Il y a de multiples façons d’interpréter le texte d’Evangile proposé par la liturgie de ce dimanche (Mc 8, 27-35). Je vais en proposer une qui ne sera peut-être pas très conventionnelle mais qui est en cohérence avec le reste de l’Evangile.

D’abord résumons le texte. Jésus se rend aux confins de la Galilée et au delà visitant les villages de la région de Césarée de Philippe. Chemin faisant, il demande à ses disciples ce qu’on dit de lui, puis ce que, eux, en pensent, et il leur enjoint tout à coup de ne pas parler de lui à personne après que Pierre ait lâché : “Tu es le Christ“. Là-dessus, il se met à enseigner à propos de ses souffrances à venir, sa mort et sa résurrection, et Pierre se croit alors avisé de le reprendre en privé. Jésus lui répond en l’apostrophant en public (devant ses disciples) :”Passe derrière moi Satan ! tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes.” Et il fait appeler la foule pour tenir un discours semble-t-il encore plus radical : “Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera.

Ce texte est clairement un écrit postérieur à la vie de Jésus cherchant à donner sens à des évènements connus de l’auteur de l’Evangile, à savoir la mort et la résurrection de Jésus, ce qui fait qu’on trouve dans les paroles de Jésus une mention selon laquelle, pour le suivre, on doit porter sa croix alors même que la Passion et la Résurrection n’ont pas encore eu lieu. Inutile d’imaginer que par “préscience” il informe ses locuteurs de ce qui va arriver, l’explication est beaucoup plus simple : le texte de l’Evangile de Marc date au minimum des années 50 après Jésus : l’auteur, lui, connaît la fin tragique de Jésus et il rassemble des éléments de nature à prouver que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. Il l’annonce dès le verset 1 de son Evangile (Mc1,1).

Le texte proposé étant assez disparate, il est probable qu’il y ait plusieurs traditions mémorielles qui soient rassemblées ensemble sans souci de cohérence chronologique ou même historique. Ca n’est pas grave, c’est justement le génie de l’auteur de nous transmettre sa foi et celle de sa communauté en collant bout à bout des éléments divers qu’il a pu récupérer.

Sachant cela, soyons intelligents. Essayons de prendre les éléments un par un pour comprendre comment il font sens ensemble.

1/ Jésus visite les villages des confins de la Galilée, dans un univers largement romanisé et ouvert aux autres cultures que le seul judaïsme. Il est en pays de Zabulon, ces confins d’Israël traditionnellement voués à commercer et entretenir la (bonne) relation avec les autres peuples. Ce voyage en lui-même est “révolutionnaire” : Jésus va à la rencontre des autres peuples. Certes, probablement en rencontrant d’abord les juifs de la diaspora comme il est de coutume alors mais dans un contexte où les étrangers sont là, présents et parfois majoritaires en nombre. Soit il va à la rencontre des juifs des villages pour les consoler de la présence romaine, soit il va à la rencontre des gens qui se trouvent en ces pays, indépendamment de leur appartenance religieuse signifiant que la Bonne Nouvelle est pour tous les humains. Les deux hypothèses existent, la première étant la plus probable. Mais dans les deux cas, notons que Jésus sort de sa zone de confort : il n’a pas peur de l’étranger, de la différence, de la promiscuité avec les païens. Pas peur de l’humanité toute entière ( ce pourquoi je dis cela s’éclairera plus loin).

2/ Si je dis que la première hypothèse est la plus probable, c’est que, EN CHEMIN (Pas à Césarée même), Jésus s’enquiert de ce que l’on peut dire de lui. Les réponses indiquent que les villageois lui sont reconnaissants et le rattachent à des figures bibliques : Jean-Baptiste, Elie, un prophète. Vérification intéressante : les judaïsants de ces contrées reconnaissent par la venue de Jésus que Dieu ne les a pas abandonnés.

