Justin-Bieber-officiant

En ce moment, circule sur les réseaux sociaux un texte intitulé Un curé sur catalogue. Fort beau texte, joliment écrit, prenant. Je ne peux pas m’empêcher de me laisser entraîner: c’est beau, c’est dynamique, c’est plein de sens et de générosité.

On nous dit que le texte a été écrit par une mère de famille, sœur de deux prêtres et qu’il paru initialement sur le Blog du padre, précision qui n’apporte rien au texte. Est-ce que le grand âge d’une dame, aussi respectable soit-elle, et le fait que des membres de sa famille se soient engagés dans l’Eglise, lui donnent plus de poids ou de légitimité? C’est sûr, je n’aime pas cet argument.

Bon, le texte est beau et je me laisse entraîner, je l’ai déjà dit. Et pourtant, au total, je suis gêné. Je sens qu’il y a quelque chose qui cloche mais, dans un premier temps, je ne sais pas quoi.

Je relis donc le texte, attentif d’abord à ce qui me séduit. Et là, c’est facile, cette verve, ce côté redresseur de torts, empreint à la fois d’humilité et de courage, ce côté vieux scout, en fait… Ah ça me rappelle des souvenirs ! Combien d’auteurs je pourrais appeler à la rescousse avec ce sens de la formule comme un étendard qui claque, qui fait de sa fragilité une force, avec un zeste d’assurance, de certitude, d’insolence, peut-être.

La fin surtout, sur le modèle de la célèbre prière de Mère Teresa de Calcutta sur la vie, claque au vent :

« Le prêtre s’use quand il ne sert pas » : demandons lui les sacrements.
Le prêtre est faible : servons-le !
Le prêtre est pêcheur : aidons-le !
Le prêtre est consacré : respectons-le !
Le prêtre est notre frère en Christ, aimons-le… en Christ !
Les ouailles sont perdues : éclairons-les… avec le Christ !
Les ouailles sont en manque : montrons-leur le Christ !
Les ouailles sont pauvres : offrons-leur le Christ !
Les ouailles sont absentes : apportons leur le Christ !
Lui qui luit le jour et la nuit !
Dieu seul suffit !

Mais bon,je ne suis pas convaincu, je dois l’avouer. Alors, pourquoi ? Oui, pourquoi… Eh bien, il me semble que c’est parce que l’arrière fond de ce beau texte repose sur une ecclésiologie qui me paraît d’un autre temps. Car, finalement, même si le texte veut servir à réconcilier prêtres et laïcs par un double discours : aux uns, les prêtres sont faibles, n’abusez pas ; aux autres, ne vous prenez pas pour des super-héros et ne vous tournez pas en ridicules, n’abusez pas ! – eh bien, même en faisant cela, ce texte reste d’un autre temps.

Quelle conception de l’Eglise soutient-il inconsciemment? Quelle conception du prêtre ? Quelle conception du peuple de Dieu? Quelle conception de l’invitation du Christ à se convertir et à changer de vie?

Dans les premiers temps de l’Eglise, la communauté choisissait l’un des siens pour l’aider à s’organiser et à prier, à ordonner tout ça. D’où le mot ordination. Ca n’était pas un privilège, ça n’était pas le signe d’une élection divine, c’était d’abord l’appel de la communauté chrétienne à l’un des siens pour la servir.

Bien sûr, il y avait des précautions à prendre. Ce n’était pas le premier venu qui était choisi. On prenait un ancien, quelqu’un qui avait vécu et avait de l’expérience, quelqu’un de sage et de prudent, quelqu’un qui n’entrait pas dans les conflits d’intérêt et savait se faire apôtre de la paix et du partage.

Maintenant, je sais ce qui me gêne dans le texte dont je parle : c’est que, même en invitant chacun à être raisonnable pour que ça marche bien, il s’appuie sur une conception du prêtre que je ne partage pas et qui semble aujourd’hui de plus en plus passée. Un prêtre, serviteur de l’institution et dont le principal travail serait de faire venir du monde dans sa paroisse et d’administrer les sacrements ne m’intéresse pas. Car cette attitude ne me parle pas, ou plus, du Seigneur Jésus.

