lever-le-regard

L’aveugle jeta son manteau,
bondit et courut vers Jésus.

(Marc  10,50)

 

Décidément Bar-Timée,  tu nous donnes à voir,
toi l’aveugle,  tu nous montres le chemin
qui nous fait passer de l’ombre à la lumière !

 

Il jeta son manteau…

Bon, nous l’avons déjà dit, il ne s’agissait probablement pas d’un manteau, mais d’un simple vêtement en forme de drap pour couvrir le corps. Mais en plus, il le le jeta ? Non, il ne le jeta pas. Je vois bien que pour la traduction française, ça sonne mieux et ça donne du peps au texte. Mais ça n’est ni logique avec le reste du texte ni le sens possible.

Certes le terme ‘apoballo‘ peut se traduire par le verbe “jeter” mais ce n’est pas dans l’idée du geste d’envoyer au loin, comme on pourrait le concevoir dans une des acceptions du mot français. Ici, il s’agit littéralement de “laisser tomber” : ‘apo‘ indique la séparation, et ‘ballo‘ l’idée d’éparpiller, donner sans savoir où ça va, de répandre, comme on verse de l’eau ou comme se répand un fleuve. On pourrait donc le traduire aussi par les termes : abandonner, lâcher, laisser-là. Ce “jeter”-là est à entendre comme un jeter à la poubelle, un “laisser” à la poubelle. Laisser-là le vêtement désormais inutile. L’aveugle lâche littéralement son vêtement. Pour… bondir ?

 

je-bondirai

Lâchant-là son vêtement, il bondit vers Jésus.

Il bondit. ‘Anapēdēsas‘, du verbe ‘eispédaó‘. Ce mot aussi doit retenir notre attention, car il n’est employé que trois fois dans le Nouveau Testament. Cette référence est le seul emploi dans les Evangiles, les deux autres occurrences se trouvent dans le Livre des Actes des Apôtres (Act 14,14 et Act 16,29). A chaque fois, l’idée est la même, celle d’un surgissement, de jaillir, de sauter (‘pédaó‘) vers/sur/pour (‘eis‘). Certains commentateurs rabbiniques lisent la préposition ‘eis‘ comme la marque de la présence de Dieu. Utilisé ici comme préfixe, il dit également quelque chose, de la présence de Dieu  : sauter dedans, sauter vers. Compris ainsi, c’est mû de l’intérieur et “poussé vers”, ou “attiré par”,  un extérieur que l’aveugle saute. Instantanéité, plus qu’impulsivité. Une évidence. Comme un pôle aimanté irrésistiblement attiré par l’autre.

Il bondit.
Il est propulsé.
Libéré de son cache misère,
Il est fait pour Dieu,
Alors, il bondit,
Ce n’est même pas un geste volontaire.
C’est un acte de libération,
Suscité par les mots des apôtres :
« Confiance, il t’appelle ».

Il t’appelle.
Là, aux portes de Jéricho,
La ville de l’entrée en la Terre Promise.

Il te connaît,
Il se souvient,
Il se souvient de t’appeler,
Il t’appelle.

Tel que tu es.

Alors que veux-tu ?

– Rabbouni que je lève le regard de nouveau.

 

quejevois

Anablepo‘. Certes voir, discerner, comprendre, découvrir (‘blepo‘) mais ‘ana-blepo‘, voir parmi les choses, savoir voir l’essentiel en quelque sorte. Ce qui fait que le verbe ‘anablepo‘ est souvent traduit ailleurs par lever ‘lever les yeux‘. Jésus lève les yeux vers le ciel (Mt 14,19 ; Mc 6,41; Mc 7,34 ; Lc 21,1), et au matin de la Résurrection, levant les yeux (Marc 16,4), les femmes voient que la pierre est roulée.

Alors, oui, le mot ‘anablepo‘ est utilisé chaque fois qu’un aveugle recouvre la vue. Mais il s’agit bien plus que de voir, il s’agit de ‘lever les yeux‘ vers l’Unique, le seul qui ait besoin d’être vu.

Que je lève de nouveau le regard, Seigneur,
vers Toi, l’Unique,
le sens de ma vie,
le sens de toute vie.

Que ma vie qui vient de toi
soit orientée vers toi.

Seulement, cela.

 

* * *

Laissant-là son vêtement, l’aveugle surgit à Jésus

Ho de apobalōn to himation autou anapēdēsas ēlthen pros ton Iēsoun.

