Va, et ne pèche plus.
Dans la liturgie de ce dimanche (13 mars) « Va et, désormais, ne pèche plus ».
Je voudrais m’arrêter quelques instants sur cette finale de l’Evangile de la femme adultère.
Parmi les réceptions de cette Parole, il me semble qu’il y a deux interprétations qui ne sont pas, ou ne sont plus, recevables.
- La première serait de se dire : ouh la la, tous les gens ils sont méchants, et en plus ils veulent embêter Jésus. Heureusement, il ne tombe pas dans le piège. Il transforme l’indignité publique en une affaire privée et finalement réussit à sauver une pauvre pécheresse. Super Jésus !
- La deuxième serait de conclure par une justice compassionnelle mal placée : bon, cocotte, je t’ai tirée d’affaire. Ils t’ont pas condamnée, et moi non plus, mais quand même t’es une pécheresse, alors que ça te serve de leçon, hein ! Arrête tes activités de pécheresse ! Hum, hum…
Evidemment ces deux interprétations sont possibles, et même nécessaires pour comprendre ce qui se passe, mais il me semble bien que nous sommes invités à aller plus loin. Sinon, pourquoi toute cette histoire pour répéter un message que finalement nous connaissons par cœur : Dieu nous aime au-delà d’une justice rétributive, il nous aime si fort qu’il a le pardon facile… du moment qu’on s’engage à ne plus pécher !
Certes, dans le contexte de l’époque comme dans bien des consciences contemporaines, c’est déjà un énorme progrès. Mais, franchement, ça ne suffit pas. Jésus est bien plus fort que ça !
« Va, ne pèche plus ! » Comment expliquer ce paradoxe entre le constat du péché et la non-condamnation ? D’abord, c’est quoi « pécher » ? Les hébreux qui poussent la femme devant Jésus semblent croire que ça consiste à commettre quelque chose qui est interdit dans la Loi et donc qu’il faut punir, comme les textes le proposent. Donc, ce serait une faute, quelque chose de vilain par nature que, berk, il faut réprimer. Sinon y’a plus d’ordre, plus de repères, où va le monde, quoi !…
« Va, ne pèche plus !»… Elle a donc péché. Mais pourquoi donc Jésus qui est venu accomplir la Loi et non pas l’abolir, ne laisse –t-il pas s’appliquer les prescriptions prévues dans la Torah ? Elle a péché ou elle a pas péché ?
« Va ne pèche plus ». Nous-mêmes aujourd’hui, et déjà les hébreux anciens, semblons avoir oublié le sens originel du mot péché. En hébreu, le terme ‘HaThaH, parfois écrit Chatta’ah, désigne le fait de rater sa cible, comme un archer rate sa cible. Le mot grec amartia par lequel cela été traduit, a sensiblement le même sens. Il y a donc un glissement de sens qui n’est pas correct chez ceux-là même qui parlent la langue hébraïque, ces fameux gardiens de la loi. Et, dommage pour nous, ce glissement sera encore plus marqué en Occident avec la traduction latine par pecco , peccatore, d’où vient le mot français péché. Parce que pecco veut clairement dire faire un faux pas… ce qui enclenche immédiatement la question de la faute et de la responsabilité qui ne sont pas forcément contenues dans les termes hébreux et grecs !
« Va ne pèche plus »… Donc, si on entendait : « Va et ne rate plus ta cible ». Ouverture très intéressante. La femme est alors renvoyée à elle –même, hors tout jugement et condamnation. Jésus lui dit simplement : fais ce pour quoi tu es faite. Ton cœur, ton être, te disent la mesure. Et la mesure, elle est de répondre à cet appel à être qui sourd en toi, y répondre sans commettre le mal envers autrui.
Oui, je sais que Jésus ne dit pas tout ça textuellement, mais comme Dieu ne se contredit pas, s’il faut assumer l’héritage de la Torah, il faut bien lui trouver un sens dans les paroles de Jésus.