En d’autres temps, déjà, le pape Paul VI avait prévenu que ce monde n’avait pas besoin de donneurs de leçons mais de témoins de la lumière. Pas besoin d’être prêtre pour cela, pas besoin de vouloir concilier les deux comme si le ministère de prêtre rendait plus proche de Dieu. Le prêtre n’est pas d’abord un spécialiste de Dieu ou un élu. Il est un serviteur de la communauté. Cela veut dire qu’il l’aime, qu’il l’écoute, qu’il la cajole, qu’il la sert. Pour respecter l’esprit des temps apostoliques, probablement faudrait-il aussi qu’il en soit issu, qu’il la connaisse de l’intérieur, cette communauté. Et évidemment, vu la raréfaction des troupes dans les paroisses et la tendance à ce qu’une seule ligne ne reste, monolithique et vieille France, on est un peu mal barrés…

Et pourtant… Et pourtant, ici ou là, Dieu parle encore à des coeurs purs. Certains seront prêtres, d’autres  non, mais l’amour du Seigneur brûle en leurs coeurs. Ils ne sont pas à leur propre service, ils ne sont pas, non plus, au service d’une autorité supérieure, ils ne sont pas au service d’une conception de Dieu, la leur ou celle qu’ils ont apprise. Ils sont au service du Dieu qui est déjà là et qui vient à eux à travers l’autre.

Ces gens-là n’apportent rien, ils accueillent Dieu. Ils se laissent surprendre. Ils n’ont pas peur. Ils savent s’émerveiller de chaque rencontre. Et leur posture, leur gratuité, leur bienveillance, faites d’accueil, de douceur et de miséricorde… me parlent de mon Seigneur.

Source photo : Photo de Justin Bieber publiée le 1er Mars 2016 sur sa page facebook. Je sais que c’est un peu provoc’ mais je la trouve marrante cette photo. On dirait un prêtre en train d’officier, avec une chasuble violette, couleur carême. Et c’est Bieber en tournée. Si ça pouvait en dérider certains… 🙂

entre-ses-bras

Voici un extrait d’un très beau livre de Stephen Grosz, Les Examens de conscience, dans lequel l’auteur raconte l’essentiel de ce qu’il a découvert de l’être humain dans son métier de psychanalyste, à travers de courtes histoires de vie dont il nous aide à découvrir le sens profond.

L’histoire qui suit, intitulée « Bien chez soi » raconte le questionnement d’un homme déjà âgé (70 ans passés), marié, qui découvre son homosexualité et se demande ce qu’il doit faire : se séparer de sa femme ou pas, etc.  Dans l’extrait que je voudrais partager, parce qu’il me touche très certainement,  l’homme concerné s’aperçoit du lien entre le bienfait extraordinaire qu’il ressent à être avec son ami et le  besoin profond et non assouvi du petit garçon qu’il a été et demeure toujours, ne serait-ce que sous la présence de l’enfant intérieur.

 

Il m’a décrit un dimanche après-midi qu’il avait passé au lit, dans les bras d’un ami.

– On était dans sa chambre, on a écouté un disque. Arès avoir fait l’amour, je ne l’ai pas lâché et il a continué à me serrer contre lui. On est restés comme ça presque tout l’après-midi, jusqu’à ce que j’aie eu envie de me lever. Jamais je n’avais ressenti ça.
– Et vous n’êtes pas prêt à y renoncer.
– Je ne pense pas que je puisse y renoncer.
– Pourquoi maintenant ?

Il n’en était pas sûr. Peut-être que… [il décrit une série d’évènements familiaux  qui engage sa responsabilité de père et d’époux]

– Je sais que ça a l’air égoïste, mais, aujourd’hui, j’ai besoin de sentir que quelqu’un m’aime, et pas qu’on s’occupe de moi par devoir.

Pendant quelques minutes, nous n’avons plus parlé.

