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La réalité est ce qu’elle est.

(En écrivant cela, je pense à la déception de celui qui me lit : ” La réalité est ce qu’elle est…! C’est donc ça la vérité ?”)

Ce concept, ignoré bien qu’incontestable, comporte trois implications qu’il me paraît important de souligner. (…)

Les faits, les choses, les situations sont comme ils sont

La réalité n’est pas comme il me conviendrait qu’elle fût.
Elle n’est pas comme elle devrait être
Elle n’est pas comme on m’a dit qu’elle serait.
Elle n’est pas comme elle a été.
Elle n’est pas comme elle sera demain
La réalité extérieure à moi est comme elle est.

Il me paraît utile de rappeler que le changement ne peut intervenir que lorsque nous sommes conscients de la situation présente. Comment pourrions-nous tracer notre route vers New York sans savoir en quel point de la planète nous nous trouvons?
Je ne peux me mettre en chemin que depuis mon point de départ : c’est cela accepter que les choses sont comme elles sont.


Je suis qui je suis

Je ne suis pas qui je voudrais être.
Je ne suis pas celui que je devrais être.
Je ne suis pas celui que ma mère voulait que je sois.
Je ne suis même pas celui que j’ai été.
Je suis qui je suis.

Soit dit en passant, toute notre pathologie psychique vient, selon moi, de la négation de cette phrase.
Toutes nos névroses commencent lorsque nous essayons d’être ce que nous ne sommes pas.

Dans Laisse-moi te raconter..les chemins de la vie, j’ai écrit à propos du rejet de soi :

Tout a commencé ce jour gris
où tu as fièrement cessé de dire :
JE SUIS…
Et où, mi-honteux mi craintif,
tu as baissé la tête et changé
tes paroles et tes attitudes
pour une pensée terrible :
JE DEVRAIS ÊTRE…

…et s’il est difficile d’accepter que je suis qui je suis, il est encore plus difficile d’accepter la troisième conséquence du concept “La réalité est ce que’elle est” :

Toi… tu es qui tu es

Autrement dit :

Tu n’es pas qui j’ai besoin que tu sois.
Tu n’es pas celui que tu as été.
Tu n’es pas comme cela me convient.
Tu n’es pas comme je veux.
Tu es comme tu es.

Accepter cela, c’est te respecter et ne pas te demander de changer.

Il y a peu, je me suis à définir le véritable amour comme : la tâche désintéressée consistant à créer l’espace qui permet à l’autre d’être qui il est.

 

Jorge Bucay, psychiatre et psychothérapeute argentin,
Je suis né aujourd’hui au lever du jour, Oh! Editions, 2004

 

 

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“Tu seras aimé
quand tu pourras montrer ta faiblesse
sans que tu n’aies peur que l’autre
s’en serve pour affirmer sa force.”

Cesare Pavese

C’est une belle citation, sûrement intéressante pour toute personne qui a besoin de s’éveiller, s’ouvrir, se découvrir. Probablement est-elle vraie pour les relations parents-enfants, pour toute démarche ressemblant à un coming out.

Mais elle est insuffisante. Parce que l’amour n’a en fait pas à voir avec un rapport de force ou de non rapport de force. Je dirais plutôt :

Je saurai que tu m’aimes le jour où je pourrai paraître devant toi sans que rien de moi ne t’effraie ni te repousse, et que ton regard bienveillant m’accueille et me fasse encore grandir. Je me saurai aimé quand je m’apercevrai que tout ce qui m’effraie n’est rien pour toi tellement tu m’as précédé dans l’acceptation inconditionnelle de qui je suis.

Et puis… Parce que l’amour est échange et relation : je saurai aimer quand ayant reconnu cet amour inconditionnel sur moi, pour moi, en moi, je saurai t’accueillir avec le même amour inconditionnel sans aucun désir particulier ni possessivité. Inconditionnel et désintéressé. Totalement libre et disponible.

