vivant

Tu me manques, Vincent, tu me manques.
Tellement.

Depuis que je t’ai perdu,
Je cherche l’amour partout
Et je ne le trouve pas.

D’abord j’ai nié, dénié et renié.
J’ai fui
Loin, loin, si loin…
De moi-même.

C’était tellement dur.
Tu étais ma vie,
Mon souffle,
Mon partage,
Mon bonheur.
Je vivais grâce à toi, avec toi, par toi.

Tu te souviens, nos rêves fous,
Les mêmes que nous faisions à distance ?
Tu te souviens nos intuitions, nos délires
Et cette complicité entre nous
Sans qu’il n’y ait besoin d’aucun mot.

Dans la même pièce sans nous regarder
Je sentais ton cœur battre à l’unisson du mien
Et je savais quels étaient tes émois, tes pensées, tes folies.

Le monde entier nous appartenait,
Nous allions le refaire, le parfaire, l’embellir.
Tout était facile, tout était possible.

Oh comme tu me manques.
Comme c’est dur d’avoir été séparés après s’être trouvés.
Comme c’est dur,
Avec ces années de recul,
De s’apercevoir que les chiens qui nous ont séparés
Nous ont volé notre bonheur.

Mais ça ne se fait pas d’être homosexuel, n’est-ce pas,
Dans notre milieu.
Ca ne se faisait tellement pas
Que, même nous, on s’en est convaincu.

J’ai essayé, Vincent,
J’ai essayé
Et je n’y arrive pas.

J’ai essayé,
Et le silence m’a rattrapé.
Pas le bon silence, tu sais.
Non, le silence qui est le vide, le néant.
Celui qui te dit que tu n’es rien,
Que tu ne sers à rien,
Qu’il n’y a rien pour toi par là.

Et je me suis souvenu.
Forcément je me suis souvenu.

Avec toi,
Il n’y avait pas de silence
Même quand nous ne parlions pas.

C’est dur, tu sais, c’est dur.
Parce que je sais bien qu’on ne se retrouvera pas.
Tu dois vivre, comme je l’ai fait,
Ta petite vie d’hétéro, réelle ou cachée,
Tout en me méprisant encore
De t’avoir fait découvrir
Que tu aimais un garçon.
Comme si j’y étais pour quelque chose !

C’est dur, tu sais, c’est dur.
Je ne sais pas si je suis capable d’aimer
Quelqu’un d’autre que toi
Et pourtant j’en ai tellement besoin.

L’ami Ash me dit que j’aime l’idée d’aimer
Et que je confonds ça avec l’amour.
Il a raison, probablement.
Et qu’est-ce que j’y peux ?

On ne refait pas sa vie, n’est-ce pas ?
Je ne peux pas revenir en arrière,
Recommencer, se faire des promesses que cette fois on tiendrait
Sans se laisser influencer par ceux qui n’aiment pas
Que les garçons aiment les garçons.

Mon cœur,
Ma vie.

Jamais
Je n’ai entendu quelqu’un prononcer mon prénom avec tant de douceur
Et de vérité que par toi.

Quand tu me regardais,
Quand tu me parlais,
Quand tu m’écrivais,
Quand tu murmurais mon nom,
J’étais vivant.

C’est cette vie
que je cherche à nouveau
mais tu n’es pas là.

Tu es dans les fins fonds de ma mémoire,
tu es à l’âge du sortir de l’adolescence,
mon premier amour que j’appelle amitié
à un moment où on ne sait pas ce qu’est l’amour.

C’est beau, absolu, désintéressé.
Une fois pour toutes
c’est le bonheur
ou sa promesse.

Comment vais-je retrouver cela?

Z – 4 décembre 2016

Source photo : Fu’ad Ait Aattou et Louis Prades

difficile-choisir-ami

Le plus difficile :
“Choisir un ami,
refuser à qui demande,
réclamer à qui ne peut donner.”

 

A ‘Adî b. Hâtim *, on posa cette question :
“Qu’y a-t-il de plus difficile selon toi ?”
Il répondit :
“Choisir un ami, refuser à qui demande, réclamer à qui ne peut donner.”

Puis cette autre :
“Qu’y a-t-il de plus mauvais pour l’homme?”
Il déclara :
“Parler plus qu’il ne faut, ne savoir garder un secret, donner sa confiance à tout le monde.”