– C’est terrible, mais je me suis senti soulagé lorsque mon père est mort. Il était horrible. (…) En fait, il avait des colères subites, qui retombaient aussi vite, mais, même quand c’était terminé, je continuais à être affolé pendant longtemps. On le voyait venir quand il allait exploser et, pour autant, il n’y avait aucun moyen de l’apaiser.

Le pire, ce n’était pas cela, mais le manque d’intérêt que son père éprouvait pour lui.

– Le principal souvenir que j’ai de lui, c’est quand il partait pour son cabinet, avant que j’aille à l’école. Je me sentais un poids pour lui. Je crois qu’il n’avait qu’une hâte : se débarrasser de moi.

Tandis qu’il parlait, je repensais à la scène qu’il m’avait décrite, au plaisir qu’il avait pris à être dans les bras d’un homme, cet ami, immobile, calme et tout contre lui, le bonheur d’être tenu aussi longtemps qu’il en avait eu envie. Je lui ai alors demandé si le fait d’être dans les bras d’un homme lui faisait un effet si fort parce que cela annulait le rejet dont il avait souffert de la part de son père.

– J’ai l’impression que, quand mon père me regardait, il n’aimait pas ce qu’il voyait. Cet après-midi-là, j’ai ressenti exactement le contraire. Je me suis senti bien.

Nous sommes restés silencieux un moment, puis il m’a dit :

– Je suppose que mon histoire n’est pas tellement courante. Il ne doit pas y en avoir beaucoup, parmi ceux qui viennent vous voir, des hommes qui changent d’orientation comme ça, maintenant, à mon âge. Mais voilà…

Il a fait un petit geste, en levant les paumes de ses mains vers le haut.

– Mais voilà…

 

Stephen Grosz, Les Examens de conscience, Slatkine & Cie, extraits des pp 95-97

qui-me-separera

Pas le temps de faire une grande éxégèse, mais comment ne pas relever les paroles si consolantes de la liturgie de ce jour, pour toute personne qui a entendu l’appel du Seigneur? Précisons quand même, je parle de l’appel à se laisser aimer.

Prenons le récit des Actes des Apôtres. Ce n’est pas l’application, même scrupuleuse, des rites ou des normes qui fait que l’on est sauvé.  C’est le lien indéfectible au Seigneur Jésus. Ce qui fait que la Promesse de la vie éternelle est faite à quiconque veut la recevoir en vérité, sans marchandage mesquin sur le respect des lois, le mérite, la préséance ou toute autre motivation venue de l’orgueil d’un ego qui n’a pas encore baissé les armes face à l’offre inconditionnelle d’un amour lui aussi inconditionnel.

Alors, oui, le salut peut être offert aux peuples, aux nations, à tous et chacun de toute culture,de toute origine. Et c’est l’esprit en paix, que  Paul et Barnabé peuvent partir en secouant la poussière de leurs sandales (obéissant en cela à une préconisation du Seigneur lui-même, rapportée dans les Evangiles), non sans laisser quiconque a reçu la promesse de la vie éternelle ( i.e. ceux qui peuvent, ceux qui sont disponibles) dans la joie. Car la Bonne Nouvelle de la proximité du Seigneur est joyeuse !

 Quand les Juifs virent les foules,
ils s’enflammèrent de jalousie ;
ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
« C’est à vous d’abord
qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu.
Puisque vous la rejetez
et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
J’ai fait de toi la lumière des nations
pour que, grâce à toi,
le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. 
»
En entendant cela, les païens étaient dans la joie
et rendaient gloire à la parole du Seigneur

(Ac 13, 14.43-52)

Les textes de l’Apocalypse et de l’Evangile du jour sont, du coup, très évocateurs de la liberté des enfants de Dieu du moment qu’ils sont unis au Seigneur. Ce que le Seigneur a uni ne pourra pas être défait. “Nous sommes uns” dit Jésus,  comme “le Père et moi, nous sommes uns.”

