La liturgie de ce premier dimanche de Carême donne à méditer le fameux passage de MT 4,1-11 où Jésus conduit au désert par l’Esprit y est confronté à trois tentations.

Les spécialistes de l’Ecriture nous expliqueront en quoi, dans la logique matthéenne, ce passage tend à montrer que Jésus est le véritable envoyé de Dieu :

– il reste confiant en Dieu sans réchigner et sans demander du pain à l’inverse du peuple hébreu conduit par Moïse dans le désert,
– il ne profite pas d’une position haute (au propre comme au figuré) pour se prévaloir de prérogatives attribuées à Dieu (rapport à la Présence de Dieu dans le temple et le fait de commander ou pas aux anges)
– il ne se laisse pas séduire par les multiples paillettes et intérêts du monde, quand bien même il pourrait exercer un pourvoir sur lui (notez au passage le placement sur la haute montagne qui est normalement le lieu d’où parle Dieu dans la nuée, ce qui montre bien la nature de la tentation diabolique : être pris pour Dieu depuis la montagne alors qu’on n’est pas missionné pour cela).

Réactualisation du passage au désert après la traversée d’Egypte, du service du Temple (lieu où Dieu “campe” parmi son peuple), de la période faste des royautés diverses qu’elles soient de David ou d’Hérode. Réactualisation mais cette fois-ci réussie, sans dévoiement, par Jésus au désert.

Bref, c’est juste un rappel global du contexte. Ce n’est pas mon propos du jour.

Je me demandais juste comment ce texte pouvait aider les personnes concernées par l’homosexualité. Certes, le texte n’en parle pas directement et aucune tentation exprimée ici, soyons précis, n’est d’ordre affective ou sexuelle. Cela étant, si comme chrétien, je me laisse identifier au Christ, ce texte me parle des tentations que je suis aussi invité à passer.

Et qu’entends-je ?

1/ Quel que soit le désert que je suis amené à traverser, je ne dois pas désespérer de l’amour de Dieu envers moi. La dureté de l’existence, la souffrance, le malheur, ne disent en rien que je suis pécheur plus que d’autres et certainement pas que je suis abandonné de Dieu. La tentation serait de vouloir « manger » au même râtelier que ceux qui me jugent et me rendent esclave de leurs jugements pour avoir la paix. Si j’ai quitté mon Egypte natale, ce lieu où je n’ai pas pu découvrir tranquillement et de manière épanouissante la personne que je suis, comment imaginer que je pourrais trouver la paix en reniant, même partiellement, même temporairement, la personne que je suis ?

2/ Si j’ai pu m’approcher de la présence divine en moi, si j’ai pu la laisser se déployer au point que je puis habiter avec elle et me tenir en haut de ce Temple saint qu’est aujourd’hui mon corps, ma vie, mon existence, cela ne me donne aucun droit d’exiger de Dieu quoi que ce soit, ni d’user de prérogatives qui consisteraient à exercer un pouvoir sur autrui qui…lui aussi reste libre de son chemin.

3/ Quelle est séduisante cette liberté gagnée ! Qu’elles sont tentantes toutes ces possibilités de vivre la vie que je veux, multiplier les aventures, utiliser les autres en réparation ou en compensation des années terribles où je me sentais réprimé, contraint, asservi par l’hétéro-normalité. « Voilà tu es libre, tu sais que tu es libre. Tu peux tout. Vois tout ça, tout ce que tu veux je te le donne si tu veux bien te prendre comme ta propre finalité et abuser de cette confusion ». C’est ainsi que je transpose le « Tout cela je te le donnerai si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi… » Le diable, ce grand diviseur, ce « fauteur e trouble » au sens propre, au premier degré : celui qui crée le trouble, la confusion. Entre dans la confusion, oublie d’où tu viens, pourquoi tu es là, et profite ! Profite de tout : du monde, des gens et des richesses ! Ton intelligence, ta créativité, ta découverte et ton acceptation de toi-même (et qui te donnent un avantage certain sur ceux qui n’ont pas ce travail sur eux-mêmes), tu peux les mettre au service de l’apparence et des futilités.

Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas de la grande théologie. Et, d’autant qu’il y a encore plein d’autres manières de recevoir ce texte évangélique.

Il y a quand même un point commun aux trois tentations et c’est finalement la seule chose que je veux relever. Les trois tentations sont comme des invitations à se laisser dérouter : n’assume pas le désert, tire avantage de ton compagnonnage avec la présence divine, laisse-toi aller à tes désirs de puissance de richesse, de notoriété. Exactement le contraire de la douce invitation faite par Dieu à Abraham, le père des croyants : « Va vers toi-même ».

