On est qui ?

Entre ce qu’on voudrait montrer,
la manière dont on aimerait être vu, accueilli, reconnu, aimé,
ce que l’autre, aimé ou pas, nous perçoit…

On est qui ?

Z – 15/4/2023

photo : Samuel Betancourt & Juan Dos Santas pa Jose Mata for Gym Class B #9 (publié par theyearbookfanzine.com)

“On est en train de courir le plus vite possible dans la pire des directions :

La direction de la compétition,
la direction de la destruction des uns par les autres,
c’est une folie totale.

Ce qui me semble par exemple monstrueux, c’est de penser que l’on a pris
comme moteur de notre société occidentale la compétition,
il faut être meilleur que l’autre pour passer devant l’autre…

Mais songeons à ça :

Pour devenir moi, j’ai besoin du regard de l’autre,
J’ai besoin de tisser des liens avec lui ;
dès que je suis en compétition avec lui, je ne tisse plus de liens,
et par conséquent je suis en train de me suicider.

C’est ça qu’on devrait nous dire : Toute compétition est un suicide.”

Albert Jacquard

(Photo : @Joss Mooney)

(vu sur page de At’N go)

« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 15)

En méditant l’Evangile de ce jour, je me suis arrêté sur cette phrase qui souvent passe inaperçue dans cette parabole des ouvriers de la dernière heure.

Comme souvent, les paraboles sont subtiles et peuvent s’entendre à différents niveaux. Avec celle-ci on peut discourir sur la justice rétributive ou pas, sur le sens de la parole donnée, sur la miséricorde qui agit jusqu’à la dernière heure, et sur plein d’autres choses encore.

Mais finalement cette phrase que le maître de la parabole adresse à celui qui récrimine de n’être pas rétribué davantage alors qu’il a travaillé depuis le matin, sonne soudain comme la réponse du père au fils aîné qui dans la parabole de l’enfant prodigue récrimine lui aussi contre son frère – et son Père – et refuse de venir à la fête.

C’est de cela qu’il s’agit : venir à la fête.

Se réjouir de toute avancée, de toutes retrouvailles, même ultimes, même dernières.

Ce Dieu-là désire d’un grand désir retrouver tout être humain, rassembler toute la famille de ces êtres si désordonnés parce que libres d’aller où ils veulent, et pour qui il est si dur de retrouver le chemin de la maison.

Si l’on aime Dieu, si l’on est bien entré dans sa compagnie et qu’on en partage quelque peu les vues, il ne peut pas y avoir de réelle joie tant que tous les êtres humains ne sont pas assemblés en communion.

Alors, être le premier, être le dernier, cela n’a pas beaucoup de sens. Être, seulement, voilà la grande aventure. Et tout être vivant de se réjouir des retrouvailles qui marquent, pour qui que ce soit, la fin de l’errance et le retour à la maison familiale.

Sérieusement, qui ne s’est pas réjouit de la même manière, avec la même intensité, de retrouver l’ami qui arrive tard à la soirée parce qu’il n’a pas pu se libérer avant? Faut-il que les premiers convives se vexent d’être délaissés parce qu’on accueille celui qui vient et sans qui la fête n’aurait pu être complète ? Ces jalousies, ces rivalités, ces comparaisons indiquent que le chemin spirituel n’est pas terminé.

Revenons à cette phrase de l’Evangile du jour : « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Oui, il arrive qu’on ne supporte pas la générosité, la magnanimité, la miséricorde. Oui, il arrive qu’on ne supporte pas la bonté, la gentillesse et le bien qui est fait. Peut-être à cause d’un vague sentiment qu’on nous “vole ” quelque chose, à moins que ce ne soit une inconsciente et malsaine comparaison qui nous fait sentir que nous ne sommes pas cet homme de bien que nous aimerions ou que nous prétendons être.

La bonté dérange quand on s’imagine qu’elle est un bien à acquérir comme on acquiert une terre, un mérite, une décoration. C’est évidemment une fausse piste. Quand il s’agit d’être, il n’y a rien à prendre, rien à envier. Au mieux on peut s’inspirer de la personne qui nous montre ainsi le chemin et puiser comme elle à la source intérieure qui lui fait poser des actes sans importance – sans importance parce que s’écoulant naturellement de l’être.

De Jésus, Pierre apportera ce témoignage qu'”il est passé parmi nous en faisant le bien” et pourtant peu l’auront reconnu. Et parmi ceux qui l’auront reconnu, il y a aura ceux qui n’ont pas pu le supporter et qui le mettront à mort.

Y a-t-il un phénomène similaire dans l’homophobie ambiante que l’on trouve dans certains milieux catholiques? Ces personnes, se pensent-elles plus méritantes? Se sentent-elles remises en cause par le fait d’avoir et d’afficher une orientation sexuelle différente ? Qu’est-ce que cela remue au plus profond d’elles-mêmes ?

Jusqu’à preuve du contraire, elles n’ont pas été instituées garantes des droits de Dieu et le seraient-elles qu’il faudrait encore qu’elles l’écoutent en leur coeur, qu’elles se souviennent que nous ne sommes que des pérégrinants sur cette terre, et que Dieu se présente à nous selon bien des formes, qu’il ne nous appartient pas et se dit parfois par le sensus fidei au-delà de ce qu’on imaginait. Les premiers apôtres, Pierre, Paul, Philippe et les autres, ont ainsi fait l’expérience à maintes reprises que l’Esprit du Seigneur les précèdait parfois en des lieux et personnes qu’ils n’imaginaient pas.

La vérité est que les personnes LGBT sont attendues aux noces du Royaume autant que les autres. Ce n’est pas nous qui invitons, c’est le Seigneur lui-même. Il serait bien mal venu de faire la lippe parce que cela ne nous convient pas.

Si Dieu est bien le Dieu de tous, et si les personnes homosensibles ou transgenres font cette expérience éminemment intime, intense et intérieure, d’être aimées de Dieu telles qu’elles sont, si Dieu donc manifeste ainsi sa bonté envers tous, qu’est-ce donc que ce regard mauvais chez certains comme si on leur enlevait quelque chose ou comme si leur monde s’écroulait ? Pourquoi?

Si c’est le cas pour toi qui lis ces lignes, oui, pourquoi ? Qu’est-ce que ça dérange en toi?

« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 15)

Photo : photo de presse (Reuters/Alexander Demianchuk) prise lors d’une répression de manifestation LGBT en Russie.

 

Les hauts, les bas,
regarde-les d’un même oeil !
Ne regarde pas le visible,
regarde l’invisible !
Il n’ y a pas d’aile,
il y a le signe d’un envol,
il n’ y a pas de chanteur,
il y a la trace d’un chant.

Sohrab Sepehri, Pârâh,
in : L’Orient du chagrin,
traduit du persan par Jalal Alaviniar,
Lettres persanes, 2009.

 

Photo : Jon Kortajarena