Homosensibilité, amitié, sexualité… Voilà trois mots, trois réalités qui peuvent ou pas faire bon ménage !
C’était si simple quand je ne me savais pas, ne me reconnaissais pas, homosensible. J’avais des amis, je les aimais, je les aimais à offrir ma vie pour eux, à laisser mon cœur se dilater, déborder, s’épancher, et il n’y avait aucune dimension sexuelle là-dedans. En tout cas, c’est ce que je croyais.
A vrai dire, c’était assez facile à croire puisque les personnes qui étaient le sujet ou l’objet de mon amour étaient bien inconscientes de tout cela et bien incapables d’y répondre à la mesure où je l’aurais désiré. Un désir infini, en fait. Alors idéaliser l’amitié, la rêver, la sublimer, était devenu facile même si cela me rendait, au fond, très solitaire.
Deux ou trois fois, mon cœur, mon être, se sont enflammés sans retour. Et ce vide abyssal provoqué par la non-réponse était blessure et souffrance. J’étais un enfant, un ado, un jeune homme. A un moment, je ne saurais expliquer pourquoi ou comment, il a été plus facile de couper court à cette hypersensibilité, ne plus l’écouter, ne plus lui prêter attention, entrer dans le moule de l’apparente normalité.
Peut-être certains psy pourraient-ils y reconnaître l’homosexualité ou la bisexualité latentes qui traversent plus ou moins fortement et longuement toute adolescence et sa conversion naturelle en hétérosexualité ? C’est ce que j’ai cru aussi. C’est ce qu’une partie de moi a voulu, c’est ce que j’ai fait. Mais est-ce que cela correspondait à qui j’étais ? Probablement pas, puisqu’aujourd’hui, je reviens là-dessus.
Depuis, j’ai vécu, j’ai muri, grandi en « taille et en sagesse ». Pas la taille du corps, mais j’ai grandi en épaisseur humaine, avec de multiples expériences qui chacune apporte patiemment son lot d’enseignements et de repères. J’ai grandi aussi en sagesse, quoique parfois j’en doute, mais c’est bien le privilège de la maturation, du temps et du long cheminement spirituel, qui m’amènent à l’acceptation de qui je suis et, curieusement, me ramènent aux premières années de l’affirmation de mon être, celles des intuitions fulgurantes, des grands émois et des choix que j’avais reniés.
Aujourd’hui, je sais que toute relation est sexuée. Pas forcément sexuelle mais sexuée. Je sais, je comprends, je compatis et j’accepte pour moi-même que tout être homosensible est un être blessé qui appelle la tendresse qu’il n’a pas reçue à un moment ou à un autre, quelle qu’en soit la raison. Au demeurant, il ne faut pas exagérer cette blessure. Je connais des hétéros bien mal en point, bien blessés par des blessures d’amour. De là, mon questionnement dubitatif sur les théories d’incomplétude et de plénitude de l’identité que l’on voit ici ou là concernant la gente homosexuelle. Ca semble parfois pertinent, mais cela ne l’est visiblement pas à chaque coup.
La question reste donc complexe, et d’autant plus que toutes ces théories qui circulent sur l’origine de l’homosexualité sont déroutantes pour nombre de personnes qui aimeraient comprendre ce qui « cloche » en elles dans l’espoir de pouvoir le résoudre. Et si rien ne clochait, en fait ? C’est si dur que ça, de faire cette hypothèse ? Il y a des gens qui sont gauchers ou dyslexiques ou dys-autre-chose, il y en a qui sont albinos, il y en a qui ont un pied-bot ou une tâche de vin… Leur conteste-t-on d’être pleinement humains et cherche-t-on à les rendre autres que ce qu’ils sont ? Qu’on ait essayé, je ne dis pas, mais, aujourd’hui, il semble bien qu’on admette ces différences sans dire qu’ils ne sont pas « complets » au regard des conventions anthropologiques du moment.
Donc, toute relation est sexuée et pas forcément sexuelle.
Qu’en est-il de l’amitié ?
J’espère qu’il est facile de comprendre que lorsqu’on est homosensible, l’amitié avec le même sexe devient tout de suite très compliquée. L’usage, pour distinguer l’amour de l’amitié, est de se référer au désir. Y a-t-il désir de l’autre, désir sexué, désir sexuel ? Mais même l’appel à cette notion de désir est complexe. Quand je désire la présence de mon ami, le voir, le toucher – et pas forcément pour des caresses génitales, suis-je encore dans l’amitié ou déjà dans l’homosensibilité, voire l’homosexualité ?