 

Z – 7 juin 2016

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Les Thérapeutes, comme le reste des humains recherchent le bonheur ; ils savent qu’aucun bonheur durable ne peut être fondé sur l’illusion. La vérité est la condition même de la vraie joie, aussi faut-il avant tout “chercher à voir clair”; cela suppose un “retrait des projections” qui nous empêchent de voir ce qui est. Un élément important de la thérapie des Anciens est l’epochè, la “mise entre parenthèses” ; regarder quelque chose, quelqu’un, un évènement et “mettre entre parenthèses” c’est-à-dire “suspendre” son jugement, ne plus projeter sur “cela” telles craintes, tels désirs, tous ces “paquets de mémoires” dont est chargé le moindre de nos regards.

Voir clair, dans un premier sens, c’est voir ce qui est; ce qui est et rien d’autre. L’epochè concerne autant l’émotion que le jugement et la pensée; elle suppose une grande liberté à l’égard de nos réactions, mais ces attitudes “réactives” que nous prenons souvent pour des actions justement, on ne les maîtrise pas. Avant de seulement imaginer que cela soit possible, il s’agit d’abord de prendre conscience. L’epochè constitue un moment important pour sortir de son “propre point de vue” et de ses conditionnements; voir les choses à partir d’elles-mêmes, dans leur “autreté” irréductible à nos perceptions fragmentaires, est le commencement de la claire vision.

“Apprendre à voir clair”, dans un deuxième sens, c’est développer en soi une vision “éclairante”, celle qui vient de l’oeil du coeur. Il est des regards qui vous rétrécissent, vous chosifient; il en est d’autres qui vous rafraîchissent, vous éclairent… de des regards vous ressortez plus purs, plus fiers et comme agrandis.

Notre vie ne vaut souvent que par le regard sous lequel on se place. Le regard du Thérapeute est non seulement clair dans le sens de “lucide”, d'”objectif”, autant que cela est possible à un sujet, il est également clair dans le sens d’éclairant; on se voit mieux, on se découvre davantage devant un tel regard, non dans une nudité coupable ou honteuse,mais dans notre nudité essentielle d'”être aimé de l’Être”.

Devant un tel regard on ne se sent pas toisé, jugé, mesuré, mais “accepté”, cette acceptation étant la condition nécessaire pour que commence un chemin de guérison; mieux, devant un tel regard on se sent “aimé”, mais aimé de façon non possessive ou intéressée, “aimé pour soi sans qu’on y soit pour rien”… étrangement aimé.

 

Jean-Yves Leloup,
Prendre soin de l’être – Philon et les Thérapeutes d’Alexandrie,
Albin Michel, 1993.

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Être soi, cela ne va pas de soi. Pour être soi, il faut que l’altérité de l’être m’accorde ma part. Et chacun, en tant qu’être humain, a sa “part d’être” à prendre. Il se trouve que l’ami peut m’aider à prendre ma part. Il peut me montrer que j’ai à être. Tous ceux qui sont de vrais amis savent cela.

Hölderlin dit que ce qui nous est propre est ce que nous apprenons le plus difficilement – alors même que cela nous est propre. Pour entrer dans un libre rapport avec ce qui nous est propre, poursuit Hölderlin, il faut passer par l’étranger. En l’occurrence, il parle des peuples, mais cela est tout aussi vrai pour chacun de nous. (…) Au départ, nous sommes toujours crispés avec ce qui nous est propre. Ce détour par l’étranger pour “s’être soi-même” ou “être à soi” correspond à la structure même de la finitude humaine. Alors que l’ego est en pleine possession de lui-même, je ne suis pas pas en possession de mon propre être. Mon être doit m’être octroyé. C’est une situation étrange, au sens littéral. C’est donc un autre qui va me faire don de ce qui m’est le plus propre? Oui ! “L’amitié (philia) est la bienfaisante faveur qui dispense à l’autre son aître” dit Heidegger dans le cours sur Héraclite – son aître : ce qui lui est le plus propre.

(..) Dans le cours sur Héraclite, Heidegger poursuit :

“L’amitié (philia) est la bienfaisante faveur qui dispense à l’autre son aître, cet aître qu’il a de telle manière que c’est grâce à cette amitié que l’aître qui en reçoit la faveur vient à fleurir en sa propre liberté.”