TawhîdîDe l’amitié,
extraits choisis et traduits de l’arabe, Sindbad/Actes Sud, 2006.

 

(*) : ‘Adî b. Hâtim, compagnon du prophète, et transmetteur de hadîths, mort vers 687/688

Source photos : Gijs Blom & Ko Zandvliet dans Jongens (Boys)

Trois amis

C’EST QUOI POUR TOI UN VERITABLE AMI ?

[Question posée par le magazine La Vie, à des jeunes de 8 à 15 ans, pour réaliser son dossier du mois d’août sur l’amitié]

Ferdinand (11 ans)
“C’est facile : un vrai ami, c’est quelqu’un qui est capable de partager mes peines et mes joies sans m’abandonner. Si tu te tapes la honte et qu’il reste, c’est un véritable ami. C’est pas facile d’être un bon ami ! Il faut de la gentillesse, de la générosité. Mais il faut pas non plus chercher un ami parfait parce que personne n’est parfait.”

Source : La Vie n° 3701-2702, du 4 au 17 août 2016

homosensibilité-amitié-sexualité

 

Homosensibilité, amitié, sexualité… Voilà trois mots, trois réalités qui peuvent ou pas faire bon ménage !

C’était si simple quand je ne me savais pas, ne me reconnaissais pas, homosensible. J’avais des amis, je les aimais, je les aimais à offrir ma vie pour eux, à laisser mon cœur se dilater, déborder, s’épancher, et il n’y avait aucune dimension sexuelle là-dedans. En tout cas, c’est ce que je croyais.

A vrai dire, c’était assez facile à croire puisque les personnes qui étaient le sujet ou l’objet de mon amour étaient bien inconscientes de tout cela et bien incapables d’y répondre à la mesure où je l’aurais désiré. Un désir infini, en fait. Alors idéaliser l’amitié, la rêver, la sublimer, était devenu facile même si cela me rendait, au fond, très solitaire.

Deux ou trois fois, mon cœur, mon être, se sont enflammés sans retour. Et ce vide abyssal provoqué par la non-réponse était blessure et souffrance. J’étais un enfant, un ado, un jeune homme. A un moment, je ne saurais expliquer pourquoi ou comment, il a été plus facile de couper court à cette hypersensibilité, ne plus l’écouter, ne plus lui prêter attention, entrer dans le moule de l’apparente normalité.

Peut-être certains psy pourraient-ils y reconnaître l’homosexualité ou la bisexualité latentes qui traversent plus ou moins fortement et longuement toute adolescence et sa conversion naturelle en hétérosexualité ? C’est ce que j’ai cru aussi. C’est ce qu’une partie de moi a voulu, c’est ce que j’ai fait. Mais est-ce que cela correspondait à qui j’étais ? Probablement pas, puisqu’aujourd’hui, je reviens là-dessus.

Depuis, j’ai vécu, j’ai muri, grandi en « taille et en sagesse ». Pas la taille du corps, mais j’ai grandi en épaisseur humaine, avec de multiples expériences qui chacune apporte patiemment son lot d’enseignements et de repères. J’ai grandi aussi en sagesse, quoique parfois j’en doute, mais c’est bien le privilège de la maturation, du temps et du long cheminement spirituel, qui m’amènent à l’acceptation de qui je suis et, curieusement, me ramènent aux premières années de l’affirmation de mon être, celles des intuitions fulgurantes, des grands émois et des choix que j’avais reniés.

Aujourd’hui, je sais que toute relation est sexuée. Pas forcément sexuelle mais sexuée. Je sais, je comprends, je compatis et j’accepte pour moi-même que tout être homosensible est un être blessé qui appelle la tendresse qu’il n’a pas reçue à un moment ou à un autre, quelle qu’en soit la raison. Au demeurant, il ne faut pas exagérer cette blessure. Je connais des hétéros bien mal en point, bien blessés par des blessures d’amour. De là, mon questionnement dubitatif sur les théories d’incomplétude et de plénitude de l’identité que l’on voit ici ou là concernant la gente homosexuelle. Ca semble parfois pertinent, mais cela ne l’est visiblement pas à chaque coup.