3/ “Et vous, qui dites-vous que je suis ?” Etonnante question. Genre : “voilà, vous voyez le bien que je fais, vous entendez ce qu’ils disent et comprennent. Mais, vous, que retenez-vous de ce que vous voyez et entendez?” Sorte d’invitation à la relecture qui annonce d’emblée un enseignement à venir. “Tu es le Christ” s’exclame le brave Pierre, figure toujours impétueuse mais tellement authentique et attachante des évangiles. Le Christ, c’est-à-dire le Messie, l’envoyé, l’oint, de Dieu. Pas d’objection de Jésus mais cette consigne ferme de ne rien dire à personne. Action très difficile à interpréter, toute interprétation pouvant être fausse ou incomplète. Mais notons l’impression de rapidité qui se dégage de ce texte et qui justifie l’interprétation courante : “ok, c’est bien ça mais chut ! il ne faut pas le dire, ce n’est pas le moment”. Et aucune explication de pourquoi ce n’est pas le moment. De là, toutes sortes d’hypothèses et interprétations…

4/ Le texte insiste ensuite lourdement sur le fait qu’être le Christ, ce n’est pas une sinécure. Il va falloir souffrir et mourir. Et alors on pourra parler de résurrection. Mettons-nous dans l’esprit de l’époque. La première partie du programme (mourir et souffrir) est un teaser absolument pas excitant, et la deuxième partie (ressusciter), une fantasmagorie digne de Harry Poter. Ca peut faire peur, ça peut indigner ça peut susciter l’incompréhension, le doute, la colère. Pierre se croit obligé d’intervenir.  Compréhension traditionnelle mais pas suffisante de ce passage : le monde n’est pas prêt à recevoir son sauveur, même Pierre ne comprend pas et, maladroitement, essaie d’empêcher le salut d’avancer.

Mais la réponse de Jésus est intéressante. Pour la comprendre, il faut veiller à ne pas faire d’anachronisme. Il l’affuble de “satan”, ce qui littéralement signifie “celui qui résiste”. On pourrait traduire : “Passe derrière moi, toi qui résistes.” C’est quand même bien moins violent que d’imaginer que Pierre est devenu l’incarnation du diable en personne. Le mot satan est assez souvent utilisé dans l’Ancien Testament pour désigner quelqu’un qui résiste , qui accuse, qui se pose en adversaire, voire en ennemi, mais il est très peu utilisé come nom propre et seulement dans deux écrits très spécifiques : le livre de Job qui, tout extraordinaire qu’il soit, n’est pas un livre historique, et le livre de Zacharie, prophète tardif dans lequel il n’y a que deux occurrences. Le nouveau testament, écrit en contexte greco-païen emploie certes davantage la personnification de ce mot hellénisé mais justement dans un contexte philosophique différent où il est courant d’opposer le bien et le mal comme deux forces contraires dans la conception d’un monde binaire qui n’est pas celle héritée du judaïsme.

D’ailleurs Jésus précise sa pensée : tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celle des hommes. Là est la nature de la résistance. Pierre, bien qu’ayant bien répondu à la question de ‘qui je suis pour vous’, tu n’as pas compris la portée de ta réponse, et c’est d’ailleurs pourquoi je ne veux pas que vous parliez de moi ainsi. Je ne suis pas un superhéros, je ne viens pas vous délivrer avec des pouvoirs magiques ou une puissance qui vous ferait sortir des contraintes de la création et de votre humanité. Je suis un homme qui va souffrir et mourir, même si je suis voué à la vie – comme vous. C’est ça la vérité. M’empêcher de le dire à me propres disciples, c’est risquer de leur faire croire que je vais les tirer de leurs turpitudes d’un coup de baguette magique alors qu’il n’y a pas d’autre chemin que d’assumer – mais alors de l’assumer COMPLETEMENT – son humanité.

Cette résistance, là, elle dit que tu n’es pas encore prêt, que tu n’as pas encore compris.

