Avec la Toussaint, revoilà l’Evangile des Béatitudes (Mt 5, 1-12a).
Heureux les doux, heureux les purs, heureux les artisans de paix…
Ces déclarations de Jésus, sont reçues comme programmatiques par de nombreux chrétiens : Heureux, tu es fait pour être heureux! Promesse de bonheur pour toi, qui que tu sois. Promesse de bonheur pour toi même si tu pleures, si tu souffres, si tu es méprisé, si on dit du mal de toi à cause de moi…
Que de chrétiens se sont levés à l’annonce de ce programme ! Ils se sont levés et ont agi, non tant pas pour eux que pour les autres. Pour défendre la justice sociale, pour défendre la paix, pour défendre la dignité de l’homme, pour soulager toute souffrance, toute misère.
Pourtant, ce mot “heureux”, il n’est pas simple. A la vérité, il est dit au présent, à l’actif, là, pour maintenant. Et, en écrivant cet article, pour qu’il me soit acceptable, j’ai dû le transformer en “promesse de bonheur” comme si c’était pour demain. J’ai déjà entendu des prédicateurs le traduire par ” Tu seras heureux , toi qui…” ou par ” Tu es fait pour le bonheur, toi qui…“.
Mince, alors, je suis fait pour le bonheur, je serai heureux mais ce n’est pas pour maintenant? Bon, on peut toujours dire – et c’est vrai ! – qu’aux yeux de Dieu , c’est maintenant et que s’abandonnant à son amour avec confiance, tu vas le goûter dès maintenant. Oui, mais, bon… L’injustice, la souffrance, la misère ? Là, je ne les rêve pas ; elles sont là aussi pour aujourd’hui !
Vraiment, quelle confiance en l’amour de Dieu ont eu ces pionniers qui, à cause de ces paroles de Jésus, se sont lancés dans la construction d’un monde meilleur pour tous ! Ils ont cru et ont mis en pratique que la béatitude est une promesse immédiate pour tous, sans exception !
Leur coeur et leurs tripes, quelque part, leur ont fait comprendre les mots transmis de Jésus dans l’esprit.
Car pour ce qui est de la transmission, la traduction française n’est, encore une fois, pas ou plus suffisante.
Le mot traduit par heureux vient du terme grec ‘makarios‘ qui effectivement n’est quasiment traduit que par les mots heureux ou bienheureux. C’est le sens du prénom Macaire, le bienheureux. Si l’on va plus loin, pour ce qui est de l’étymologie grecque, deux hypothèses existent concernant la racine du mot. L’une, la plus courante, propose de le rattacher au mot ‘makar‘, qui indique le bonheur dans le sens de ce qui plaît à Dieu (et donc aux hommes forcément !) Il y a ici une intéressante discussion relevant des expressions grecques, italiennes, espagnoles et même serbes, qui viendraient de cette étymologie.
Une autre hypothèse, s’appuyant sur la racine ‘mak‘, indique que le terme ‘mak-arios’ suggère l’idée d’être grand ou d’être élevé. ‘Arios‘ même racine que le dieu grec Arès, dieu de la guerre, pourrait alors désigner le combat. Le ‘makarios‘ est alors celui qui est grand, qui est élevé, par ou dans le combat. Il y a une idée de prestige, d’honneur , d’être distingué, dans cette acception-là
Notons que, même si elles ne s’appuient pas sur la même racine, les deux hypothèses ne sont pas incompatibles et qu’au contraire, elles enrichissent le sens du mot ‘macaire’.
Cela étant, cela ne suffit pas. Pour comprendre les “béatitudes”, probablement faut-il se rappeler que, même si les Evangiles ont été écrits en grec, ce n’était pas la langue de Jésus, et qu’il y a déjà là la traduction d’une tradition sémitique largement attestée dans la Bible, dans les Psaumes, les Proverbes et plein d’autres Livres.
Car des bénédictions dans la Bible, il y en a ! Or le mot hébreu que l’on traduit couramment par “heureux”, et probablement en grec par ‘macarios“, est ‘ashar‘. Et ‘ashar’, ah! ‘ashar’, c’est impossible de le limiter au mot ‘heureux’ ou ‘bien-heureux’, ‘ashar‘ contient l’idée de marcher, d’avancer, aller de l’avant. C’est donc une vision très dynamique du bonheur. Est heureux celui qui avance, celui qui marche. Et comme souvent dans l’hébreu biblique, cela est renforcé par une sorte de répétition comme dans le Psaume 1 ou le Psaume 118 :
“Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit !” (Psaume 1, 1-2)
“Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur !Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout coeur !” (Psaume 118, 1-2)
Autrement dit et très maladroitement transcrit par moi : “Ils marchent bien/droit, ceux qui marchent selon la voie du Seigneur.”