La question reste donc complexe, et d’autant plus que toutes ces théories qui circulent sur l’origine de l’homosexualité sont déroutantes pour nombre de personnes qui aimeraient comprendre ce qui « cloche » en elles dans l’espoir de pouvoir le résoudre. Et si rien ne clochait, en fait ? C’est si dur que ça, de faire cette hypothèse ? Il y a des gens qui sont gauchers ou dyslexiques ou dys-autre-chose, il y en a qui sont albinos, il y en a qui ont un pied-bot ou une tâche de vin… Leur conteste-t-on d’être pleinement humains et cherche-t-on à les rendre autres que ce qu’ils sont ? Qu’on ait essayé, je ne dis pas, mais, aujourd’hui, il semble bien qu’on admette ces différences sans dire qu’ils ne sont pas « complets » au regard des conventions anthropologiques du moment.

Donc, toute relation est sexuée et pas forcément sexuelle.

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Qu’en est-il de l’amitié ?

J’espère qu’il est facile de comprendre que lorsqu’on est homosensible, l’amitié avec le même sexe devient tout de suite très compliquée. L’usage, pour distinguer l’amour de l’amitié, est de se référer au désir. Y a-t-il désir de l’autre, désir sexué, désir sexuel ? Mais même l’appel à cette notion de désir est complexe. Quand je désire la présence de mon ami, le voir, le toucher – et pas forcément pour des caresses génitales, suis-je encore dans l’amitié ou déjà dans l’homosensibilité, voire l’homosexualité ?

Et quand mon cœur se dilate et ressent ce lien si particulier à l’autre, cette sorte de connexion et « désire » qu’il soit partagé, « désire » un retour pour pouvoir se dire, s’épancher et porter du fruit, sommes-nous encore dans l’amitié ou est-ce de l’homosensibilité, et est-ce de l’homosexualité ?

Cette sensibilité-là, celle du cœur, dans laquelle nous sommes quelques-uns à nous reconnaître, est bien compliquée à discerner et à vivre. Probablement, cette sensibilité s’est creusée et approfondie en écho à un manque de tendresse qu’elle vient rechercher. Manque de tendresse de l’enfance. Mais elle est devenue aussi un talent, une sorte de perception subtile de réalités qui n’apparaissent pas au commun des mortels, elle est devenue aptitude à percevoir la beauté de l’autre, à s’en émerveiller, la célébrer et s’en nourrir. Est-ce encore ou déjà du désir, ou juste la magie d’une rencontre qui se fera ou pas selon que l’autre a ou pas cette même aptitude et la dirige vers l’objet dont il est le sujet (ou le sujet dont il est l’objet) ?

Ceux qui découvrent cette « attirance » vers l’autre de même sexe, avec l’élan de la pureté propre à l’enfance ou aux idéaux de l’adolescence, vont appeler cela amitié, et c’est vraiment de l’amitié, une connivence avec l’autre, connivence de coeur, d’âme, d’activité. Sexuée, et pas forcément sexuelle. Sexuée, dans le sens où c’est bien avec et par le même sexe qu’on est attiré mais pas pour avoir des activités génitales.

Ceux qui se sont découverts homosensibles, avec cette hypersensibilité qui les tourne vers l’autre et en attendent de la tendresse, avec un désir de plénitude et de réciprocité – si souvent incompatibles, avec une certaine recherche d’exclusivité aussi, et avec, peut-être, des rêves érotiques masculins, des rêves masturbatoires – plus ou moins conscients et assumés – avec l’être aimé dont pourtant ils ne veulent rien de sexuel, vont se reconnaître, peut-être « amoureux ». Terme bien difficile à admettre pourtant, tant il suggère la possibilité de rapprochements physiques qui ne sont pas ce qui nous meut en premier. « Etre amoureux » dans la société actuelle, c’est encore admettre la possibilité d’un rapprochement sexuel, voire d’un désir sexuel. Or, là, nous parlons de quelque chose d’autre. C’est être amoureux mais en même temps, ce n’est pas ça. C’est plus et c’est moins et c’est autre. C’est probablement le mot qui s’en rapproche le plus, et en même temps il est tellement en deça, au niveau du cœur et de la sensibilité, de ce que l’on voudrait pouvoir exprimer.