Alors Jésus entend. Le narrateur nous souligne à quel point Jésus est humain : « il eut faim ». Mais il ne se laisse pas dérouter.
Assumer qui il est, dans son humanité et dans sa part divine, le fait tenir bon face à l’épreuve.

Sa force : la parole-présence de Dieu qu’il oppose humblement à chaque tentation.

Je me souhaite, et je souhaite à tout lecteur, un bon carême sous le signe de cette invitation :
Va vers toi-même, ne te laisse pas dérouter.

Z- 24 février 2023

Photo : Leszek Paradowski, www.paradowski.net.pl

Et voilà que je rencontre une personne qui s’affiche chrétienne et qui est investie en pastorale. Pastorale des jeunes ! Elle me soutient mordicus que l’homosexualité est interdite dans la Bible.

Je ne sais même pas pourquoi elle me parle de cela parce que ce n’est pas le sujet de notre rencontre et qu’elle ignore que ce sujet, je le travaille – si on peut dire – depuis des années.

Mais elle est sûre d’elle. Elle affirme. Sans démonstration mais avec une conviction qui…fait peur !

Je n’en reviens pas. Comment en 2023 les agents de pastorale peuvent-ils encore être si mal (in)-formés ? La Bible qui interdirait l’homosexualité ? Mais elle n’en parle pas, ce n’est pas son sujet. La morale sexuelle, c’est rien dans tous les écrits bibliques. Par contre la justice sociale, opprimer ou exploiter son frère, le juger et le condamner plutôt qu’exercer la miséricorde ou tout simplement s’occuper de ses affaires, ça c’est pratiquement à chaque page.

Ah, le Lévitique ! Argument suranné toujours brandi : le Lévitique qui interdirait l’homosexualité. Même pas ou même plus envie de répondre. Pourquoi cet unique verset dans un gros livre qui contient plein d’interdits qu’on ne considère plus aujourd’hui aurait davantage de poids que les autres ? Au fond, ça en dit plus sur celui ou celle qui brandit l’interdit que sur le livre biblique mais comment le lui dire gentiment, sans qu’elle soit choquée ou qu’elle crie à l’hérétique qui ne respecte pas la parole biblique ?

Non, je n’ai même plus envie d’argumenter.

Je sais une chose que nous enseigne l’apôtre Paul dans sa lettre aux Galates (5,1) et en plein d’autres endroits : “Frères, c’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage.”

Libres. C’est pourtant clair, non ? Libres de ne plus respecter les interdits, libres de ne pas se laisser enfermer dans les jugements. Que chacun vive ce qu’il a à vivre et respecte son frère/sa soeur. Cette obsession de vouloir empêcher l’autre d’assumer et vivre son orientation sexuelle est pénible. Elle est un véritable contre-témoignage de l’Evangile qui nous rend libres.

Mais de fait, ça me fait republier ici. Le combat ne semble pas terminé.

Z – 11/02/2023

Si quand les noirs sont persécutés, tu ne te sens pas noir,
si quand les femmes sont méprisées, ou les ouvriers,
tu ne te sens pas femme ou ouvrier,
alors, toute ta vie, tu auras été un pédé pour rien.

Jean Genet, L’enfant criminel.

Dure journée, dure période devrais-je dire. Ca fait des mois, des année que l’orage couve et que je ne trouve pas le courage de partir d’un boulot dans lequel je suis maltraité et peu considéré. Un boulot dans une institution ecclésiale, bien sûr ; on est maso ou on l’est pas. Bon, peu importe. C’est mon choix aussi, même si c’est en partie alimentaire et par peur de ne pas pouvoir assurer mes fins de mois.

Encore une brimade, une de plus. Comme c’est la rentrée et que je reviens complètement démotivé, j’en ai gros sur la patate. Alors, j’ai l’idée d’appeler mon ami et collègue X**.

X.** on n’a pas fait les quatre cent coups ensemble mais on se complète (professionnellement) merveilleusement bien. Avec lui, nous avons monté des projets extraordinaires, des projets pour lesquels on nous disait : “non, vous êtes fous, n‘importe quoi, vous n’y arriverez pas”. En général, je suis celui qui a les idées : je vois le projet, mieux, je vois le résultat, je vois même le chemin à parcourir pour y arriver. Mais curieusement je ne sais pas emprunter ce chemin tout seul, je trébuche, je me fais peur, j’abandonne. C’est là qu’X** intervient. Lui, il a les pieds sur terre et une confiance en moi et dans le projet qui m’impressionnent. Il y croit à ces projets, et il a un don pour la logistique incroyable. Alors, ils prennent forme, on se motive l’un l’autre, faut voire com‘ ! Et ça marche !

