état transitoire a duré parfois bien longtemps. Il sera facile de s’en libérer une fois pour toutes une fois le coming out* fait (un peu comme ce lieu commun qui dit que quand on sait faire du vélo, c’est pour la vie : quand on sait faire du vélo, on ne peut pas oublier qu’on sait en faire). Mais parfois les séquelles sont lourdes en termes d’image et d’estime de soi, de capacité relationnelle, et d’ouverture à un amour réel et désintéressé.

La bonne nouvelle est qu’il est possible de sortir de cet état de stupeur qui empêche d’avancer et de se dévoiler tel qu’on est. Faire les choses petit à petit, prendre le temps, aller vers soi pas à pas, sans précipiter les choses, et se faire accompagner par une personne qui pratiquant l’accueil inconditionnel, saura nous faire sentir, pour la première fois peut-être, que non seulement ce n’est pas grave d’être homosexuel mais au fond c’est même plutôt bien. Oui, vraiment, c’est très bien, puisque ça nous est adapté. Et même plus, pas seulement adapté. C’est juste que c’est nous, que c’est soi.

Se rencontrer soi et se considérer avec bienveillance. Parfois avec la présence d’un témoin amical qui confirme que ce chemin est possible, voilà la clé.

– – –

(*): Je rappelle qu’il y a trois phases possibles dans le coming out : 1/ celui qu’on se fait à soi-même (sortir du déni, assumer qui on est pour soi), 2/ L’exprimer, le partager avec des gens de confiance (amis, famille, proches) 3/ le vivre socialement et publiquement.

Le plus important des coming out et le seul nécessaire à son intégrité psychique est le premier, les deux autres sont à décider au cas par cas si cela est opportun.

– – –

Photo : © Guy Moigne

“Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi.”
Jn17, 11

Waouh, faut oser quand même !

Je suis absolument certain que les croyants ne se rendent pas compte de l’immensité de cette parole. Le mot “monde”, on a tellement l’habitude de l’entendre qu’on n’y prête plus attention. On l’a affadi, on le comprend souvent comme “mondanités”, petites choses, là où on est, avec nos contingences.

C’est pas faux, mais c’est très réducteur.

Car le mot qu’emploie l’évangéliste et qu’on a traduit par monde est ni plus ni moins que le cosmos. pas notre petit monde quotidien, non, mais l’ensemble du monde, l’ensemble du monde ! L’univers ! Le COSMOS (kosmos, en grec).

L’évangéliste Jean l’utilise pour la première fois dès le premier chapitre, au verset 9, parlant du Verbe qui était au commencement (v1) avec Dieu (v2), qui était la vie (v4), et lumière des hommes (v4 aussi) et : “Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde (kosmos), éclaire tout homme” (V9)

Waouh !

Il est question de cosmos, là. Pas de petites choses matérielles et d’embrouilles de tous les jours. De l’univers entier !

Cette lumière, là.. oui, l’évangéliste dit aussi qu’ “elle était dans le monde (kosmos), et le monde (kosmos) a été fait par elle, et le monde (kosmos) ne l’a point connue.” (Jn 1, 10)

Vous en voulez d’autres ?

En Jn 1,29 alors que Jésus vient à Jean le Baptiste, celui-ci dit : “Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde (kosmos)”. En clair: voici celui qui empêche le monde d’aller dans sa mauvaise direction, d’aller à sa perte. (sur le péché comme mauvaise direction, voir ici)

En Jn 3,16 il est est question de savoir pourquoi Dieu s’intéresserait au monde et en quoi ça concerne ce Jésus-là qui est venu parmi nous : ” Car Dieu a tant aimé le monde (kosmos) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.”

Etc. Je ne peux quand même pas tous les citer. Mais dites donc, est-ce que vous vous rendez compte de ce que ça signifie ? Quand Jésus dit qu’il est le pain de Dieu celui “qui donne la vie au monde (kosmos)” par exemple, que le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde (kosmos), quand il dit qu’il est venu dans le monde pour l’éclairer, pour lui apporter une paix qui n’est pas de ce monde [Jn 14, 27: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde (kosmos) donne.”] c’est qu’enfin la pacification de nos êtres est commencée, et pas seulement de nos êtres du coup mais aussi de toute la création. Interrogeons-nous si nous ne la ressentons pas encore, peut-être sommes encore trop dans le cosmos (le monde), pas encore traversés par la lumière?

Waouh…

“Désormais je ne suis plus dans le cosmos, eux (nous !) sont dans le cosmos et je viens vers toi.”

En fait, ça pourrait être assez désespérant. Genre, je les quitte,je les abandonne, je retourne au Père, au dessus de la ligne qui sépare le Royaume des cieux et le Royaume du monde, du cosmos. Sauf que 1/ le Royaume des Cieux est déjà là 2/que la lumière est venue dans le cosmos 3/ que l’Esprit nous est envoyé pour continuer à être cette lumière.