5/ Appel des foules et discours sur le renoncement nécessaire pour suivre Jésus, comme si il devenait tout à coup urgent de lever un malentendu qui pourrait être lourd de conséquences :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même,
qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ;
mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »

Discours qui peut paraître un peu radical de prime abord, mais qui ne l’est pas tant que ça si on prend la peine d’appliquer le bon décodeur. Si Jésus n’est pas un superhéros, alors quel type de sauveur est-il ? Visiblement pas quelqu’un qui cherche le pouvoir, à renverser Hérode ou les romains, à restaurer la grandeur d’antan, etc. La clé est à a fin de la péricope : l’Evangile, c’est-à-dire la Bonne Nouvelle. Quelle bonne nouvelle ? Dans les quatre évangiles mais peut-être encore plus dans celui de Marc qui annonce la couleur dès le début, celle-ci : tu es aimé de Dieu. Tel que tu es. Avec tes limites, même avec tes péchés. Plus besoin de te morfondre, de te lamenter, de te croire indigne, d’imaginer avoir quelque chose à faire, à racheter, pour gagner la miséricorde de Dieu ou ton salut. Tu es aimé de Dieu, une fois pour toutes et c’est définitif. Alors juste, montres-toi-s-en digne.

Regarde-moi. Tu me vois bien ? Tu me vois vivre avec toi, avec vous, parler aux gens, les rencontrer, les relever d’une parole ,d ‘un geste, qui sont des actes d’amour. Ils rencontrent l’amour et se relèvent, se remettent debout, se remettent à espérer.

Tu le vois tout ça, n’est ce pas ? Que je vais sur les routes, que je rencontre les gens, et spécialement les blessés de la vie, que je leur annonce la libération. Ce ne sont pas les mots qui les délivrent, c’est l’intention amoureuse avec laquelle je m’adresse à eux. Ils se sentent, mieux : ils se savent, soudain, aimés et cela transforme leurs vies et celles de leurs maisonnées.

Et tu voudrais, Pierre, ou qui que tu sois qui me lis aujourd’hui, que je sois un super héros, que j’ai des super-pouvoirs, que je leur sois tellement étranger qu’ils ne puissent pas se réconcilier avec leur propre humanité ?

Regarde-moi : je suis Jésus de Nazareth, un homme comme toi, avec juste cette petite différence qu’il nous faut maintenant abolir que j’ai abandonné ma volonté à l’Esprit d’amour qui traverse toute vie. Oui, je suis le Christ, l’Envoyé de Dieu parce qu’il m’a trouvé totalement disponible pour déployer son action en moi à la face de tous mes frères et soeurs humains. Je vous montre le chemin, je vous montre ce chemin, mais je ne peux pas le réaliser à votre place alors que vous avez,  à votre tour, à le réaliser.

La vérité, c’est que c’est vous qui devez faire ce chemin. Je vous montre que c’est possible, et même à quel point c’est possible, en le vivant parmi vous, mais ne m’idolâtrez pas. Entendez, vous êtes des enfants de Dieu, conduisez-vous comme des enfants de Dieu. Laissez-le se déployer en vous, arrêtez de résister. Il est l’âme de votre âme, le souffle de votre souffle, le sang de votre sang. Il est la vie qui coule dans toute les cellules de votre humanité et, au-delà des cellules, de cette part immatérielle qui constitue votre être éternel et qui passera la mort et ressuscitera.

Alors, oui, vous avez chacun votre croix à porter : assumer votre humanité. Qui est petit, gros, malade, blessé, contrarié, chagriné, vexé par ce qu’il est ou qu’il a vécu. Oui, vous êtes faits d’humanité, de contraintes, de limites, imparables. Portez vos croix, assumez votre humanité.

C’est avec ça que vous allez, que tu vas me suivre. Pas malgré ça. De même que Dieu m’a rejoint dans mon humanité et vous fait dire que je suis l’Envoyé de Dieu parce que le Bien vient à votre secours, tu peux toi aussi choisir d’accepter cette humanité et de la transcender. Tu peux être artisan du Bien, de la Paix, de l’Amour, en laissant cette force de vie se déployer en toi. Si tu cherches à garder tes limites, à les justifier, à les faire valoir, tu t’attaches à ce qui est promis à la mort alors que ton être éternel est là qui attend à se déployer pour le bien de tous. Voilà pourquoi je dis que quiconque veut sauver sa vie la perdra.

C’est un peu comme dans l’Evangile de la samaritaine, tous deux nous parlons de l’eau mais ce n’est pas de la même. Ici nous parlons de vie, mais toi tu parles de ton existence confinée et moi je te parle de la vie éternelle qui emplit même un corps déformé par la misère ou la souffrance.