Moi, Jean, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
(…)
l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
sera leur pasteur
pour les conduire aux sources des eaux de la vie.
Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

(Ap 7, 9.14b-17)

Seul critère : l’attachement au Christ. Plus encore que la confiance, l’adhésion, le choix du Christ. Il est précisé dans le’extrait de l’Apocalypse que le Seigneur rassemblera ses brebis et qu’il n’en perdra aucune, aucun de ceux qui se sont attachés à lui  – quelque soit sa condition, semble-t-il  ; le Seigneur a mission de les emmener à son Père. Quand cela arrivera-t-il?  Après la mort? Dès maintenant? Question  intéressante, pleine de sens et d’ouverture à laquelle il n’est pas répondu et que nous n’explorerons pas aujourd’hui.

En ce temps-là, Jésus déclara :
« Mes brebis écoutent ma voix ;
moi, je les connais, et elles me suivent.
Je leur donne la vie éternelle :
jamais elles ne périront,
et personne ne les arrachera de ma main.
Mon Père, qui me les a données,
est plus grand que tout,
et personne ne peut les arracher de la main du Père.
Le Père et moi, nous sommes UN. »

(Jn 10, 27-30)

Mais retenons cette notion d’attachement. Quand mon  coeur est brûlant en vérité de la rencontre du Seigneur, quand mon être  s’est ouvert à l’Être grâce à la rencontre d’autrui, quand  la beauté de l’autre – à son corps défendant parfois – vient réveiller la beauté de l’Être en moi et me révéler qu’il m’appelle,  quand l’autre a réveillé quelque chose de divin en moi, comme l’invite à m’ouvrir toujours plus, je pose la question : même si cette relation est de nature homosensible (et encore, qu’est-ce que ça veut dire quand on en est là !), qui pourra me séparer du Seigneur?

Z.

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Au premier regard… ou l’amour sans sexe

«La dépression m’a ouvert sur un amour plus vaste. Alors c’est curieux parce que c’est un peu mystique, ce qui m’intéresse, c’est l’amour avec un grand A. Le détail du sexe, ce n’est pas très intéressant. J’ai aimé des femmes, j’ai aimé des hommes, c’est un détail ça. Ce qui compte c’est les êtres qu’on rencontre.»

«J’ai vécu une histoire d’amour incroyablement forte avec l’abbé Pierre. On s’est aimés au premier coup d’oeil, on a eu un coup de foudre. Et il est évident que je n’ai pas couché avec l’abbé Pierre !»

Source : interview de Christophe Lambert par Marc-Olivier Fogiel (Le Divan).

 

 

Source image : sautdelange

pecheurs-grau

“Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur,
il passa un vêtement,
car il n’avait rien sur lui,
et il se jeta à l’eau.”

(Jn 21, 7)

Simon-Pierre, c’est le patron des naturistes, en quelque sorte. Cool ! Il a repris ses activités de pêcheur, et ça le dérange pas d’être nu  au milieu de ses compères, et d’une manière très naturelle puisqu’il est en train de travailler.

Mais voilà, sur le rivage, y’a un homme qui les interpelle. Et quelqu’un dit “C’est le Seigneur!”

Et tout à coup, voilà une scène curieuse : il passe un vêtement  et se jette à l’eau. Est-ce que d’habitude on ne fait pas le contraire? On enlève ses vêtements pour se jeter à l’eau?

Bon, on peut imaginer qu’il a anticipé qu’il allait sortir de l’eau et paraître devant le Seigneur, et donc il y va avec ses vêtements. Cette explication tient la route mais nous avons appris à nous méfier des explications trop faciles, qui apparaissent comme des voiles d’interprétation culturelle. N’allons donc pas trop vite.

Prenons le temps de la scène initiale. Pierre est sans vêtements en train de travailler, scène apparemment banale et quotidienne.  Ca ne choque visiblement personne autour de lui et  on ne sait d’ailleurs rien de l’habillement des autres. Plusieurs autres. Pierre est-il seul à être nu?  D’autres le sont-ils ? ou à moitié dénudés?  certains se rhabillent-ils ensuite pendant le temps où la barque revient ? Certains reviennent-ils nus? On n’en sait rien tant le focus est posé sur Pierre. Mais se poser ces questions permet de ne pas rétrécir trop vite le champ des possibles.

Une question m’est posée concernant la nudité des pêcheurs de Tibériade. Doit-on imaginer une nudité totale ou portaient-ils des pièces de tissu comme caleçon ou cache-sexe?

