Voilà un homme qui me confie qu’il est attiré par les hommes. Il le vit comme un calvaire, une abomination, il se déteste pour cela. Il prie, il implore, il demande pardon, croit être délivré et retombe dans son penchant… Désespoir.
Mon blog lui fait du bien, semble-t-il. Et pourtant, il repousse de toutes ses forces cette dimension homosexuelle qui l’habite comme si elle lui était étrangère et qu’on pouvait l’extirper.
J’ai vécu cela tellement longtemps ! Durant toute mon adolescence et une grande partie de ma vie d’adulte… Alors je comprends et j’assiste impuissant à cette lutte intérieure angoissante et fatigante. Il faut du temps pour repérer ces forces obscures qui s’agitent en soi, pour en comprendre en les enjeux, accepter qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, qu’elles sont moi. Moi en conflit avec moi-même sur fond de non acceptation de qui je suis vraiment.
Et pourquoi je ne m’accepte pas ? Pourquoi je vais imaginer que l’orientations sexuelle, le fait d’avoir des fantasmes sexuels avec quelqu’un du même genre, de me masturber peut-être avec ce genre de scénarios, ou, même que de m’attacher affectivement à quelqu’un du même sexe, ce serait mal, péché, tentation, force du mal, ou que sais-je encore ? Cette conception de moi, ou plus exactement cette non-compréhension que ce conflit m’appartient dans toutes ses dimensions, a conduit à des imbécilités comme la mise en place des thérapies de conversion, heureusement aujourd’hui interdites par le droit ET par l’Eglise, mais aussi à des exorcismes, des prières de libération, etc.
Mais quoi, expulser une partie de moi ? Me libérer d’une partie de moi ? Quel non sens ! Ah non alors, ce ne serait pas moi… Ce serait le diable, le malin qui viendrait me tenter alors que Dieu lui m’appelle à la sérénité, la paisibilité, une hétéro-normalité paisible et tranquille, et qui serait, dans mon cas, aseptisée, anesthésiée, sans couleurs, sans mouvements, sans vie, tellement je ne suis pas attiré sexuellement par les femmes…
En réalité, ce conflit intérieur est bien entre une partie de moi qui souhaite être heureuse, reconnue socialement, non rejetée du club des humains et une autre partie de moi qui me fait peur, qui me fait penser que le monde s’écroulerait si je l’acceptais car cela voudrait dire que je ne suis pas normal, que je suis malade, fou, différent, étrange…Tout ce qui fait qu’on pourrait me rejeter, m’abandonner et qu’alors je préfère rejeter comme dangereux, comme une porte vers un inconnu qui fait peur. TERRIBLEMENT peur ! A la manière d’une peur archaïque d’enfant qui craint d’être englouti dans un grand vide. Qui a peur de mourir. Qui veut être aimé. Et qui va s’imaginer que pour être aimé, pour ne pas mourir, il faut donc être dans la norme.
Moi, je ne suis pas malade, je ne suis pas anormal, je ne suis pas différent, je veux être aimé, accepté, accueilli comme tout le monde, j’en ai un besoin tellement vital que c’est sûr : JE NE PEUX PAS être homosexuel !
Pas besoin d’être dans une famille homophobe pour assimiler et faire siennes ce genre de convictions qui conduiront au déni et au refoulement de cette part de soi. Non pas besoin ! Je dois rendre justice à ma famille que jamais je n’ai entendu une remarque haineuse envers les personnes homosexuelles dans ma famille. Dans mon cas, c’était plus un silence gêné et si le sujet venait dans une conversation, un haussement d’épaules pour dire “c’est comme ça” et une sorte de tristesse en évoquant ces gens qui sont “différents”.
Dans mon cas, pas besoin de propos homophobes mais une peur. Une si grande PEUR d’être rejeté si j’ouvrais la porte à cette homo-sensibilité que j’ai sentie très tôt en moi. Non, pas question d’être différent ! C’est trop dangereux ! Et si on me rejetait?
