S’il suffisait d’être là
Pour être,
Sans se gratter la tête
De pensées parasites,
S’il suffisait
De partir pour oublier,
De saisir pour aimer,
De courir pour avancer,
La vie serait simple.
S’il suffisait d’écrire
Pour être lue,
Je serais entendue !

Dominique Giovanetti

Source texte : cité dans La Gestaltung de Hans Prinzhorn

Image : Kontra K, rapper allemand.

Qu’est-ce qui nous dérange dans notre sexualité et notre génitalité? L’être nous effraie, nous nous intéressons à scruter l’univers en envoyant des sondes spatiales mais nous ne pouvons pas nous voir nus et cela ne nous inquiète pas, ou nous prétendons que ce n’est pas de la peur mais de la morale et de la protection.

Ceux qui osent se déshabiller sont considérés comme des provocateurs et des transgresseurs, couverts de préjugés en l’absence de vêtements. Nous les mettons de côté et ils ont besoin de nombreux permis spéciaux afin de ne pas offenser la grande majorité habillée. Comme si les vêtements faisaient vraiment partie de notre être.

Sanango Sinchi

Modèle : Polo Velasco photographié par Roberto Pacurucu
Source texte et photo : www.rpacurucuph.com

Qu’est-ce qu’aimer ? Vaste question. Non seulement le mot est galvaudé mais en plus nous sommes souvent dans la plus grande confusion avec une désarmante sincérité. Quand j’aime, est-ce l’autre que j’aime ou moi-même? L’image de moi qui aime, ou le retour bienfaisant que l’autre m’apporte comme un réconfort, une réassurance ? Et comme l’on sait au fond qu’être amoureux est bon pour soi, on peut même confondre la recherche de l’amour, le désir d’être amoureux, avec l’amour lui-même.

Pour aimer véritablement, il faudrait être libre de toute attache. Etre complètement disponible, tant dans la présence que dans l’absence. On pourrait y a ajouter une pointe de discernement ignatien et parler aussi de la sainte indifférence qui fait que je suis tellement dans l’acceptation de ce qui vient que je n’ai aucune préférence. Tout est bon, tout est amour.

Mais peut-être cet amour est-il “trop” parfait ? Bien sûr, il faut y tendre, lui seul nous comblera en toutes circonstances, mais en attendant… J’ai besoin de réassurance, j’ai besoin de tendresse, j’ai besoin d’attention, j’ai besoin d’un amour humain de reconnaissance, probablement issu de ce qui n’a pas encore été comblé dans le processus de passage de l’enfance au mode adulte. Oui, il est possible que l’amour humain vienne conforter l’ego, apporter de l’assurance, de la reconnaissance, de la confiance qu’on aurait du mal à trouver seul. Cela fait partie du processus, me semble-t-il. Ce n’est en rien condamnable, ce besoin de tendresse.

Il faut juste être conscient que ce n’est pas encore l’amour. Le risque est fort que j’attende de l’autre, même inconsciemment, qu’il m’apporte la satisfaction dont j’ai besoin mais qui n’a rien à voir avec lui. Mais alors, je n’aime pas vraiment gratuitement et inconditionnellement. J’aime la satisfaction que cela m’apporte, l’attention, le soin qu’on m’accorde et qui m’a fait défaut. Je m'”“m’attache” – quel curieux double sens possible avec ce mot – à l’autre pour tenter de sécuriser cette satisfaction. Et j’abdique ma liberté. Or, sans liberté totale et sans cesse renouvelée (y compris celle d’être fidèle !), pas d’amour véritable.

C’est curieux mais c’est ainsi : l’amour est libre de toute attache.

Cela étant, l’être est en éternel voyage. Si l’amour est l’absence d’attachement et la disponibilité totale à ce qui est, il s’inscrit dans une évolution. Je ne suis pas le même aujourd’hui qu’hier ni le même que je serai demain. Il en va de même pour celui que je rencontre… Marcher ensemble sur le chemin est donc toujours un risque que cela ne dure pas, mais c’est aussi un choix, un acte volontaire et libre d’avancer, d’écouter, faire attention à l’autre, l’encourager, etc.

L’amour envisagé comme action, c’est l’amour envisagé comme choix volontaire dont découle le sentiment. Et non l’inverse.

Voici ci-dessous un texte que j’ai trouvé sur l’excellent blog de Michael J. Bayly (thewildreed.blogspot.fr) qui vient alimenter cette affirmation. Lui-même, le blogueur, commente une définition de l’amour qui vient des travaux de Erich Fromm et de Scott Peck, avant de donner la parole à Bell Hooks (l’extrait que je reproduis ci-dessous). Bell Hooks commente la conception de l’amour de Peck selon laquelle “l’amour est ce que l’amour fait”. Faire, au sens d’agir, car pour ces auteurs l’amour n’est pas un sentiment mais une action et c’est en confondant les deux qu’on se trompe de perspective et que nous devenons parfois bien malheureux.

Pour Peck, l’amour est la volonté de s’étendre soi-même dans le but de nourrir sa propre croissance spirituelle ou celle d’autrui.