Et quand mon cœur se dilate et ressent ce lien si particulier à l’autre, cette sorte de connexion et « désire » qu’il soit partagé, « désire » un retour pour pouvoir se dire, s’épancher et porter du fruit, sommes-nous encore dans l’amitié ou est-ce de l’homosensibilité, et est-ce de l’homosexualité ?
Cette sensibilité-là, celle du cœur, dans laquelle nous sommes quelques-uns à nous reconnaître, est bien compliquée à discerner et à vivre. Probablement, cette sensibilité s’est creusée et approfondie en écho à un manque de tendresse qu’elle vient rechercher. Manque de tendresse de l’enfance. Mais elle est devenue aussi un talent, une sorte de perception subtile de réalités qui n’apparaissent pas au commun des mortels, elle est devenue aptitude à percevoir la beauté de l’autre, à s’en émerveiller, la célébrer et s’en nourrir. Est-ce encore ou déjà du désir, ou juste la magie d’une rencontre qui se fera ou pas selon que l’autre a ou pas cette même aptitude et la dirige vers l’objet dont il est le sujet (ou le sujet dont il est l’objet) ?
Ceux qui découvrent cette « attirance » vers l’autre de même sexe, avec l’élan de la pureté propre à l’enfance ou aux idéaux de l’adolescence, vont appeler cela amitié, et c’est vraiment de l’amitié, une connivence avec l’autre, connivence de coeur, d’âme, d’activité. Sexuée, et pas forcément sexuelle. Sexuée, dans le sens où c’est bien avec et par le même sexe qu’on est attiré mais pas pour avoir des activités génitales.
Ceux qui se sont découverts homosensibles, avec cette hypersensibilité qui les tourne vers l’autre et en attendent de la tendresse, avec un désir de plénitude et de réciprocité – si souvent incompatibles, avec une certaine recherche d’exclusivité aussi, et avec, peut-être, des rêves érotiques masculins, des rêves masturbatoires – plus ou moins conscients et assumés – avec l’être aimé dont pourtant ils ne veulent rien de sexuel, vont se reconnaître, peut-être « amoureux ». Terme bien difficile à admettre pourtant, tant il suggère la possibilité de rapprochements physiques qui ne sont pas ce qui nous meut en premier. « Etre amoureux » dans la société actuelle, c’est encore admettre la possibilité d’un rapprochement sexuel, voire d’un désir sexuel. Or, là, nous parlons de quelque chose d’autre. C’est être amoureux mais en même temps, ce n’est pas ça. C’est plus et c’est moins et c’est autre. C’est probablement le mot qui s’en rapproche le plus, et en même temps il est tellement en deça, au niveau du cœur et de la sensibilité, de ce que l’on voudrait pouvoir exprimer.
Et puis, il y a ceux qui auront osé des gestes de tendresse, des caresses… plus, peut-être. Soit qu’ils aient été voulus comme résultat de pulsions sexuelles claires et avérées, soit qu’ils viennent comme le résultat doux et tendre de deux êtres qui se rapprochent et qui, à un moment, ont besoin de se toucher, presque naturellement [et pourquoi j’écris “presque”!?], même si ce n’est pas l’objectif suivi. Se reconnaître homosexuel…
Homosensibilité, amitié et sexualité…
Est-ce que les grandes amitiés spirituelles, les grands désirs de fraternité universelle ne sont pas des manifestations sublimées de l’homosensibilité ? C’est juste une question, je n’ai pas la réponse…
Pourquoi est-ce que je pose toutes ces questions ? Parce que j’ai un ami qui me les pose. Il ne me les pose pas directement, mais il m’amène à me les poser. Sa recherche d’une amitié pure, sans génitalité, me trouble, me rajeunit, me ramène au temps de mon adolescence où j’avais aussi cette recherche. A l’époque, je ne me connaissais pas vraiment, je ne savais pas ce que je cherchais et, à la vérité, je n’avais personne, vraiment personne, sur qui m’appuyer ou à qui demander quoi que ce soit sur ce sujet.