Notons tout d’abord que cela ne change rien au fond de mon commentaire. La réception de cette péricope parle clairement de nudité et est souvent interprétée dans le sens d’une condamnation morale. Or, que ce soit une nudité totale ou partielle, rien ne permet de soutenir cette condamnation.

Nudité totale ou pas ? Certains prétendent que les hommes juifs auraient eu des sortes de pagne pour cacher leur sexe. Pourquoi pas ? Mais ce n’est écrit nulle part. Alors, n’est-ce pas une interprétation rigoriste et moralisante postérieure qui veut absolument affubler les hommes de cache-sexe? Bref, il ne suffit pas d’affirmer, il faut prouver.

Si on s’en tient au texte grec de ce passage d’Evangile, littéralement il dit : Et Simon Pierre, dès qu’il eut entendu que c’était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (gymnos). Il n’y a pas d’équivoque possible, le mot gymnos parle de nudité. Qu’il y ait un morceau de tissu ou pas, Pierre est décrit comme étant nu. Quant au mot vêtement, ependutes, il s’agit de la seule occurrence biblique, ce qui fait que les spécialistes interprètent ce mot comme désignant un vêtement de travail qui serait spécifique aux pêcheurs pour se couvrir. Ependutes vient en effet du verbe ependuomai (mettre dessus) qu’on trouve aussi en 2 Co 5,2 : Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir (ependuomai) notre domicile céleste. Le passage 2 Co 5, 1-4 est assez complexe mais il n’y a pas de doute sur le fait que l’idée est de revêtir une nudité.

Du point de vue de la rive, c’est-à dire de cet inconnu qui hèle les passagers de la barque, cela ne semble pas poser problème puisqu’il leur adresse la parole sans  se formaliser un instant qu’un des pêcheurs, au moins, soit nu. La pointe de ce cette péricope n’est donc pas sur la nudité.

Mais alors pourquoi Pierre semble-t-il se rhabiller en toute hâte quand il entend “c’est le Seigneur“?

Oui… quand il entend “c’est le Seigneur!

Il y a un après  et un avant. Et le déclencheur, c’est cette parole “c’est le Seigneur“.

Or, nous sommes maintenant après la Résurrection.  A la parole “c’est le Seigneur“, Pierre répond  avec une sorte d’immédiateté : il revêt son vêtement et se jette à l’eau.  Personnellement, ça me rappelle les premiers temps de la saga Jésus quand il parcourt les bords du lac de Tibériade  et qu’il appelle ses premiers disciples. Sauf que, là, il s’en est passé des choses depuis. Et, en plus, il est mort et Ressuscité, celui qui les appelait et qu’ils ont suivi. Alors, il n’est plus besoin d’un appel direct : “toi, suis -moi”.  La seule parole “c’est le Seigneur” et Pierre sait ce qu’il a à faire. Il répond. C’est là qu’il doit aller.

Dans l’intention de l’évangéliste, il se pourrait bien que la mention de sa nudité et du vêtement soit au service du même sens. Vérifions.

Nous sommes après la Résurrection. L ‘Apôtre Paul nous dira dans ses épîtres combien cette expérience de la mort et la Résurrection du Seigneur est fondatrice d’un monde nouveau dans lequel ceux qui y sont appelés, et répondent à cet appel, passent du statut de vieil homme à homme nouveau, avec les habits qui vont avec.

Il me semble que l’accent du texte n’est donc pas de fustiger ou condamner la nudité de Pierre qui serait honteuse. L’inconnu du rivage ne dit rien à ce propos, ni au moment où il interpelle les ouvriers dans la barque ni au moment où il prend le repas et discourt avec Pierre. Par contre, il y a une sorte d’insistance sur le fait de revêtir le vêtement au moment où l’on va rejoindre le Seigneur qui, un jour du temps, nous avait appelé et à qui on avait répondu. Tenue de service obligée, en quelque sorte. Et encore plus maintenant qu’il est Ressuscité.  Le vieil homme est mort, l’homme nouveau est né. C’est au service du Ressuscité que Pierre accourt.