Et puis, il y a ceux qui auront osé des gestes de tendresse, des caresses… plus, peut-être. Soit qu’ils aient été voulus comme résultat de pulsions sexuelles claires et avérées, soit qu’ils viennent comme le résultat doux et tendre de deux êtres qui se rapprochent et qui, à un moment, ont besoin de se toucher, presque naturellement [et pourquoi j’écris “presque”!?], même si ce n’est pas l’objectif suivi. Se reconnaître homosexuel…

Homosensibilité, amitié et sexualité…

Est-ce que les grandes amitiés spirituelles, les grands désirs de fraternité universelle ne sont pas des manifestations sublimées de l’homosensibilité ? C’est juste une question, je n’ai pas la réponse…

Pourquoi est-ce que je pose toutes ces questions ? Parce que j’ai un ami qui me les pose. Il ne me les pose pas directement, mais il m’amène à me les poser. Sa recherche d’une amitié pure, sans génitalité, me trouble, me rajeunit, me ramène au temps de mon adolescence où j’avais aussi cette recherche. A l’époque, je ne me connaissais pas vraiment, je ne savais pas ce que je cherchais et, à la vérité, je n’avais personne, vraiment personne, sur qui m’appuyer ou à qui demander quoi que ce soit sur ce sujet.

Aujourd’hui je me demande où est la frontière, si je l’ai passée par mégarde et n’aurais pas dû, mais aussi si elle existe réellement. Comme les mots sont piégés ! Je le sais bien aujourd’hui que ce que j’appelais du beau et pur mot d’amitié, lorsque j’étais enfant et adolescent, était beaucoup plus et autre que ce que le commun des mortels appelle amitié. Je me souviens, par exemple, de l’incompréhension que j’exprimais, un jour, dans une lettre très gentille à un ami parce qu’il ne semblait pas désirer ma présence, la quémander, la rechercher, et de son désarroi face à ce qu’il ressentait comme un reproche incompréhensible. Quoi ? Ne sommes-nous pas amis ? Quand nous nous voyons, n’est-ce pas bien ? N’est-ce pas assez ? Que veux-tu de plus ! me répondait-il, sans aucune animosité. Incompréhension, incommunicabilité de ce feu ardent en soi qui veut plus, qui veut tout.

Ce n’est pas mon propos, ici, d’expliquer ou rendre compte de l’homosexualité. Ma réflexion n’est pas aboutie. Je comprends juste que, concernant l’homosensibilité, il y a une différence avec le commun des mortels et qu’il est très difficile d’en rendre compte à quiconque ne connaît pas cette réalité de l’intérieur. Est-ce une forme d’homosexualité, je ne sais pas. A quel moment une amitié sexuée devient sexuelle, je n’en sais rien. D’où ma réflexion, mon questionnement : est-ce que cette homosensibilité a vocation à s’exprimer sexuellement ? Je n’en sais rien. Certains diront oui, d’autres diront non. Mais quel malheur, si deux êtres homosensibles se rencontrent, se reconnaissent et ne peuvent laisser s’épanouir leur amitié à cause d’une différence sur cette question.

 

Z – 11/08/2016

 

N.B. Qu’il soit bien clair que je ne présente pas une théorie sur l’homosexualité. Je partage juste les questions qui me viennent en le vivant de l’intérieur.

 

Source photo : Charlie Matthews & Scott Buker, photographiés par Hung Tin Tran

nous-irons-ensemble

A toi, X***, qui vient créer cela.

Nous irons ensemble.

Ce n’est pas tant nos différences qui comptent,
Ou plutôt, si, ce sont elles qui comptent.

S’apercevoir que nous venons de chemins différents
Qui ne sont pas interchangeables,
S’émerveiller de ces chemins différents
Par lesquels la vie a réussi à nous amener jusqu’ici,
Jusque l’un à l’autre,
S’émerveiller de ces chemins
Contempler l’empreinte de la vie en l’autre,
Vérifier, ah sans le vouloir,
Juste comme ça naturellement,
Pas vérifier alors… sentir être confirmé
Dans la vie en soi réveillée par celle de cet autre rencontré
Pour qui elle est pourtant différente,
Et puis se tourner vers un horizon commun
Dont on sait qu’il est à la fois origine, fondement et promesse.

Voilà, un chemin de vie,
Un chemin d’amitié
Un chemin d’amour
Qui est solide et dépasse le temps.
Il dépasse le temps
Tellement que l’acte sexuel
n’a pas d’importance dans cet ordre-là.

Tu vois, X***,
C’est ça ce chemin.
Nous irons ensemble ?

Z – 10 août 2016