Celui qui est “heureux” c’est celui qui marche selon les voies du Seigneur et qui ne se laisse pas détourner du bon chemin. Il va vers Dieu, il vit avec Dieu, Dieu est avec lui ( ce qui ne veut pas dire que Dieu fait à sa place).
Mais pourquoi redire ce qui est très bien écrit par ailleurs, voici un un extrait d’un commentaire du Psaume 1 publié sur le site interBible :
“Au point de départ, il y a un problème de traduction. Même si les évangiles ont été écrits en grec, Jésus n’a peut-être jamais utilisé le mot makarios. Quand il priait en hébreu, il utilisait le mot ashré. Or, l’hébreu a un sens beaucoup plus riche que le grec. Quand on dit de quelqu’un qu’il est heureux, on peut penser à deux aspects : l’état dans lequel il se trouve et la cause de son bonheur.
Le grec comme le français et l’ensemble des langues vernaculaires indiquent un état. L’hébreu indique la source du bonheur. Le passage d’une langue à une autre a affaibli la portée du mot heureux. Makarios, c’est le terme utilisé par les épicuriens pour désigner un état de bien-être. À la limite, ça peut indiquer un bonheur « à fleur de peau », selon l’expression un peu facile « d’être bien dans sa peau ». C’est le même mot pour exprimer le bonheur d’un petit chien à qui l’on donne la viande du Dr Ballard ! Est-ce juste cela que Jésus nous promet, « d’être bien dans sa peau »? Je suis heureux de faire une croisière. Je suis sur le bord d’un lac; il fait beau; je me la coule douce avec une petite bière près de mon hamac! Je suis makarios. Je suis en bonne santé; je viens d’acheter une nouvelle voiture; j’ai décroché un bon travail : je suis makarios. J’ai gagné à la loto, je suis makarissimos!
Ashré nous oriente sur une autre piste. Selon son étymologie, ashré signifie quelque chose qui est « droit ». Même en hébreu moderne, pour dire à quelqu’un d’aller tout droit, on utilise la même racine : Lakh iashar ! Parmi les mots de la même famille, on rencontre Ashéra, la déesse de la fertilité, dans le panthéon cananéen. Dans les temples dédiés à Ashéra, on érigeait un pieu sacré au sommet duquel était fixée la déesse. Juges 6,25 évoque justement ces fameux pieux sacrés contre lesquels se sont insurgés les juges et les prophètes.
Le bonheur, au sens hébraïque, prend sa source dans une vie droite. Il ne s’agit pas d’un vague bonheur épidermique, mais d’un bonheur qui découle d’une rectitude de vie. André Chouraqui, traduit « heureux» par « En avant » c’est-à-dire continue à marcher droit malgré les épreuves de la vie.”
(La suite sur interBible)
Les saints, ces témoins du bonheur.
Pas seulement d’une promesse de bonheur mais que le salut de Dieu est en marche, que le Royaume de Dieu se construit jour après jour, en ce moment-même, à travers toute action vraie, selon une vie droite et juste. Le témoin du bonheur ne siège pas au conseil des méchants (Ps 1), il marche sur la route des hommes, témoin de l’amour de Dieu dans l’ici et le maintenant. Il va de l’avant et entraîne les autres. La gloire de Dieu est déjà sur lui, même si ni lui ni personne le la perçoit ainsi.
Allez, les marcheurs, en avant, tous !
C’est la Tous-saint !
J’aime beacoup la traduction de la Bible, aussi celle du Nouveau Testament, d’André Chouraqui. Il traduit partout ‘bienheureux’ par ‘en marche’. Il ne s’agit pas seulement d’un état d’âme, mais aussi d’un appel.
Bien à Vous, en marche!
En marche … ceux qui souffrent …
en marche … ceux qui pleurent …
ce fut le début des Paroles de celui qui nous a redonné courage à l’ Au Revoir à un ami qui venait de mourir et que nous accompagnions au crématorium …
et il nous a redonné du courage !
[Merci à Pierre Colombani de Toulon qui les a prononcées !]