Bref, il ne s’agit pas que j’agisse à ta place. Je te montre le chemin, en le vivant devant toi et avec toi, mais tu dois le parcourir toi-même. Tu ne dois pas faire comme moi, tu ne dois pas être moi. Tu dois être toi devenu à ton tour Christ. Là est le secret.

A cet endroit nous nous rejoignons.

Z. 13/09/2024

 

Illustrations : vues sur le blog tumblr d’@antonio-teixeira

Et s’il s’avère que je passe
par toi
pour me trouver, moi,
c’est qu’il y a en toi
quelque chose de moi
que le soi, l’être universel,
a probablement déposé là,
quelque chose de commun
qui nous met chacun sur notre route,
– peut-être la même.

Pour un soir, un jour, pour la vie,
voilà de l’eau et du pain,
voilà de la substance, de l’esprit,
pour continuer chacun son chemin.

C’est un peu comme une carte au trésor.
Tu cherches, tu trouves, tu t’extasies,
tu partages ou tu gardes pour toi.

Tu t’ouvres à toi-même,
et l’autre est là
qui s’ouvre à lui-même aussi
peut-être.

Un jour,
j’ai rencontré celui qui m’a éveillé
à l’amour.
Il m’a laissé aller,
Il a pris son propre chemin.
Mais, quelque que part en moi,
il s’est créé un espace
que rien d’autre n’a pu combler depuis.

Le lieu de notre rencontre,
le lieu où se rencontrer soi
et rencontrer l’autre
sont la même chose.

Un espace qui reste ouvert.
Tant mieux si d’autres en profitent.
Mais toi, l’ami qui a ouvert cet espace,
tu y es éternellement
le bienvenu.

Z – 20/05 et 31/05/2024
(Ce texte prolonge le précédent).

Photo : Carlos Santollala et John Tuite photographiés par Ruben Tomas dans le magazine Behind the blinds (août 2015).

La quête infinie de soi vers soi.
Une quête qui est un retour à soi.

Mais comment retrouver le Soi
quand il ne s’est pas encore confronté
à la diversité et la différence
comme hors de Soi ?

Alors le Soi s’expériencie
à la fois là comme partout,
partout étranger
et incomplet
à soi.

Être partout et être là.
Revenir à soi,
être ici.
Voilà le chemin.

Z – 20/05/2024

Sur la photo : Devin Moorman, modèle pour l’agence DTM

Aj Neu

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
“Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom
le nom que tu m’as donné,
pour qu’ils soient un,
comme nous-mêmes.”
(Jn 17,11b)

Ton nom, le nom que tu m’as sonné, que nous soyons unis en ce nom…
Quel autre nom que le seul, magistral, que Dieu veut bien nous donner dans la Bible:
Je suis.
J’étais, je suis, je serai.
J’étais celui que je suis.
J’étais celui que je serai.
Je suis celui que j’étais
Je suis celui que je serai
Je serai celui que je suis
Je serai celui que j’étais.
Je suis.

Impossible de me limiter
dans un nom ou un concept.
Je suis.

Ce nom imprononçable
que Dieu donne à Moïse
exprimé dans ce temps inaccompli
qui fait qu’on peut le traduire dans tous les sens.
Je suis, j’étais, je serai.
Permanence dans l’impermanence.
Souffle de vie qui ne s’éteint jamais.

Être de ton être,
et tu ne le sais pas.

Jésus le sait.
Il participe de ce nom,
Il se reçoit de ce nom qui est également action :
“Je suis”,
dépassant les frontières du temps et de la création,
dépassant aussi les limites de nos pauvres rationalisations.

Jésus,
premier d’entre nous à se revoir de “Je suis”,
à s’accueillir comme vivant dans ce nom, par ce nom.

Et nous,
pauvres humains qui courrons de-ci de-là
à la recherche du bonheur,
à la recherche d’une continuité, d’une assurance, d’une permanence…

Nous sommes simplement invités
à entrer dans ce mouvement de “Je suis”,
ce mouvement d’amour qui a commencé avant nous
– avant notre existence terrestre,
et qui se prolongera au-delà.

Juste,
accueillir le “Je suis”
et le laisser se déployer
en nous.

Sois,
bon sang !
Qu’attends-tu ?