Pas inintéressant de remarquer que quelques versets plus tard, sous couvert d’une histoire de ceinture que d’autres vont serrer à la place de l’intéressé pour le mener où il ne voudrait peut-être pas aller, on a comme une suite de cette affaire de vêtement.

Suivre le Christ Ressuscité, ce n’est pas compter sur ses propres forces, c’est s’en remettre à Lui. C’est revêtir les habits lumineux de la Résurrection, déjà entrevus lors de la Transfiguration. Cela est cohérent avec la promesse de la paix du Christ à l’humanité. Avant la Résurrection, Jésus parle d’une paix qu’il va donner à ses disciples et qui n’est pas celle du monde (Jn 14,27), c’est-à-dire qui n’est pas celle qui est connue des hommes en s’appuyant sur leurs propres forces. Après la Résurrection, il apparaît aux douze avec ces premiers mots “La Paix soit avec vous!” (Jn 20, 19.21)

Bref, il y a un avant et un après. Un avant et un après la mort et la résurrection du Christ. Et désormais, un avant et après la rencontre du Christ pour chaque homme et femme de l’histoire.

La nudité de Pierre n’est donc pas laide ni malsaine. Il est en travail quand même, ce brave homme ! Il essaie de gagner sa vie. Mais ses propres forces ne suffiront plus désormais, s’il veut suivre la Voie du Ressuscité. Alors revêtir ce vêtement qui sera bientôt serré d’une ceinture qu’il ne maîtrise pas, c’est une manière de dire au Seigneur qu’il est prêt.

N’est ce pas l’esprit de tout ce passage? La précipitation de Pierre quand il entend “c’est le Seigneur” , comme si revenu à ses tâches quotidiennes il était en attente du jour du Seigneur pour lui.  La réaction immédiate de Pierre, au service, quand le Seigneur demande d’apporter des poissons. Et finalement toute la teneur de ce dialogue intime entre Pierre et son Seigneur.  Il est prêt, il se croit prêt. Il est, en tout cas, animé d’un grand désir de servir le Seigneur. Alors oui, il peut être peiné, et même désemparé, quand le Seigneur peut lui demander avec insistance s’il est vraiment prêt,  s’il l’aime vraiment, totalement et sans conditions.

Alors, Pierre peut faire la réponse qui compte :

« Seigneur, toi, tu sais tout :
tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17)

Tu connais tout de moi. Tu connais ma nudité, tu connais ma fragilité, tu connais mes limites. Sans toi, rien n’est possible Seigneur. Mais mon désir, mon attente de toi, si forts, si immenses, dans ce pauvre corps que tu connais, ça aussi Seigneur tu le sais. Tu sais bien que je t’aime.

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Post Scriptum pour ne pas oublier la question qui m’a été un jour posée : la nudité est-elle une bonne nouvelle?

Ce beau texte ne permet pas de condamner la nudité comme, parfois, on a voulu le faire.  Encore une fois, la nudité de Pierre n’est ici pas honteuse, elle est naturelle et même socialement admise. Y compris, semble-t-il par le Seigneur.

D’un point de vue symbolique, cette nudité semble même nécessaire. Il faut se dévêtir des vieux habits du monde passé pour revêtir les habits resplendissants du Ressuscité ou, à tout le moins, ceux du service du Ressuscité. Cela passe par le fait de se dévêtir et apparaître en vérité et en simplicité. Pas de tricherie possible, pas de honte non plus.

Cela semble bien être le sens que l’on retrouve  dans certaines pratiques baptismales qui ont perduré jusqu’au Moyen Âge, par lesquelles on perdait ses habits au moment de descendre dans la cuve baptismale que l’on traversait, nu, avant d’être revêtu d’un nouvel habit, blanc, au sortir de la cuve.

Ce texte ne permet ni de condamner ni de magnifier la nudité. Elle est juste notre condition naturelle, première réappropriation de soi à faire, peut-être, pour pouvoir réellement se désapproprier.

Z. 9/4/2016

 

 

Source photo : pêcheur du Grau-du-Roi