Aujourd’hui je me demande où est la frontière, si je l’ai passée par mégarde et n’aurais pas dû, mais aussi si elle existe réellement. Comme les mots sont piégés ! Je le sais bien aujourd’hui que ce que j’appelais du beau et pur mot d’amitié, lorsque j’étais enfant et adolescent, était beaucoup plus et autre que ce que le commun des mortels appelle amitié. Je me souviens, par exemple, de l’incompréhension que j’exprimais, un jour, dans une lettre très gentille à un ami parce qu’il ne semblait pas désirer ma présence, la quémander, la rechercher, et de son désarroi face à ce qu’il ressentait comme un reproche incompréhensible. Quoi ? Ne sommes-nous pas amis ? Quand nous nous voyons, n’est-ce pas bien ? N’est-ce pas assez ? Que veux-tu de plus ! me répondait-il, sans aucune animosité. Incompréhension, incommunicabilité de ce feu ardent en soi qui veut plus, qui veut tout.
Ce n’est pas mon propos, ici, d’expliquer ou rendre compte de l’homosexualité. Ma réflexion n’est pas aboutie. Je comprends juste que, concernant l’homosensibilité, il y a une différence avec le commun des mortels et qu’il est très difficile d’en rendre compte à quiconque ne connaît pas cette réalité de l’intérieur. Est-ce une forme d’homosexualité, je ne sais pas. A quel moment une amitié sexuée devient sexuelle, je n’en sais rien. D’où ma réflexion, mon questionnement : est-ce que cette homosensibilité a vocation à s’exprimer sexuellement ? Je n’en sais rien. Certains diront oui, d’autres diront non. Mais quel malheur, si deux êtres homosensibles se rencontrent, se reconnaissent et ne peuvent laisser s’épanouir leur amitié à cause d’une différence sur cette question.
Z – 11/08/2016
N.B. Qu’il soit bien clair que je ne présente pas une théorie sur l’homosexualité. Je partage juste les questions qui me viennent en le vivant de l’intérieur.
Source photo : Charlie Matthews & Scott Buker, photographiés par Hung Tin Tran
Merci infiniment pour ce texte, beau et sensible.
Il éclaire mes choix et les rend plus “légitimes”…
“Homosensible” est un terme que j’adopte… En effet je m’y reconnais davantage que dans celui d’ “homosexuel” que je ne suis pas puisque, par choix, je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec un homme.
L’amitié masculine est en effet une recherche constante, un désir permanent pour moi d’être en relation avec des hommes, souvent plus jeunes, qui apprécient cette amitié réciproque mais n’éprouvent pas d’attirance sexuelle masculine…
Où est la “frontière”…? Est-ce que j’éprouve du désir pour eux ? Probablement, mais mon désir de pureté me fait bannir toute pensée érotique et sexuelle, j’aime leur amitié et leur présence, leur sensibilité surtout, en écho à la mienne…
Ils ne savent rien de mon “orientation”, ils sont finalement beaucoup plus “purs ” que moi dans leur amitié, franche et sans équivoque…
Cela n’empêche pas des amitiés avec des femmes, de tout autre ordre, il est vrai…
Et l’amour ? Il est là, lui aussi, celui pour une femme, ma femme, pour des enfants, mes enfants…
Je me suis longtemps cru complètement étrange d’avoir “orienté” ma vie dans une direction qui ne correspondait pas à ma “nature profonde”…
Maintenant je sais que ma nature profonde est bien là, être mari et père, donner et recevoir de l’amour, même si celui-ci semble “incomplet”, rester fidèle à mes choix de vie mûrement réfléchis.
C’est mon chemin de vie, je l’accepte et je l’aime, j’y ai trouvé matière à réfléchir, à grandir, à aimer avec tolérance… Je me sens “complet” et clair avec moi-même, je me nourris de l’amour que je reçois de ma famille et de mes amis, il m’est indispensable, comme une nourriture terrestre et spirituelle aussi.
Encore merci pour vos très beaux textes, toujours issus d’une réflexion et d’une expérience personnelles… Ils aident, par leur sincérité et leur poésie, à trouver en nous cette authenticité tant recherchée.
Avec toute ma sensible “Amitié”.
Simon.
Merci beaucoup pour votre témoignage.
Il nous enseigne et nous nourrit.
Chaque chemin est différent, instructif, éclairant.
Il permet aussi d’être moins seul
sur ce sujet complexe de l’homosensibilité,
si peu décrit ou expliqué, me semble-t-il.