X** et moi, par les revers d’une des nombreuses réorganisations, on ne travaille plus ensemble. On fait ce qu’on peut chacun dans notre coin. C’est moins brillant que quand on était ensemble mais on fait ce qu’on peut. On tient la maison, quoi.

Alors, comme je me sentais triste et abandonné – tellement marre de ce manque de reconnaissance, de ce manque de respect même : on te paye pour faire un boulot, on t’empêche de le faire et on te reproche qu’il soit pas fait comme ci ou comme ça, entreprise schizophrène ! – j’ai appelé mon ami et collègue X**.

Je n’ai pas encore dit que X** il a une qualité d’écoute extraordinaire dont il n’est même pas conscient. Il n’a pas étudié chez Rogers ou Salomé. X** quand il écoute, il est tellement là, que même derrière son silence on sent sa présence, sa confiance en toi, sa bienveillance, son amitié. Ca fait tellement, tellement de bien.

Je me suis lâché, je lui ai raconté. Ce sentiment de pas être à ma place, ces humiliations incessantes dans lesquelles je vis, ces remontrances de ma hiérarchie qui fait semblant de ne pas comprendre et me demande de m’investir plus, comme si c’était de ma faute et qu’un investissement supplémentaire pouvait arrêter ce mobbying qu’ils sont tous inconsciemment et de bonne foi en train de pratiquer.

J’ai pris congé en le remerciant d’être là, je devais retourner à mon travail qui inclut beaucoup de relationnel. Il m’a dit : « Oui fais ça, qui sait, tu vas peut-être faire une belle rencontre ? »

Et c’est çà qui c’est passé. Oui c’est ça qui c’est passé.

J’ai rencontré des gens heureux de me rencontrer. Des anciens, des nouveaux. Et puis quelques professionnels qui m’ont dit leur envie de travailler avec moi. Avaient-ils saisi ma détresse, mon désarroi ? Ils m’ont encouragé à travailler avec ceux qui me faisaient confiance, avec eux, et à laisser tomber ceux qui n’avaient pas envie et me le faisaient sentir.

Et j’avoue, ça m’a touché.

J’ai les larmes aux yeux en écrivant ce texte. Y’a donc encore des gens qui sont humains sur cette terre ? Putain, que ça fait plaisir. Putain que ça réconforte et que ça console. Pardon pour les gros mots, j’écris tout cru, comme je suis en ce moment.

A travers le tas d’emmerdes que j’ai en ce moment, il y en encore quelques personnes qui me font confiance et qui attendent de travailler avec moi.

Voilà, voilà, voilà, c’est ça la justice.

Je vous emmerde tous ceux qui me jugez, qui me faites du mal, qui faites vos commères, alors que vous ne me connaissez pas.

Et oui, je suis hypersensible, et oui j’en ai marre de jouer l’enfant sur-adapté, et oui je ne me laisserai plus faire.

Merci X**.

Z- 5 sept 2022

source photo : Paddy Mitchell

Ici, une visite canonique débouche sur le blocage brutal d’ordinations ; là, une autre visite, apostolique cette fois, est déclenchée dans un diocèse ; ailleurs, c’est une communauté charismatique qui est dissoute ; quelques jours plus tard, une association publiant des revues pour la jeunesse perd sa reconnaissance diocésaine. Puis on apprend avec émotion qu’un prêtre de 50 ans s’est suicidé…

Ainsi s’exprime Aymeric Christensen dans l’éditorial du dernier numéro du magazine La Vie (et j’encourage à lire l’intégralité de son texte).

Quel paradoxe. Voilà donc une institution qui fait figure d’autorité, qui est, normalement, une autorité morale, prise en flagrant délit d’abus d’autorité en tous genre, en son sein. Bien sûr, certaines décisions semblent être le signe d’une reprise en mains. Au nom de l’autorité, par une autorité qui serait enfin raisonnable ou légitime. Mais enfin… C’est toujours l’exercice solitaire et surplombante d’une autorité. Et c’est bien ce qui pose problème.