* * *

Si le Maître t’appelle
es-tu prêt à tout laisser
et à surgir de toi-même à toi-même,
Libéré de tes entraves
retrouvant tout à coup,
tout à la fois,
ton origine
et ta visée (vision) divine ?

 

***

Lève les yeux, regarde au delà,
fille de Sion,
Le Seigneur, en avant de toi,
toujours te prépare le chemin.
Lève les yeux, réjouis-toi,
car le Seigneur est en toi !

 

 

Z- 26/10/2015

manteau

 

L’aveugle jeta son manteau,
bondit et courut vers Jésus.

(Marc  10,50)

 

Il jeta son manteau…

‘Himation’. C’est le mot grec que la traduction liturgique a pudiquement traduit par  « manteau ». Voilà un terme qui est employé 59 fois dans le Nouveau Testament, et  qui est traduit la plupart du temps par le mot vêtement, au singulier ou au pluriel. ‘Himation’ est notamment employé pour désigner le vêtement de Jésus dans l’épisode où une femme touche son “vêtement”,  mais également lors de la Transfiguration quand ils deviennent  « resplendissants », ou lorsque qu’on le  dépouille avant la crucifixion.

himation

Certains avancent que le mot ‘himation’ serait un dérivé de ‘ennumi’ (mettre dessus). Cet argument ne suffit pas à traduire le mot himation par manteau car tout vêtement est mis par-dessus le corps. Il n’est d’ailleurs jamais traduit de la sorte dans ses autres emplois, sauf en Mt 5,40 parce que dans le même verset un autre mot désigne la tunique portée sur le corps : ‘chiton‘: si on veut prendre ta tunique ( ton habit de dessous), donne ton vêtement en plus (ton habit de dessus) – à quoi pourrait-il donc servir de plus !  – Il existe d’autres mots grecs pour désigner un vêtement qui serait mis par-dessus les autres, un manteau. Ces termes sont également connus des évangélistes : par exemple, ‘chlamus’ (Mt 27) pour désigner le vêtement dont on recouvre Jésus lors de la Passion, ou en 2Ti 4, 13, le mot ‘phelones’  employé par saint Paul pour désigner le précieux manteau de voyage qu’il  aimerait récupérer.

Mais on trouve également le mot  ‘himastimos’, qui pourrait avoir la même racine, ‘himatizo’, recouvrir, se vêtir, et désigne une tunique qui touche  et recouvre directement la peau.

 

himation2

Bref, si l’aveugle jeta son vêtement, il était nu.  A moins qu’on imagine qu’il porte encore un caleçon sous sa tunique, ce qui n’était pas l’usage du temps, comme attesté en d’autres endroits de l’Evangile. D’autant que nous n’avons pas, là, affaire à un notable distingué dans ses vêtements et parures.

 

Bref, si l’aveugle jeta son vêtement, il était nu.
C’est nu qu’il bondit vers le Seigneur.

 

Dans sa nudité, il bondit,
Dans sa nudité, il court vers Jésus,
Dans sa nudité, il se reconnaît aveugle
Dans sa nudité, il demande à voir.

 

Avant cela, il est habillé socialement
Par son handicap, par son métier de mendiant,
Par le regard que lui renvoient les autres,
y compris celui des apôtres,
Par le regard qu’il a sur lui-même, sans doute,
puisqu’il n’a pas, de prime abord,
l’énergie de bondir de lui-même vers Jésus…

Mais si le Maître appelle,
si enfin la vérité peut se faire
et que justice nous soit rendue,
alors il faut aller, bondir,
nu, comme on est.
Quelle importance ?

 

Seigneur, tu me connais.
Je n‘ai rien à cacher,
Tu sais tout de mes aveuglements,
De mes handicaps,
De la vérité  sur moi-même
que je ne connais pas
ou que je n’accepte pas encore,
Je n’ai rien à cacher

Si tu me dis : viens,
J’accours.

 

Nu.
Tel que je suis.

 

Nu,
Tel que tu m’as créé.
Nu tel que tu m’aimes.

Tel que tu me libères,
tel que tu me restaures
dans la dignité

Foin de ces apparats
et de tous ces faux habits.

Nu
Devant toi,
aucune importance.

Appelle-moi, Seigneur.

 

 

Z – 25 oct 2015