Le déni peut se nourrir d’une homophobie bien plus subtile, celle de la société, de la religion, des églises. Très tôt j’ai intégré que ça ne se faisait pas (ou plus exactement que ce n’était pas permis, ce que je confondais à l’époque), que ce n’était pas acceptable, que ça ne pouvait que créer des ennuis. Alors comment accepter cette part de moi quand on y voit que des inconvénients et que notre petit être d’enfant a la prescience que pour survivre il ne faut pas être rejeté, qu’il faut se conformer, entrer dans le moule ? La pire des violences, peut-être, est celle qui est silencieuse car elle dure ; on s’y habitue, et plus on s’y habitue, plus elle dure, plus elle s’enkyste loin dans notre mémoire et plus il sera difficile d’y revenir. De revenir à cette part de moi oubliée et pourtant bien réelle.
Alors revenons un instant à ce conflit intérieur entre moi et moi. Il y a une partie de moi qui est bien éduquée, qui est polie et conformiste et ne veut pas de vagues. Et il y a une partie de moi que j’ai rejetée, niée, refoulée, qui est tapie au fond de moi, blessée, souffrante, en colère peut-être, de ne pas avoir été reconnue, de ne pas avoir pu se déployer, de ne pas pouvoir exister.
Parmi les dénigrements de moi-même, il y a l’image que je me suis faite de Dieu, des évangiles et de l’église. Là aussi, il y a à questionner et à déconstruire. La représentation que je me suis faite de Dieu, elle est faite du message d’AMOUR qu’on m’a transmis mais aussi de tous les préjugés et fausses informations qu’on m’a transmis tout en transmettant ce message d’AMOUR. Sur fond de jugement moral à deux balles : ce qui est bien, ce qui est mal ; qui est accepté et qui est rejeté. En l’occurrence, la Bible serait contre l’homosexualité, la tendance homosexuelle serait contre la loi naturelle, l’amour de personnes du même genre et les pratiques sexuelles qui vont avec seraient des abominations, des désordres structurels. Tous ces grands mots (ces grands maux!) : et puis quoi encore ?
Revenons au textes bibliques, revenons à l’Evangile. Sans chercher à hiérarchiser ou à opposer un texte à un autre – au nom de quoi on le ferait, sur quel critère meilleur qu’un autre ?
Et que reste-t-il ? “Aimez-vous les uns les autres”…”Je ne suis pas venu pour juger”…”Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés”… ” Qu’ils soient Uns”… “Je suis venu…pour que pas un ne soit perdu”… “Je suis pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance”…etc.
Quel drame ! Que nos préjugés d’humains limités nous fasse comprendre et appliquer de travers un message d’amour INCONDITIONNEL. Inconditionnel : ça veut dire sans conditions, sans possibilité d’exclure quelqu’un. Comment donc les disciples du Christ peuvent-ils s’exclure les uns les autres et continuer de se proclamer chrétiens ? Pire: comment donc puis-je adhérer à ce Jésus, mon ami, qui m’aime inconditionnellement et m’exclure moi-même ? Exclure une partie de moi comme non aimable, ce qui revient au même ?
Revenir de ces fausses conceptions de Dieu, de tous ces préjugés sur lesquels on s’est structuré depuis l’enfance est un travail long et douloureux. Mais il est possible et il est salvateur : il permet de se réconcilier avec soi-même, au sens de : se retrouver, se rassembler, s’unifier.
Je n’ai pas de conseils à donner, pour chacun ce chemin sera différent. Mais j’ai eu envie de partager ce dessin de David Hayward qui m’a, en son temps beaucoup aidé. Peut-être aidera-t-il l’un d’entre vous à aller plus loin vers lui-même ? Rien de notre humanité que Jésus ne connaisse pas déjà et que, pour sa part, il accepte et il aime déjà. C’est ça qui est nouveau avec Jésus : c’est fini les peurs d’être rejeté, c’est l’amour qui vient !
Dans ce dessin, le premier personnage s’excuse : ‘Tu sais, Jésus, je crois que je suis gay !”
Et Jésus, sans lui lâcher la main, de répondre : ” Dude! (c’est-à dire : mec, poteau, copain, l’ami!) je le sais (déjà) depuis bien plus longtemps que toi longtemps que toi !”
A méditer. Longtemps, souvent. Chaque fois que nécessaire.
Z. – 14 septembre 2023