Des prêtres gays…Oui ça existe. Difficile de dire dans quelle proportion, mais comme le rappelle le sociologue Josselin Tricou dans l’interview ci-dessous, on peut estimer qu’ils représentent environ 50 % du clergé en Occident.
En fait, rien de bien nouveau à cela, l’Eglise a servi de “placard” (pour reprendre l’allusion à la sortie du placard qu’est un coming out) à de nombreux jeunes hommes attirés par les autres hommes, pendant des siècles. Non sans débats, non sans déni, non sans conflits. Qu’on pense par exemple, au Moyen Âge, à l’évêque Ives de Chartres suppliant, horrifié, son jeune collègue Jean d’Orléans d’arrêter sa vie de “débauche” avec un 3eme évêque…
Cette propension à accueillir et sur-représenter les personnes homosexuelles dans le clergé est assez facile à comprendre. Dans une société largement homophobe et où le mariage semble la seule vocation laïque possible, il ne reste, si l’on n’est pas attiré par l’autre sexe, qu’une solution : entrer dans le clergé ou dans un ordre religieux, et à tout le moins, comme célibataire, sublimer, assumer ou dissimuler sa préférence pour les hommes. Ce processus a duré jusqu’à la période récente et nombre de jeunes gens, authentiquement chrétiens mais non attirés par le mariage ont pu croire de bonne foi être “faits” pour une vocation religieuse faute de pouvoir s’assumer socialement dans le mariage hétérosexuel.
Tribu, 26.10.2018, 11h04
Lʹhomosexualité dans lʹéglise
Il y a toujours eu des prêtres homosexuels au sein de lʹEglise : comment sont-ils perçus? Comment lʹEglise gère-t-elle ce paradoxe? En particulier, comment peut-elle se positionner par rapport aux prêtres homosexuels à lʹheure du mariage gay? Nous recevons le chercheur Josselin Tricou, auteur dʹune enquête sur les pratiques et paradoxes de lʹEglise autour du thème de lʹhomosexualité.
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Ca ne fait pas forcément des mauvais prêtres mais, c’est sûr, d’une part ça crée une surreprésentation dans le clergé et, d’autre part, cela peut créer une fragilité affective chez certains qui, s’ils avaient pu assumer leur préférence sexuelle socialement, n’auraient peut être pas fait le choix de la prêtrise. De plus, il est important de préciser que tout cela se fait sur fond de silence, de déni et de sublimation. La plupart des hommes gays qui se sont engagés dans une vocation religieuse n’ont eu ni formation ni information nécessaires sur le sujet, à une époque où, pour en rajouter, il n’est pas certain que, à l’heure de leur engagement, ils avaient une maturité affective suffisante.
Dans son interview, Josselin Tricou a le mérite de poser les bonnes questions, sans polémiques inutiles, soulevant à la fois le cas de la grande souffrance que cela peut occasionner pour ceux qui cherchent à rester fidèles à leur engagement selon les lois officielles de l’Eglise et le cas de ceux qui assument, avec plus ou moins de dissimulation, de culpabilité ou de fatalisme, d’avoir une double vie. Et parfois pas seulement une double vie, carrément une double identité. Homosexuels, parfois assumés, d’un côté et homophobes en chaire pour défendre le discours officiel et l’institution dans laquelle ils croient ainsi trouver un équilibre. Equilibre qui – veulent-ils croire – serait compromis si on se mettait à admettre que l’homosexualité peut exister.
Que faut-il penser de tout cela ? Que faut-il souhaiter? La question est posée à Josselin Tricou et je trouve sa réponse intéressante. Pour lui, même si les fidèles seraient prêts aujourd’hui à accueillir cette réalité en transparence, la marche à sauter semble trop haute pour les membres du clergé pris collectivement, et les révélations de l’homosexualité de tel ou tel ont eu l’effet exactement inverse de faire se replier l’institution et tous ceux que cela concerne vers plus de silence encore. Plus de silence, donc plus de déni, plus de combat intérieur, plus de souffrance. Et faut-il le dire plus d’écart avec la vérité, ce qui me semble l’essentiel.
Comment avoir une vie spirituelle authentique sans être en vérité avec soi-même et avec son prochain? Comment dans un monde éclaté, dispersé, individualiste, multiculturel, mais aussi assoiffé d’authenticité et d’unicité, témoigner auprès des autres, et notamment des personnes homosexuelles mais au delà de toute personne non reçue dans son identité, de Dieu qui nous aime tels que nous sommes et même nous suscite toujours plus, de l’intérieur, à être ce que nous sommes, si cela n’est pas vrai, visible et vérifiable chez le témoin? Où est la Bonne Nouvelle de la Libération si celui qui s’en porte garant n’est pas libéré? Et, oui, y compris dans son affectivité et son orientation sexuelle…
Il n’est pas certain, du coup, que la réponse puisse venir de la sphère cléricale, elle semble trop partagée entre le respect d’une convenance pluriséculaire (“convenance” parce que, vu que c’est davantage mortifère que vivant, j’ai du mal à dire “tradition”) de se taire sur le sujet et présenter une face idéalisée, et la cohérence entre ce qui est annoncé et ce qui est su et vécu de l’intérieur.
Vu qu’il y a de moins en moins de vocations presbytérales (pour d’autres facteurs dont certains sont liés, sur fond d’adéquation du modèle institutionnel à la société réelle), peut-être cela résoudra de soi-même ? Ou bien peut-être est-ce du peuple de Dieu que cela doit venir, usant de son fameux sensus Dei, de laïcs, des chrétiens non clercs qui ont déjà fait le chemin? Ou bien peut-être, tous les ruisseaux se rejoignant en un flux cohérent faut-il traiter tout à la fois de la famille, de l’homosexualité, de la sacramentalité (mariage, ordination) et d’ecclesialité, la réponse à une des questions de chacun de ces sujets entraînant ipso facto de multiples interrogations et répercussions sur les autres domaines?
Il y a quelque temps, un prêtre américain – un parmi tant d’autres – avait voulu faire oeuvre utile en quittant le ministère pour cause d’homosexualité et proposer quelques pistes pour aider à avancer sur la question de l’accueil des personnes LGBT par l’Eglise. Pas sûr qu’il ait été entendu mais l’initiative était intéressante et c’est une pierre parmi d’autres. Ses propositions qu’on retrouve sur www.thedailybeast.comsont au nombre de quatre :
1. Suspendre toute déclaration non bienveillante à l’égard de la population LGBT et notamment la remise en cause ou la contestation de l’expérience des personnes LGBT quand elles disent l’expérience qu’elles ont d’elles-mêmes.
2. Que la Conférence des Evêques crée une commission ad hoc pour réfléchir à la mise en place de l’inclusivité LGBT à tous les niveaux de l’Eglise, à commencer par les codes et éléments de langage.
3. Relire et corriger les documents ecclésiaux qui traitent de la pastorales des personnes homosexuelles de telle manière qu’elles ne soient pas traitées comme une espèce à part, mais comme des personnes humaines à accueillir telles qu’elles sont, sans parler d’inclinations homosexuelles ni de comportements intrinsèquement désordonnés par exemple.
4 Former résolument les dirigeants ecclésiaux, prêtres et laïcs, à l’acceptation de soi (incluant l’acceptation pacifiée de son homosexualité) et à une vie plus authentique
Ca n’est peut-être pas très ambitieux, mais je trouve que ce serait déjà un beau début.
Photo : www.thedailybeast.com