Les fusillés de Châteaubriant
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel,
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandation à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont plus des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
René-Guy Cadou
Pleine Poitrine (1946)
Quand il écrit ce texte, en 1941, René-Guy Cadou est encore un jeune homme. Un jeune homme sensible, apprenti poète. Un jeune homme gauche et maladroit. Mais il a un coeur et une capacité assez incroyable à ressentir et percevoir de l’intérieur des choses cachées. Cela donnera une poésie inclassable, dans laquelle on rentre ou pas.
Par bonheur, j’y suis entré un jour et ne l’ai plus jamais quitté. Dans ce poème, il parle des fusillés de Châteaubriant, une trentaine de jeunes gens pris en otage et fusillés en représailles de l’assassinat d’un officier allemand par la Résistance.
Ce poème a une histoire : celle de l’impuissance de René-Cadou, jeune homme, qui croisera un fourgon qui emmène les otages au supplice. Impuissance sublimée. Le poète écoute et entend, au delà l’apparence, le sens de ce qui se passe vraiment.
Cette impuissance, c’est la mienne. Un peu toi, un peu moi, un peu nous. Alors que fais-je de ma capacité à me relier, à puiser le sens et le ramener pour tous?
“Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres“
« Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple »
« Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme de leurs paroles »
Aujourd’hui 8 mai, mémoire de la victoire de 1945, souvenons-nous de la résistance à la haine sous toute ses formes: racisme, homophobie, exclusion sociale. Ce rejet de l’autre, de la différence apparente, qui n’est qu’un non-sens puisque quand j’élimine l’autre, c’est une partie de moi que je refuse.
Je salue particulièrement mes amis de confession juive, mes amis homosexuels, mes amis de toute classe sociale, tous ceux qui ne sont pas dans le camp des vainqueurs mais qui ont un coeur qui sait s’indigner.