Ce pourrait être désespérant, oui, sauf que justement l’Evangile de Jean est celui qui insiste le plus sur le fait que le Verbe s’est fait chair justement parce que le monde (le cosmos) n’a pas reconnu la lumière qui l’a créé. Plus exactement, les hommes n’ont pas reconnue la lumière et ont perdu cet esprit de vie pour se laisser “fasciner par l’esprit du monde” – un faux esprit – qui loin de leur donner l’autonomie rêvée les entraîne vers leur destruction. La mort, la vie : il faut choisir. Pour choisir, discerner. Pour discerner, savoir que les deux existent (Jn 12, 25 : Jn 12, 46; Jn 12, 47).

Ce brave Jean, est celui qui insiste le plus sur sur ce sujet, il faut croire que cela le travaille. On trouve le mot cosmos dans 152 versets du second testament, dont 55 dans l’évangile de Jean (Et pour ne parler que des versets car si on compte le nombre de fois où le mot est utilisé plusieurs fois dans le même verset – spécialité de cet évangéliste 😉 – c’est bien plus d’occurences encore.) Si on s’en tient aux quatre évangiles, le mot cosmos n’y apparaît que dans 69 versets, ce qui fait de l’évangile de Jean le grand champion : ramené aux quatre évangiles, 80% des versets employant le mot cosmos sont dans celui de Jean. C’est dire si c’est important pour l’auteur de cet évangile.

Mais alors pourquoi tout ça ?

Ce serait un peu long à expliquer, mais en gros c’est un peu comme si Jésus le Christ avait restauré l’échelle de Jacob. A nouveau, la communication terre-ciel est rétablie. A nouveau l’esprit peut innerver la terre. A nouveau la vérité de notre condition et de notre destinée peut se déployer. A Pilate qui l’interroge sur sa royauté, Jésus répond : “Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde (kosmos) pour rendre témoignage à la vérité.” (Jn 18, 37)

Même son de cloche un peu auparavant quand il répond à Jude, à ne pas confondre avec Judas l’Iscariote, qui l’interroge clairement sur cette apparente opposition entre ciel et terre, Monde et Royaume du Père, et finalement sur le comment et le pourquoi il se ferait que lui et ses copains disciples ils recevraient quelque chose que le reste du monde aurait plus de mal à recevoir : “Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous, et non au monde (kosmos) ?”(Jn 14,22)

La réponse de Jésus est claire : “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.” (Jn 14, 23) où parole, n’est-ce pas, est logos ( Au commencement était le logos), et aimer est agapeo, un verbe très intéressant puisqu’il suggère plus que le fait d’aimer (phileo) mais aussi d’accueillir, d’agréer.

Bref, le courant est rétabli.

Jésus, comme envoyé du Père (messie, christ), apporte au monde (kosmos) la lumière que les hommes ont rejeté ou n’ont pas su reconnaître. Cette lumière qui est vie… et vie éternelle. Ceux à qui il a pu la partager, ils les a gardés, et désormais la lumière est à nouveau dans le monde (kosmos). Il sont reliés, unis, uns avec lui et avec le Père. Et désormais, la lumière ne peut que grandir à nouveau dans le coeur des hommes.

Nous assistons à une cosmologie divine. Non, je m’exprime mal. Nous n’assistons pas, nous sommes propulsés dans une cosmologie divine dont nous devenons les acteurs par le simple fait que nous ayons rencontré Jésus le Christ et que sa lumière nous a touchés.

Désormais le monde ne peut plus fonctionner comme avant, il est sanctifié par la vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ. Et cette puissance de vie qui le traverse est plus forte, quoiqu’il en soit des apparences, que les forces de mort du monde (“cosmos”) qui entraînent les hommes quand ils ne sont plus réceptacles de lumière.

Affreux anthropomorphisme, à vrai dire. Car la nature a ses lois d’équilibre et d’harmonie bien plus sûres que celles des hommes. Et justement, peut-être parce que dans son instinct de survie vital, si je puis dire, elle n’a pas loisir de refuser la lumière pour laquelle les humains, quant à eux, ont reçu liberté d’accueil et d’accomplir.

Il me vient à penser qu’une certaine tradition juive, amoureuse de la création au point d’encourager la créativité dans toutes ses formes artistiques, ainsi que la cosmologie célébrée dans la liturgie céleste orthodoxe, ont peut-être sauvegardé cette célébration de la lumière bien plus que n’ont su le faire les traditions chrétiennes occidentales.

Toujours est-il que la lumière est venue dans le cosmos, et que Jésus, lumière des hommes venu dans le cosmos s’en retournant au Père, la question est bien : qu’allons-nous faire de cette lumière qu’il nous a transmise, qu’il a restauré dans le cosmos? L’univers entier devrait en profiter, devrait la célébrer. Quand je dis l’univers, je vise bien notre maison commune, comme l’appelle le pape François, mais aussi la qualité de nos relations sociales entre humains et avec les autres vivants.

Waouh, ça aussi… Jésus nous laisse dans le cosmos. Ca y est, sa mission est remplie (ou presque, on recevra l’esprit-saint à la Pentecôte!), mais bon sang, on va en faire quoi alors de ce cosmos?


Photo : The Golden Hair, cliché de Maxence Brierre sur flickr