J’ai donc bien mon être, mais je ne l’ai pas au sens d’une possibilité véritable, c’est-à-dire avec tout le rayonnement libre que cela implique. L’ami est celui qui m’octroie cela. Le plus extraordinaire tient au fait que l’ami m’octroie quelque chose dont il n’a pas lui-même la possession. Il n’a pas notre être dans sa poche, comme s’il pouvait nous dire un beau matin “tiens, au fait”, il faut que je te donne ton être!” Non : il donne quelque chose qu’il n’a pas. Mais c’est par lui et grâce à lui que je vais y prendre part – prendre part à cela qui m’est propre.

Ainsi est structurée la finitude humaine : ce qui m’est le plus propre, je n’en ai pas la possession. C’est pourquoi Aristote écrit (Ethique à Nicomaque, VIII,2) :

“A un ami, en revanche, on dit qu’il faut souhaiter tout ce qui est bon pour être celui qu’il est en propre.”

Il le faut. Sans quoi l’ami ne reçoit pas ce qui lui est propre. Ce “falloir” est un signe de manque (en ancien français, “il faut” voulait dire “il manque”). Ce qui manque, c’est le rapport libre à ce que vous avez en propre? Vous l’avez sans l’avoir, ou, mieux, vous l’avez sans l’être pleinement. Votre part d’être vous est adressée, mais pour qu’elle soit pleinement votre partage, il faut que vous la preniez cette part – alors même que c’est la vôtre. Et l’ami, au sens le plus élevé, est celui qui vous aide à la prendre, et vous la donne en vous la montrant, car une fois encore, il n’en est pas lui-même le détenteur. Cela ne dépend plus ni d’un toi ni d’un moi – cela dépend de : être.

(…) C’est cela que veut dire Dasein chez Heidegger. Être le là : je ne vise pas, je ne me concentre pas – j’ouvre toute ma possibilité d’être pour que (cela) vienne à être et ainsi m’ad-vienne.

(…) Dans le rapport avec l’ami, vous êtes le là de ce que vous avez à être, parce que l’ami vous octroie votre ouverture à être. Sans en avoir lui-même possession, il vous l’octroie en ceci qu’il vous la montre. Telle est la finitude humaine : c’est le fait que les choses doivent nous être montrées. Et la première monstration dans laquelle j’existe, c’est la langue. elle me porte dans l’être. Ce n’est pas moi qui utilise, comme on dit la langue, mais bien plutôt elle qui me porte et me montre. Tant que nous pensons que nous nous servons de la parole, nous ne parlons pas véritablement. Tant que nous pensons que nous avons choisi notre ami, ce n’est d’une certaine manière pas encore un ami au sens le plus plein.

Hadrien France-Lanord,
S’ouvrir en l’amitié, Editions du Grand Est, 2010, p. 55-58.

Voilà le plus beau texte que j’ai pu trouver pour rendre compte de ce qu’il semble arriver: le fait d’advenir à être par et grâce à l’ami qui n’a rien demandé du tout et qui, sans l’avoir lui-même, donne la part d’être qui est la vôtre. Sorte de réveil, de sursaut, d’appel. Y a-t-il réciprocité possible ? L’auteur répond de manière sybilline (p.56) :

Réciprocité ne veut pas nécessairement dire simultanéité, au sens où cela ne se fait pas nécessairement dans le même temps chronologique – même si cela se fait dans la même maturation de temps.

Ce n’est pas la réponse que j’aurais aimé entendre. La simultanéité offrait la possibilité d’une grande explosion de bonheur et de joie partagés. Faut-il se résoudre à être éveillé à soi-même, saisi d’amour par et pour celui qui provoque cela et devoir passer son chemin ? Possible. Ou tout simplement se défaire de l’amour-fascination qui est encore projection de soi sur l’autre et non pas invitation à son éveil à être. Simultanéité ou pas, en soi, ça n’a pas d’importance. Si cela en a, c’est que le mouvement n’est pas encore libre.