La plupart d’entre nous, nous apprenons très tôt à penser que l’amour est un sentiment. Quand nous nous sentons profondément attirés par quelqu’un, nous nous focalisons sur lui ; c’est-à-dire que nous y investissons des sentiments ou des émotions. Ce processus d’investissement dans lequel un être cher devient important pour nous est appelé « cathexis ». Dans son livre (Le chemin le moins fréquenté , Pecks insiste à juste titre sur le fait que la plupart d’entre nous “nous confondons cet investissement cathéxique et l’amour”. Nous savons tous combien souvent des personnes qui se sentent connectées à quelqu’un par le fait de cet investissement cathéxique assurent qu’elles aiment l’autre personne même si elles la blessent ou la négligent. Puisque leur sentiment est celui de l’investissement, elles affirment que ce qu’elles ressentent est de l’amour.

Comme beaucoup qui ont lu Le chemin le moins fréquenté (The Road Less Traveled) encore et encore, je suis reconnaissant d’avoir reçu une définition de l’amour qui m’a aidé à affronter les endroits de ma vie où l’amour manquait. J’étais dans la mi-vingtaine lorsque j’ai appris à comprendre l’amour « comme la volonté de s’étendre soi-même dans le but de nourrir sa propre croissance spirituelle ou celle d’autrui». Il m’a fallu des années pour abandonner les schémas de comportement appris qui niaient ma capacité à donner et recevoir de l’amour. . . . Il m’a fallu beaucoup de temps pour reconnaître que pendant que je voulais connaître l’amour, j’avais peur d’être vraiment intime. Beaucoup d’entre nous choisissent des relations d’affection et d’attention qui ne deviendront jamais de l’amour parce qu’ils se sentent ainsi plus en sécurité. Les demandes ne sont pas aussi intenses que celles que l’amour l’exige. Le risque n’est pas énorme.

Beaucoup d’entre nous aspirent à l’amour mais n’ont pas le courage de prendre des risques. Même si nous sommes obsédés par l’idée d’amour, la vérité est que la plupart d’entre nous, nous vivons des vies relativement décentes, plutôt satisfaisantes, même si nous sentons souvent que l’amour fait défaut. Dans ces relations, nous partageons une affection et / ou une attention authentiques. Pour la plupart d’entre nous, c’est assez parce que c’est généralement beaucoup plus que ce que nous avons reçu dans nos familles d’origine. Sans aucun doute, beaucoup d’entre nous sont plus à l’aise avec la notion que l’amour peut signifier n’importe quoi pour n’importe qui précisément parce que lorsque nous le définissons avec précision et clarté nous nous confrontons à nos manques – avec une aliénation terrible. La vérité est que trop de gens dans notre culture ne savent pas ce qu’est l’amour. Et cette non-connaissance semble être un terrible secret, un manque que nous devons cacher.

Si l’on m’avait donné une définition claire de l’amour plus tôt dans ma vie, cela ne m’aurait pas pris autant de temps pour devenir une personne plus aimante. Si j’avais partagé avec les autres une compréhension commune de ce que signifie aimer, cela aurait été plus facile de créer de l’amour.

. . . Certaines personnes ont des difficultés avec la définition de l’amour de Peck parce qu’il utilise le mot «spirituel». Il fait référence à cette dimension de notre réalité centrale où l’esprit, le corps et l’esprit sont un. Un individu n’a pas besoin d’être croyant dans une religion pour embrasser l’idée qu’il existe un principe d’animation dans le soi – une force vitale (certains d’entre nous l’appellent l’âme) qui, lorsqu’elle est nourrie, améliore notre capacité à s’auto-actualiser et nous rend capable de nous engager dans la communion avec le monde qui nous entoure.

Toujours commencer par penser l’amour comme une action plutôt que comme un sentiment est un moyen pour quiconque utilise le mot de cette manière d’assumer automatiquement la responsabilité de rendre compte et d’agir. On nous enseigne souvent que nous n’avons aucun contrôle sur nos «sentiments». Pourtant, la plupart d’entre nous, nous sommes d’accord pour dire que nous choisissons nos actions, que l’intention et la volonté façonnent ce que nous faisons. Nous acceptons également que nos actions ont des conséquences. Envisager que les actions modèlent les sentiments est une façon de nous débarrasser des présupposés conventionnels tels que le fait que les parents aiment leurs enfants, ou que l’on «tombe» simplement amoureux sans exercer de volonté ou de choix. . . . Si nous nous rappelions constamment que l’amour est ce que l’amour fait, nous n’utiliserions pas le mot d’une manière qui dévalorise et dégrade sa signification. Lorsque nous aimons, nous exprimons ouvertement et honnêtement l’attention, l’affection, la responsabilité, le respect, l’engagement et la confiance.

Bell Hooks, All About Love: New Visions (2001)
Extrait du chapitre 1 “Clarity: Give Love Words”

Texte cité sur le blog thewildreed.blogspot.fr

Illustrations : oeuvres de Paul Richmond