« Va, ne pèche plus…» Ne rate pas ta cible, tu es faite pour le bonheur, un vrai bonheur. Pas pour en prendre des miettes, ici ou là, dans la vie des autres. Ecoute attentivement l’appel de Dieu en toi, l’appel de la Vie. La question n’est finalement pas celle de l’adultère mais celle de ta vérité, et aussi celle de ne pas faire de mal à autrui pour ne pas blesser leur vérité. Je parle bien de vérité, pas du sentiment fugace de sincérité. Quelle est fondamentalement ta cible, ce pour quoi tu es faite ? Le sachant, tu pourras faire un, toi, ton arc, ta flèche et la cible, ainsi que l’explique Karl Graf Durkheim relatant parfois son initiation aux arts japonais.
« Va, ne pèche plus.. » La mesure est en toi, pour peu que tu sois lucide sur toi-même et un tantinet disponible. Ce pourquoi, ce n’est pas aux autres de te condamner. C’est tellement facile de pointer les soi-disant erreurs ou écarts des autres pour ne pas regarder le mal en soi. Le mal, c’est l’aveuglement qui coupe de soi-même et tue l’autre.
Si nous reprenons maintenant l’autre parole de Jésus, prononcée à l’égard de ceux qui lui amènent la femme, en quoi consiste-elle ? Il les renvoie à eux-mêmes. Il les remet, eux aussi, dans la bonne direction qui est d’écouter son cœur en vérité. En ce sens, il me semble que Jésus n’est pas du tout piégé par cette situation. Peut-être est-il las ou attristé mais cela aussi est une libre interprétation car rien dans le texte ne permet de connaître les sentiments du Maître. Jésus, il est égal à lui-même. Il ne réagit pas à la pression, il est tout entier uni à son Père, et c’est très calmement qu’il peut renvoyer chacun à ausculter sa vérité. N’es-tu pas pécheur toi-même ? Ne rates –tu pas régulièrement la cible de ce pour quoi tu es fait ? Te conduis-tu toujours en être créé à l’image et à la ressemblance de ton Dieu ? N’es-tu pas en train de rater ta cible, là, en t’occupant de celle des autres ? Que celui qui n’a jamais raté sa cible, que celui qui n’a jamais péché, lui jette la première pierre, si c’est ça votre vérité !
« Va, ne pèche plus ». Ce n’est pas une condamnation même a postériori. Ni avec sursis, ni avec absoute. Nous sommes dans un autre registre qui est plutôt de l’ordre de : « écoute ton coeur, écoute ton être, et va dans cette direction, fais ce que tu as à faire. » Quel formidable encouragement, quelle formidable preuve de confiance !
Il y en a un autre à qui Jésus dira cela. Un peu plus directement, sous la forme de « fais ce que tu as à faire », et ce sera Judas. Grand mystère que cette amitié trahie par un homme qui n’écoute pas bien son cœur et qui projette sur les gens, les évènements et Jésus lui-même des aspirations qui ne viennent pas de lui. Nous sommes tous faibles, tous capables d’abandon, lâcheté, trahison face à l’ampleur de la tâche. Aussi cela doit-il nous conduire à l’humilité. Je ne sais pas pour mon frère ce qui convient pour lui. Je ne peux pas le savoir puisque j’ai bien du mal à savoir pour moi-même. Mais ce que je sais, c’est que dans la vie de mon frère, il y a quelque chose de Dieu, une étincelle divine, qui l’éclaire et me parle. Ses combats, ses luttes, ses chutes, ses débats intérieurs ne sont pas sans laisser percevoir la présence de Dieu dans sa vie, même quand il ne le sait pas lui-même.
Alors, le condamner ? Alors que, sans le savoir, il me parle de l’amour de Dieu pour lui… et donc pour moi ?
Pas possible.
[Libre commentaire, vu du pays de Zabulon 🙂]