Z. 12 mai 2024

Photo : Aj Neu, modèle chez Soul Artist Management

Voilà un homme qui me confie qu’il est attiré par les hommes. Il le vit comme un calvaire, une abomination, il se déteste pour cela. Il prie, il implore, il demande pardon, croit être délivré et retombe dans son penchant… Désespoir.

Mon blog lui fait du bien, semble-t-il. Et pourtant, il repousse de toutes ses forces cette dimension homosexuelle qui l’habite comme si elle lui était étrangère et qu’on pouvait l’extirper.

J’ai vécu cela tellement longtemps ! Durant toute mon adolescence et une grande partie de ma vie d’adulte… Alors je comprends et j’assiste impuissant à cette lutte intérieure angoissante et fatigante. Il faut du temps pour repérer ces forces obscures qui s’agitent en soi, pour en comprendre en les enjeux, accepter qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, qu’elles sont moi. Moi en conflit avec moi-même sur fond de non acceptation de qui je suis vraiment.

Et pourquoi je ne m’accepte pas ? Pourquoi je vais imaginer que l’orientations sexuelle, le fait d’avoir des fantasmes sexuels avec quelqu’un du même genre, de me masturber peut-être avec ce genre de scénarios, ou, même que de m’attacher affectivement à quelqu’un du même sexe, ce serait mal, péché, tentation, force du mal, ou que sais-je encore ? Cette conception de moi, ou plus exactement cette non-compréhension que ce conflit m’appartient dans toutes ses dimensions, a conduit à des imbécilités comme la mise en place des thérapies de conversion, heureusement aujourd’hui interdites par le droit ET par l’Eglise, mais aussi à des exorcismes, des prières de libération, etc.

Mais quoi, expulser une partie de moi ? Me libérer d’une partie de moi ? Quel non sens ! Ah non alors, ce ne serait pas moi… Ce serait le diable, le malin qui viendrait me tenter alors que Dieu lui m’appelle à la sérénité, la paisibilité, une hétéro-normalité paisible et tranquille, et qui serait, dans mon cas, aseptisée, anesthésiée, sans couleurs, sans mouvements, sans vie, tellement je ne suis pas attiré sexuellement par les femmes…

En réalité, ce conflit intérieur est bien entre une partie de moi qui souhaite être heureuse, reconnue socialement, non rejetée du club des humains et une autre partie de moi qui me fait peur, qui me fait penser que le monde s’écroulerait si je l’acceptais car cela voudrait dire que je ne suis pas normal, que je suis malade, fou, différent, étrange…Tout ce qui fait qu’on pourrait me rejeter, m’abandonner et qu’alors je préfère rejeter comme dangereux, comme une porte vers un inconnu qui fait peur. TERRIBLEMENT peur ! A la manière d’une peur archaïque d’enfant qui craint d’être englouti dans un grand vide. Qui a peur de mourir. Qui veut être aimé. Et qui va s’imaginer que pour être aimé, pour ne pas mourir, il faut donc être dans la norme.

Moi, je ne suis pas malade, je ne suis pas anormal, je ne suis pas différent, je veux être aimé, accepté, accueilli comme tout le monde, j’en ai un besoin tellement vital que c’est sûr : JE NE PEUX PAS être homosexuel !

Pas besoin d’être dans une famille homophobe pour assimiler et faire siennes ce genre de convictions qui conduiront au déni et au refoulement de cette part de soi. Non pas besoin ! Je dois rendre justice à ma famille que jamais je n’ai entendu une remarque haineuse envers les personnes homosexuelles dans ma famille. Dans mon cas, c’était plus un silence gêné et si le sujet venait dans une conversation, un haussement d’épaules pour dire “c’est comme ça” et une sorte de tristesse en évoquant ces gens qui sont “différents”.

Dans mon cas, pas besoin de propos homophobes mais une peur. Une si grande PEUR d’être rejeté si j’ouvrais la porte à cette homo-sensibilité que j’ai sentie très tôt en moi. Non, pas question d’être différent ! C’est trop dangereux ! Et si on me rejetait?