Et puis, je n’oublie pas : merci pour les compliments.
🙂
En complément, je ne sais pas si vous l’aviez lu, ce post où j’exprime, comme vous, que terme homosexuel m’a longtemps rebuté jusqu’à ce que je trouve celui d’homosensible : http://www.paysdezabulon.com/hyper-homo-sensibilite
Allez …. en vrac !!!
Pourquoi faut-il donc que les chrétiens homos se masturbent l’esprit à ce point qu’ils cherchent pendant des années l’origine de leur homosexualité ? Leur viendraient-ils à l’esprit de culpabiliser de la sorte à cause d’un caractère nerveux, méchant, agressif, émotif, passionné, apathique … ?
Jusqu’à ce jour, aucune étude sérieuse n’a permis d’obtenir des réponses satisfaisantes sur le sujet, qu’elles soient psychologiques, éducationnelles, génétiques ou autres, que sais-je ?
Peut-être faut-il à un moment donné choisir de vivre, d’être debout, et basta !
Une personne hétérosexuelle, ou hétérosensible, comme vous aimez bien dire, se pose t-elle les mêmes questions, entre amitié, sexualité et hétérosensibilité ?
Et que dire de ces théories d’incomplétude, tellement pronées par les groupes religieux ultra-cathos, d’abord américains, puis européens maintenant, du genre « Courage » qui veulent à tout prix guérir et/ou convertir à l’hétérosexualité. Aucun être humain n’est complet, et sur un plan purement sexuel, peut-etre seuls les bisexuels pourraient-ils revendiquer une certaine complétude.
Alors bien entendu que toute personne peut vivre et nourrir une très grande amitié pour une autre de la même orientation sexuelle qu’elle. Je ne pense pas être un cas particulier pour le prouver.
Zabulon, je comprends que vous puissiez vous poser tant de questions, et ne vous jugerai nullement. Mais nos cultures adultes aiment tellement poser des étiquettes sur toute chose et en cela catégoriser toute chose, tout acte ou toute personne. Alors que notre seul moteur pour vivre est d’aimer (et c’est là tout un apprentissage qui demande beaucoup de temps, avec beaucoup d’écueils certes) Un enfant met tellement moins de barrières, dans ses rapports à autrui. Au contraire, il aime bien construire des ponts. Alors redevenons comme des enfants !!
On fait ce qu’on peut. Merci pour votre apport.
Est-ce que homosexuel et homosensible sont équivalents? Je n’en suis pas certain.
Est-ce que les chrétiens se masturbent l’esprit à chercher l’origine de leur homosexualité? Certains probablement. Pour ma part, je fais juste le constat que mon attirance vers l’autre n’est pas forcément un désir sexuel et que entre le mot “amitié” qui paraît trop fade et l’expression sexuelle du désir de l’autre, il y a un espace qui n’est pas exploré et semble ne pas être reconnu. Et c’est pourtant dans cet espace que je me sens chez moi.
C’est probablement très spécifique et non partagé par tous ceux qui se reconnaissent homosexuels. Ca tombe bien, je ne prétends pas représenter les homosexuels, ni les homosexuels chrétiens. Cette question est bien trop complexe pour que quiconque puisse la généraliser. Nous sommes au moins d’accord là-dessus. Il y a tellement de manières différentes de vivre et ses élans du coeur et sa sexualité !
Merci pour avoir partagé ton expérience. Ton analyse m’a éveillé.
Loué soit le Seigneur pour m’avoir guidé jusqu’à ton post.
J’admire la facilité que les enfants ont pour nouer des amitiés.
Cela me rappelle un rêve que j’ai fait il y a quelques temps au sujet d’un ami :
“Nous avions l’âge d’être en maternelle. Je regardais au loin, l’air soucieux et perdu. Mon ami s’approche de moi et me dit “Viens Skwirel’s, on va jouer” et nous sommes partis en rigolant”.
Nous avons été tous les deux émus par ce rêve 🙂
Encore merci ! Je te souhaites de vivre de belles amitiés
Fraternellement
Un très grand merci,je suis bouleversé par ces témoignages,cela fait si longtemps que j espère que j attend un tel partage,une communion fraternelle et sensible.
Une véritable bouffé d espérance et joie…
Á très vite.
Pat.
Amitiés