On peut espérer que la démarche synodale en cours fasse avancer la question. Mais ce n’est pas gagné quand on apprend ici ou là que des pans entiers de la communauté chrétienne ne s’y sont pas investis. Les jeunes notamment, et les membres du clergé. J’avoue que moi-même j’ai regardé cela de loin, ne m’y impliquant pas du tout, pensant plus ou moins que de toute façon les dés étaient jetés et que tous nos bons cathos tradis iraient y défendre leur vision surannée de la communauté chrétienne. A tort certainement, j’ai pensé que ça ne me concernait pas. Pas envie de me battre, pas envie de me défendre, pas envie de me justifier. Au fond, tellement pas confiance dans le fait que ce soit un processus fraternel.

Abus d’autorité, processus synodal enraillé (je voulais écrire enrayé, le correcteur m’a imposé enraillé – les deux me vont)… J’essaie d’imaginer comment les premiers chrétiens, comment Jésus lui-même, se sont investis dans le monde, au service de leur société et de leurs communautés croyantes. Leur moteur ne semble pas avoir été le recours à une institution, sinon celle de la relecture libre et priante des Ecritures. Etre tellement libre dans sa foi que l’on n’a rien à revendiquer, juste laisser être qui on est.

Je pense à ce passage où une force guérisseuse sort de Jésus, touché par le pan de son manteau, sans qu’il n’ait rien à faire pour cela.

Mais voilà, nous sommes dans nos querelles de chapelle, de qui a raison et qui a tort. Dans un jugement permanent les uns sur les autres, et je n’en suis pas exempt. Alors que nous devrions être dans l’accueil et le respect du mystère de l’autre. Dans l’écoute permanente du chemin de Dieu qui nous interpelle à travers l’autre. Mais pour être dans cette écoute non jugeante, il faudrait encore être bien installé dans la confiance que nous n’avons rien à revendiquer mais juste à recevoir. Le mystère de la vie, c’est que nous recevons l’être que nous sommes, en permanence, et non que nous le produisons ou même que nous le sommes. En permanence nous nous recevons. Voilà pourquoi l’attitude et la prière d’abandon sont si efficaces pour produire des merveilles dans nos vies.

Une fois que j’ai lâché le pouvoir sur moi-même et me reconnais humblement comme enfant de Dieu – c’est-à-dire réceptacle et récepteur de l’amour gratuit qui me fait être – quelle importance d’avoir du pouvoir sur autrui ? Je suis alors en capacité d’admettre que le processus est le même pour autrui et que toute main mise sur lui est à la fois contreproductive et contre témoignage. En fait, je n’ai même pas à y penser – même s’il faut toujours être vigilant et tout passer au crible du discernement – cela se fait naturellement.

Voilà pourquoi – pour rester dans la raison d’être de ce blog – il ne m’importe normalement pas de savoir comment l’autre mène sa vie, quelle est son orientation sexuelle, etc. L’autre suit son chemin de vie. Comme moi, il se cherche ou plus exactement il cherche la part de Dieu en lui qui lui apportera la sérénité et la plénitude, ce fameux « bonheur » qui n’est pas statique mais une dynamique toujours en mouvement vers plus de Soi.

Allez, peu importe l’institution, nos familles spirituelles, nos choix ou non-choix personnels ; je ne connais que Jésus. Ou plus exactement le témoignage de ceux qui l’ont rencontré avant moi et ont cherché avec leurs mots et dans leur contexte particulier à témoigner du bouleversement intérieur et bienfaisant que provoquait cette rencontre.

C’est là à nouveau que nous nous rencontrerons, que nous nous reconnaîtrons, comme la communauté fraternelle des quidam touchés par un geste, un regard, une parole de ce Jésus le Nazaréen. Une brûlure, une chaleur, une folie qui vient nous révéler à nous-mêmes et faire que plus jamais rien ne sera pareil.

A condition de ne pas vouloir s’en rendre propriétaire.

Nous avons reçu gratuitement, sans mérite de notre part. Ne jamais l’oublier. Ne pas imposer à l’autre d’être méritant en quoi que ce soit selon nos vues humaines alors qu’au fond on sait bien que ce n’est pas comme ça que ça a marché pour nous.

Le sentiment de fraternité je le ressens le plus fort quand je croise des êtres qui , où qu’ils en soient et quel que soit le chemin emprunté, sont investis dans ce chemin d’humilité et de vérité sur eux-mêmes.

Z- 9/7/2022

Photo : collection “Amour” présentée par Jacquemus (été 2021)