Le déni peut se nourrir d’une homophobie bien plus subtile, celle de la société, de la religion, des églises. Très tôt j’ai intégré que ça ne se faisait pas (ou plus exactement que ce n’était pas permis, ce que je confondais à l’époque), que ce n’était pas acceptable, que ça ne pouvait que créer des ennuis. Alors comment accepter cette part de moi quand on y voit que des inconvénients et que notre petit être d’enfant a la prescience que pour survivre il ne faut pas être rejeté, qu’il faut se conformer, entrer dans le moule ? La pire des violences, peut-être, est celle qui est silencieuse car elle dure ; on s’y habitue, et plus on s’y habitue, plus elle dure, plus elle s’enkyste loin dans notre mémoire et plus il sera difficile d’y revenir. De revenir à cette part de moi oubliée et pourtant bien réelle.

Alors revenons un instant à ce conflit intérieur entre moi et moi. Il y a une partie de moi qui est bien éduquée, qui est polie et conformiste et ne veut pas de vagues. Et il y a une partie de moi que j’ai rejetée, niée, refoulée, qui est tapie au fond de moi, blessée, souffrante, en colère peut-être, de ne pas avoir été reconnue, de ne pas avoir pu se déployer, de ne pas pouvoir exister.

Parmi les dénigrements de moi-même, il y a l’image que je me suis faite de Dieu, des évangiles et de l’église. Là aussi, il y a à questionner et à déconstruire. La représentation que je me suis faite de Dieu, elle est faite du message d’AMOUR qu’on m’a transmis mais aussi de tous les préjugés et fausses informations qu’on m’a transmis tout en transmettant ce message d’AMOUR. Sur fond de jugement moral à deux balles : ce qui est bien, ce qui est mal ; qui est accepté et qui est rejeté. En l’occurrence, la Bible serait contre l’homosexualité, la tendance homosexuelle serait contre la loi naturelle, l’amour de personnes du même genre et les pratiques sexuelles qui vont avec seraient des abominations, des désordres structurels. Tous ces grands mots (ces grands maux!) : et puis quoi encore ?

Revenons au textes bibliques, revenons à l’Evangile. Sans chercher à hiérarchiser ou à opposer un texte à un autre – au nom de quoi on le ferait, sur quel critère meilleur qu’un autre ?

Et que reste-t-il ? “Aimez-vous les uns les autres”…”Je ne suis pas venu pour juger”…”Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés”… ” Qu’ils soient Uns”… “Je suis venu…pour que pas un ne soit perdu”… “Je suis pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance”…etc.

Quel drame ! Que nos préjugés d’humains limités nous fasse comprendre et appliquer de travers un message d’amour INCONDITIONNEL. Inconditionnel : ça veut dire sans conditions, sans possibilité d’exclure quelqu’un. Comment donc les disciples du Christ peuvent-ils s’exclure les uns les autres et continuer de se proclamer chrétiens ? Pire: comment donc puis-je adhérer à ce Jésus, mon ami, qui m’aime inconditionnellement et m’exclure moi-même ? Exclure une partie de moi comme non aimable, ce qui revient au même ?

Revenir de ces fausses conceptions de Dieu, de tous ces préjugés sur lesquels on s’est structuré depuis l’enfance est un travail long et douloureux. Mais il est possible et il est salvateur : il permet de se réconcilier avec soi-même, au sens de : se retrouver, se rassembler, s’unifier.

Je n’ai pas de conseils à donner, pour chacun ce chemin sera différent. Mais j’ai eu envie de partager ce dessin de David Hayward qui m’a, en son temps beaucoup aidé. Peut-être aidera-t-il l’un d’entre vous à aller plus loin vers lui-même ? Rien de notre humanité que Jésus ne connaisse pas déjà et que, pour sa part, il accepte et il aime déjà. C’est ça qui est nouveau avec Jésus : c’est fini les peurs d’être rejeté, c’est l’amour qui vient !

Dans ce dessin, le premier personnage s’excuse : ‘Tu sais, Jésus, je crois que je suis gay !”

Et Jésus, sans lui lâcher la main, de répondre : ” Dude! (c’est-à dire : mec, poteau, copain, l’ami!) je le sais (déjà) depuis bien plus longtemps que toi longtemps que toi !”

A méditer. Longtemps, souvent. Chaque fois que nécessaire.

Z. – 14 septembre 2023